Ce blog de lectures egotistes vient d'atteindre les 20 000 pages lues.
A 20 000 reprises, donc, un être humain a considéré qu'il n'avait pas mieux à accomplir que de venir sur un des 143 articles publiés sur ce Blog. Epatant, non ? Ben oui moi je trouve cela épatant. La vie humaine est finalement longue. Assez en tout cas pour qu'on perde son temps.
Car au lieu de cliquer sur l'article d'un inconnu sur un essai marginal d'Annie Lebrun ou sur la biographie de Colette Audry (mais qui ça peut intéresser franchement ?) on dispose tout de même d'alternatives. Je sais pas moi, regarder des photos d'aurore boréale, nettoyer son aquarium ou jouer à Donkey Kong 2 sur son son Smart Phone.
Peut-être vous ne me croirez pas... Mais des gens tapent "roman périurbain" sur google régulièrement. Et ils arrivent jusqu'ici.
Bon OK, des gens sont venus ont lu ou survolé (souvent parcouru sans doute parce que des fois c'est long), mais qu'en ont-ils pensé ? Peu de commentaires ont été laissés (115). En même temps c'est un peu logique, dites à quelqu'un "ça te dirait de commenter comme ça au débotté un article d'un inconnu sur une anthologie des pensées urbanistiques parue il y a trente ans ?" on comprend qu'il hésite à cet effort un peu désuet.
Parfois je reçois des messages privés, dont un franchement attendrissant : quelqu'un disant qu'il avait envie de lire mais ne savait pas où commencer. Et puis y a tous les lecteurs qui cliquent sympathiquement sur "Like". C'est courtois, continuez donc.
Mais peu d'insultes ou de saillies caustiques aussi. Une attitude donc majoritairement circonspecte mais polie.
Une amie et lectrice occasionnelle (je la salue ici, elle se reconnaîtra si elle va jusque là) m'a suggéré, afin de booster les consultations, de donner dans le "parisianisme". Je lui ai répondu que je ne le pouvais pas, étant toulousain (cette amie est parisienne). Elle m'a contre rétorqué à raison que le parisianisme n'était pas un concept spécialement géographique mais une attitude générale.
Donc, je pourrais déclencher des polémiques porteuses, du genre "La taille de l'edito dans le magazine LIRE est elle appropriée ?" ou encore proclamer "LISEZ MON BLOG, CELUI DE PIERRE ASSOULINE EST POMPEUX, SNOB ET DONNEUR DE LECONS A BON COMPTE"... Ce qui est vrai (en plus lui il doit être payé). Je pourrais aussi me concentrer sur des éloges de gens influents en leur envoyant une copie systématiquement. Cela m'attirerait des liens sans doute (au sens informatique).
Il est certes plus bankable de parler du roman fraîchement paru qui enflamme le débat public, j'ai pu le vérifier ici (car on n'y aborde pas que des machins underground loin s'en faut) que d'un recueil sur le comportement des socialistes pendant la première guerre mondiale ou d'un essai de Christopher Lasch.
Mais voila, en fait je m'en fiche un peu. Ce qui me plaît c'est de lire ce qui m'attire, de le fixer dans un bloc de mots pour en limiter l'évaporation, et de tenir le blog. 20 000 lectures depuis novembre 2010 (je crois), c'est très bien. 20 000 c'est quand même la moitié des effectifs du stadium de Toulouse, fichtre.
Quel plaisir égoïste de parler longuement d'un sujet qu'on a choisi pour soi, sans avoir besoin de céder la parole ou de la couper à autrui, d'attendre son tour, de s'imposer la liste des inscrits. Le monologue, c'est quand même une autre qualité de vie que la superposition des monologues.
20 000, ce n'est qu'un socle. Demain ce sera le grand bond en avant vers les 40 000 grandes voiles dehors. On y va tout droit. A moins que je sois empêché de lire. Mais il existe plein de malheurs qui laissent encore la possibilité de lire, voire qui en appellent à la fréquentation des ouvrages.
Il nous reste tant de possibilités. Nous n'avons pas parlé de Gogol par exemple (l'auteur russe, pas le chanteur punk) ou de Christine de Pisan. Ni de Dostoïevski, de François Villon (pas Fillon) . De Manara, du Castor ou de Guillaume Appolinaire. De Voltaire, d'Ovide, d'Antonin Artaud, de Yourcenar ou même de James Ellroy. La seule limite est de rester dans le champ de la publication reliée. Et ouais.
Je salue les curieux, les passants de hasard, les réguliers et appointés, les insomniaques, les quelques internautes fidèles, la famille et les copains, les auteurs cités qui pour certains sont venus jeter un oeil. Que ces derniers soient bénis, car c'est une folie de consacrer sa vie à écrire. Je salue les librairies que je fréquente et aime : Ombres blanches, les frères Fleury, terra machin truc rue gambetta à Toulouse. La Fnac aussi. Castéla, elle a fermé... Mollat à Bordeaux. Je salue les bouquinistes de nos marchés et ruelles (même si souvent ils sont ombrageux et entretiennent des tendances idéologiques suspectes). Je salue tous ceux qui agissent un tant soit peu pour qu'on ouvre des livres. Je salue les élèves qui viennent ici piquer des idées vite copiées pour leurs devoirs (ils tapent "résumé d'un Roi sans divertissement de Giono" sur google).
Quelle joie de fréquenter longuement des géants, des gens passionnants, des surdoués, des humains lumineux, des créateurs de mondes. Des Duras, Zadie Smith, Asimov, Freud, Maïakovski, Mme de Staël, André Breton, Montaigne, David Lodge, Catherine Millet, Alfred Doblïn, Georges Perec, Zoe Oldenbourg, René Char, Emmanuel Carrère, Irène Nemirovski, Baudelaire, Deschamps et Makaïeff, Annie Ernaux, Maya Angelou, Louis XI, Boris Vian, Perez Reverte... Et tant d'autres que vous pourrez croiser dans ce blog.
Voici ce que Carlos Fuentes disait d'eux : "On doit avoir très peur d'écrire. Ça n'est pas un acte naturel comme manger, ou faire l'amour. D'une certaine façon, c'est un acte contre nature. C'est dire à la nature qu'elle ne suffit pas, qu'il faut une autre réalité, l'imagination littéraire. "