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26 novembre 2010 5 26 /11 /novembre /2010 18:55

 

" Anatomie d'un instant" : un mauvais titre pour un vrai chef d'oeuvre.

 

Le dernier ouvrage de Javier Cercas est édifiant d'intelligence, de sincérité. Il est un ouvrage d'histoire politique. Il est aussi littéraire dans le sens où il explore, dissèque les personalités en présence. Tout le monde y est responsable du coup d'Etat manqué de 1981 en Espagne, y  compris Juan Carlos, y compris les socialistes dont Felipe. Mais l'auteur se met dans la peau de chacun des protagonistes. S'il produit une analyse du coup d'Etat, il n'essaie pas de nous asséner une thèse. Il laisse des questions en suspens, admet l'incertitude, compte avec l'ambivalence des hommes. En même temps, il ne passe rien à personne. Complexité jubilatoire.

 

L"écrivain s'épanouit dans les plis de l'ambivalence.

 

Surtout, Cercas se remet lui-même en cause en tant qu'homme de gauche "surplombant" les générations du passé et leurs failles. C'est courageux, singulier et grandiose.

 

On pense évidemment au 18 brumaire de Louis Napoléon, de Marx. Un livre fascinant et furieux qui dépeint la lutte des classes comme un metteur en scène implacable des évènements. Cette référence flotte en arrière-plan. Cercas n'a certes pas le génie de Marx. Mais celui-ci n'avait pas non plus l'ambition littéraire de notre contemporain espagnol.

Ce livre nous pousse aussi à  nous rappeler que chaque homme n'est que la somme de ses actes... Sartre s'il vous plaît.

 

Des hommes rangés, de manière certaine, dans la catégorie des crapules, peuvent révéler leur grandeur en un moment de crise. D'autres s'effondrent face au paroxysme. Dos au mur, la vérité  éclate. Et les héros sont rares. Devant les balles sifflant dans l'hémicycle, trois hommes refusent de ramper: un apparatchik issu du stalinisme, un politicien roué jugé sans principes, et un Ministre qu'on aurait pu résumer à un facho vieillissant.

Un homme ne se réduit jamais à son passé. Il peut surprendre, surtout dans la crise. Et cela nous console un peu de la veulerie ordinaire.

 


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commentaires

D
<br /> Moi aussi j'ai beaucoup aimé "Anatomie d'un instant" de Javier Cercas, comme tous les autres Cercas que j'ai lu d'ailleurs : "A la vitesse de la lumière", "Les soldats de Salamine" et "El<br /> Inquilino" (lu en espagnol)...Pour moi, la force de Cercas, c'est de travailler non seulement sur les faits, mais aussi sur la perception des faits par les personnages. Comme l'affirmait Bruno<br /> Etienne, mon maître en science politique, à propose de l'illusion : "les effets sociaux d'une illusion ne sont jamais illusoires..."; avec Cercas, nous arrivons à mesurer les effets des illusions<br /> des différents acteurs sur le cours de l'histoire. De plus, pour revenir à "Anatomie d'un instant", Javier Cercas nous autorise à prendre conscience du fait que les trois Hommes qui sont restés<br /> debout dans l'hémicycle au moment de la tentative du coup d'Etat appartiennent déjà au passé et seront utilisés par le Roi, en qualité de "plus petits dénominateurs communs" pour accélérer la<br /> transition démocratique...<br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Tu veux dire qu'il les a utilisé comme fusibles ?<br /> <br /> <br /> Certes.<br /> <br /> <br /> <br />

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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