Si vous n'avez pas abordé Truman Capote, il vous reste heureusement à découvrir "De sang froid", ce livre marquant qui inaugura le roman
réel, genre qui prospéra. Tous ces romanciers, qui aujourd'hui jouent avec la réalité, les faits divers en particulier, parce qu'ils dépassent toute fiction, sont les héritiers de ce livre là.
Qui parle de la violence humaine incommensurable, prête à surgir, n'importe quand. On peut en approcher la source, oui, car rien de ce qui est humain ne nous est étranger. Il reste que son
explosion a une dimension stupéfiante quand elle se produit .
Mais si vous voulez goûter rapidement le talent de Truman Capote, il y a ce petit récit de jeunesse (1948), découvert après sa mort : "La traversée de l'été". Un écrit où toute sa précision sensible se donne à voir.
Un écrit qu'il se permit de mettre au rencard, à peine évoqué dans sa correspondance, alors qu'il ferait pâlir de jalousie bien des auteurs. Le talent a quelque chose d'injuste, on ne peut le nier. Dès cette époque, Capote maîtrise absolument la technique romanesque, sait intégrer la densité qui convient à son récit, jouer des détails qui rendent vivante la narration. Impressionnant.
Truman Capote, c'est un style ambitieux. Mais avant tout une plume au service d'un hypersensible. Et Truman Capote c'est aussi - ce n'est pas son image - mais ça me frappe, un romancier du social, des barrières sociales, de la société de classes. Ce fond là. on le trouve dans "Déjeuner chez Tiffany's" mais plus encore dans "la traversée de l'été".
C'est un récit qui joue avec le thème universel de l'amour impossible, mais dans le contexte de l'époque.
A New York une jeune fille issue de la grande bourgeoisie financière s'éprend, on ne sait pourquoi d'un garagiste. Tout les sépare sinon leur ferveur. Ils jouent l'espoir sans trop y croire, en comprenant très vite qu'ils sont dans l'impasse sans se résigner à l'acter. Si la fille cherche à s'émanciper de son milieu et ne supporte pas d'avoir une destinée de débutante puis de femme du monde, le gars ne semble pas trop savoir où il va et reste de toute manière étanche, le focus étant mis sur les pensées de Grady, l'amante.
La relation durera le temps d'un été caniculaire. Un amour vécu comme une valse hésitation, et sans phrases. Si romantisme il y a, il s'exprime de manière minimaliste, par de petits actes significatifs.
New York est un personnage central du livre, souffrant de la chaleur, et pesant sur les réactions des protagonistes, que le narrateur regarde avec empathie. La ville est puissante chez Truman Capote. "La traversée de l'été" est avant tout un drame mis en scène par NY.
C'est un petit roman presque bourdieusien, je me permets de le souligner malgré l'anachronisme. Je me demande ce qu'en penserait Annie Ernaux, tiens... Les frontières sociales sont là, hyper solides et sans cesse tangibles, elles s'opposent à toute issue heureuse, mais pas seulement : elles enferment la fille et le garçon dans des gangues, elles les condamnent à des gestuelles, des attitudes, elles les empêchent de se mouvoir à l'aise sur le territoire de l'autre. Elles les éloignent continuellement, comme une force centrifuge. Seul l'amour physique est une passerelle solide entre ces deux là.
Ce n'est rien, c'est léger, une aventure entre deux jeunes. Mais c'est vite trop quand ça fissure l'ordre social. Ca ne peut se contenir et ça éclabousse. Ca sent peu à peu le drame. On y va tout droit.