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22 juin 2011 3 22 /06 /juin /2011 08:10

zadiesmith.jpg Zadie Smith est perçue comme le grand espoir de la littérature mondiale. Elle n'a pourtant que 36 ans et publié que trois romans, mais l'espoir est justifié.

 

En 2007, j'avais lu le dernier d'entre eux : "De la beauté". C'est un peu ancien pour que j'en parle ici de manière digne d'intérêt. Mais je formule le souvenir d'un livre lumineux et baroque, magnifique, s'inscrivant résolument dans la tradition classique du roman : des personnages étoffés dont on explore la psychologie, une quête de la beauté du monde à travers la description. Et ce qui devient malheureusement rare dans la post-modernité où le "Je" a tout envahi : l'écriture dite "à la troisième personne". La technique du narrateur omniscient.


"De la beauté" est un roman du métissage, qui confronte des individus supposés "transculturels", les frotte à des difficultés, tout en arpentant les lignes de fractures diverses et contradictoires : conflits de générations, de classes ; clashes des capitaux culturel et social. L'intrigue s'articule autour des liens entre deux familles : l'une noire, anglaise et conservatrice ; l'autre métisse (père blanc, mère noire), américaine et progressiste. Chaque personnage n'est jamais vraiment à la place où on l'attend. Et l'on démontre que vivre dans la différence est beau et difficile (parce que vivre les uns avec les autres est une gageure). Dans cette toile de personnages, ce qui se joue c'est notre vie contemporaine : celle d'un monde décloisonné, mobile, où il faudra bien apprendre à être heureux tous ensemble.

 

Zadie Smith, jeune femme de père anglais et de mère jamaïcaine, explore donc ces mondes métisses. Sans user de facilités. Sans défendre de cause particulière. C'est son univers ou en tout cas celui qui l'intéresse, et elle peut y traiter de questions universelles aussi bien qu'ailleurs.

 

Je viens de lire le roman précédent, écrit en 2002, à 25 ans à peine. "L'Homme à l'Autographe" ne respire certes pas la même maturité que "De la beauté", mais est déjà une oeuvre de grande classe.

 

L'intrigue se situe dans un Londres plutôt populaire et partiellement à New York. Le personnage principal en est Alex Li-Tandem, anglais de mère juive et de père Chinois. Alex a substitué à des traditions spirituelles qu'il connaît mais qui ne lui parlent pas, un culte pour le passé, tel qu'il s'incarne dans le cinéma d'avant guerre et ses figures glamour, dont une actrice américaine inconnue qui le fascine. De sa passion, Alex vivote, dans un milieu de collectionneurs de fétiches au sein duquel il s'impose comme un bon courtier en... autographes.

 

Nous allons suivre cette quête du sacré, du graal laïque. Alex recherchant depuis toujours un autographe de Kitty Alexander, actrice déchue et introuvable. Une quête qui nous montrera la force du sacré, de la transcendance, sa vacuité finalement. Et les liens entre narcissisme et spiritualité.

 

On songe à l'influence, dans le picaresque urbain, de l'extraordinaire roman "La conjuration des imbéciles" de John Kennedy Toole (lâchez tout si vous ne l'avez pas lu !)( Rire d'en lire).

 

On a l'impression que Zadie Smith crée d'abord des personnages. Qu'elle les médite longuement. Puis elle les jette dans la rue londonienne. Ils deviennent ensuite simplement ce qu'ils sont. Et leurs origines ne les limitent en rien. Parvenu à un certain point, tout cela ne compte plus, on oublie cet arrière-plan culturel ou ethnique. Narratrice omnisciente, elle  "couve" ses créatures mais en leur laissant leur part d'étrangeté - le fameux espace de liberté du lecteur.

 

J'ai lu dans la plaisante revue "Books" que Zadie Smith a fait paraître un essai ("Prospect") où elle explique assez longuement sa méthode d'écriture. Et bien vivement qu'il soit traduit !

 

Surtout, Mme Smith aime ses personnages, qu'elle aime préserver au final et traite avec douceur. Elle apprécie les êtres humains et nous montre leur lumière.

 

Elle se meut à l'aise dans son époque tout en se situant très explicitement dans la continuité d'une histoire littéraire dont on sent la présence autour d'elle, pendant qu'elle écrit.

 

N'est-ce pas rafraîchissant et consolant ?

 

("L'homme à l'autographe" et "De la beauté" sont disponibles en poche chez Folio, ainsi que "Sourires de Loups" son premier roman. Acquis par mes soins mais non encore lu...)

 


 


 


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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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