" Anatomie d'un instant" : un mauvais titre pour un vrai chef d'oeuvre.
Le dernier ouvrage de Javier Cercas est édifiant d'intelligence, de sincérité. Il est un ouvrage d'histoire politique. Il est aussi littéraire dans le sens où il explore, dissèque les personalités en présence. Tout le monde y est responsable du coup d'Etat manqué de 1981 en Espagne, y compris Juan Carlos, y compris les socialistes dont Felipe. Mais l'auteur se met dans la peau de chacun des protagonistes. S'il produit une analyse du coup d'Etat, il n'essaie pas de nous asséner une thèse. Il laisse des questions en suspens, admet l'incertitude, compte avec l'ambivalence des hommes. En même temps, il ne passe rien à personne. Complexité jubilatoire.
L"écrivain s'épanouit dans les plis de l'ambivalence.
Surtout, Cercas se remet lui-même en cause en tant qu'homme de gauche "surplombant" les générations du passé et leurs failles. C'est courageux, singulier et grandiose.
On pense évidemment au 18 brumaire de Louis Napoléon, de Marx. Un livre fascinant et furieux qui dépeint la lutte des classes comme un metteur en scène implacable
des évènements. Cette référence flotte en arrière-plan. Cercas n'a certes pas le génie de Marx. Mais celui-ci n'avait pas non plus l'ambition littéraire de notre contemporain espagnol.
Ce livre nous pousse aussi à nous rappeler que chaque homme n'est que la somme de ses actes... Sartre s'il vous plaît.
Des hommes rangés, de manière certaine, dans la catégorie des crapules, peuvent révéler leur grandeur en un moment de crise. D'autres s'effondrent face au
paroxysme. Dos au mur, la vérité éclate. Et les héros sont rares. Devant les balles sifflant dans l'hémicycle, trois hommes refusent de ramper: un apparatchik issu du stalinisme, un
politicien roué jugé sans principes, et un Ministre qu'on aurait pu résumer à un facho vieillissant.
Un homme ne se réduit jamais à son passé. Il peut surprendre, surtout dans la crise. Et cela nous console un peu de la veulerie ordinaire.