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15 mai 2011 7 15 /05 /mai /2011 09:33

 

damien-hirst.jpg Jean Clair, voix qui compte dans le monde des Arts plastiques, mérite sans nul doute le qualificatif de "décliniste".

 

Je suis toujours embêté avec ces penseurs de la Chute, car ils ont partiellement raison. On ne peut pas nier que notre monde soit en crise. Et quand ils déplorent sa marchandisation, le nihilisme qui en est la conséquence, l'effacement même de la notion de dignité humaine, le relativisme cynique qui contamine la culture, le mépris grandissant pour la notion de transmission ou même de formation, ils frappent juste.

 

Mais pourtant... je ne peux pas les suivre... Car, soyons sérieux, il est bien difficile de se résoudre à l'idée simple que "c'était mieux avant". Il n'y aurait plus qu'à désespérer. Et quand on se plonge dans le passé, ce que nous avons expérimenté souvent dans ce Blog, il est difficile d'envier le sort de nos aînés.

 

Dans son dernier pamphlet, "L'hiver de la culture", Jean Clair poursuit sa critique acerbe de l'art contemporain. Il lui reproche d'avoir pris au sérieux les blagues de Marcel Duchamp et de Dada, de les avoir érigées en nouvel académisme, et d'avoir tué l'idée selon laquelle l'art est au service d'une transcendance.

 

L'art était autrefois au service du sacré, et sans sacré les hommes sont dispersés, sans dessein commun qui les rassemble. Sur cette ligne, la pensée de Jean Clair rejoint me semble t-il celle de Régis Debray (dont l'essai "Sur le pont d'Avignon" publié dans la même collection a des accents très proches, même si l'ancien révolutionnaire n'a pas remisé tout espoir).

 

Et Clair martèle des idées sur lesquelles on ne redira rien : le marché de l'art est devenu une place boursière dérégulée (sans repères) où le plus malin, et non le plus talentueux, spécule habilement. L'artiste célèbre le doit à ses qualités de Trader. Ainsi Jeff Koons qui en a d'ailleurs le look.

Mais ce n'est pas vraiment une découverte...

 

Le culte de l'originalité et de l'authenticité (au sens où on montre tout) tiennent lieu de seules valeurs esthétiques. Le seul conseil que l'on peut aujourd'hui délivrer à la jeunesse en matière d'art, c'est "express yourself !". Un peu court.

Mais on le percevait...

 

L'art sombre souvent dans le systématisme du sacrilège et du cradingue. Partout, l'étalage de l'excrêment, de la cruauté, de la pourriture, du sang, du morbide, est synonyme de talent. Clair évoque une oeuvre que j'ai pu voir en 2005 au CAPC de Bordeaux, appelée "la machine à merde" (l'artiste a créé une sorte de turbine produisant constamment de la merde artificielle...). Et si je me rappelle avoir souri un instant devant cette blague potache, je ne me souviens point d'avoir éprouvé une émotion, une fulgurance esthétique ou une révélation. Plutôt du dégoût à vrai dire : ce ressenti qui envahit Jean Clair depuis longtemps : il se dit lui-même "atrabilaire".

 

(Le même jour, dans la grande salle du CAPC, il y avait une oeuvre qui consistait en un tas géant de bonbons sur le sol. J'ai alors vécu une scène particulièrement parlante. Un des gardiens du musée, s'ennuyant, est allé vers le tas, a pris un bonbon pour le manger, jetant négligemment le papier brillant à la poubelle.  J'ai alors saisi que l'oeuvre n'existait pas réellement. Qu'on ne pouvait même pas la distinguer, qu'elle ne suscitait aucun respect, aucune curiosité. Son seul attrait était l'anachronisme, et passée cette impression, il ne restait plus qu'à manger les bonbons. Le gardien avait tout compris.)

 

Ce que Jean Clair reproche aux musées et aux grands lieux culturels, c'est de ne point résister à ces logiques mortifères, mais au contraire de les légitimer, ce qui permet leur valorisation marchande.

 

Jean Clair touche des évolutions que nous avons tous éprouvées. Mais de manière étonnante il saisit l'art contemporain comme un bloc. Il me semble que comme la littérature, la musique et le théâtre, les arts plastiques sont travaillés par des contradictions. Et Jean Clair les ignore sciemment, tout à sa déploration.

 

Peut-on résumer un musée à un lieu d'"idôlatrie" pour la culture, où plus rien ne serait éprouvé, où on passerait pour être dans le coup de son époque ? Où des foules indignes trépigneraient, sans intérêt véritable pour les oeuvres , qui dans la confusion totale des valeurs auraient perdu toute portée .

 

Je ne le crois pas. Je n'ai pas reçu d'éducation esthétique, mais je garde un souvenir très fort des beaux musées que j'ai pu approcher, grâce à la politique culturelle que Clair méprise,  Et si ne n'en avais retenu que quelques impressions, resurgissant de temps en temps, ce serait déjà beaucoup.

 

Surtout, si nous vivons un "hiver", quand retrouve t-on un "été de la culture" dans le passé ? Jean Clair et consorts (Finkielkraut par exemple) pensent-ils sérieusement que la France du début vingtième siècle était un gigantesque salon de Mme Verdurin où l'on échangeait des mots d'esprit raffinés et feuilletait les critiques d'art ? Comme ils semblent croire que tous les français lisaient Proust. On peut regarder avec condescendance un type qui met un tee shirt floqué Van Gogh... mais son arrière grand-père ne passait pas forcément son temps à contempler des gravures à la Bibliothèque Nationale non plus.

 

Les déclinistes ne sont pas tous de fieffés réactionnaires. Il y en a parmi eux qui sont attachés aux valeurs de la République, comme ceux que l'on vient de citer. Mais ils confondent sans doute les principes républicains indépassables et la réalité de la République qui a toujours été une promesse encore à tenir, et un champ de bataille où il a fallu arracher chaque progrès. Les déclinistes républicains croient en particulier à une "école de Jules Ferry" pârée de toutes les vertus. Il n'en était rien. Elle remplissait tout à fait son rôle de reproduction sociale, de domestication de la révolte, et fut une école du nationalisme anti allemand. La brutalité et l'humiliation y avaient leur place.

 

Le problème fondamental de ces intellectuels pessimistes, c'est tout de même une illusion d'optique, une question de point de vue défaillant : ils confondent systématiquement l'évolution des élites et celle du peuple en général. Si l'Ecole Normale Supérieure ne produit plus des Jaurès, des Sartre, c'est pour eux le signe d'un abaissement général du niveau culturel de la population...

 

Et Clair ne peut ainsi éviter de tomber dans un certain élitisme pédant, y compris à travers son style d'écriture. Le genre d'écrivain à utiliser souvent le terme allemand "Weltanschaung" sans note de bas de page... au lieu de "vision du monde"... certes plus banal mais moins smart. Mais pour qui écrit donc monsieur Clair ? A qui s'adresse t-il ? Pas à ceux qui aimeraient qu'on les aide à découvrir les immenses contrées de la création.

Pour ma part je trouve assez encourageant et pas du tout écoeurant que les rues de Paris soient envahies lors des nuits blanches organisées par la Mairie. Je trouve que les files d'attente devant le Louvre, devant les expositions (dont celles organisées par le Commissaire  Jean Clair) démontrent une soif de culture. Une envie de sens, de beauté. Bien prétentieux est celui qui voudrait résumer ce qu'on y cherche et y trouve.

 

Je sors donc de cette lecture un peu déçu et avec des regrets. Car après l'étalage neurasthénique, je m'attendais à des contre-exemples, à un appel en faveur d'une conception nouvelle de l'art, à des idées pour un musée renaissant, à un propos sur l'éducation artistique - sans doute le vrai moyen pour faire exploser la "bulle spéculative" et artificielle qui s'est formée sur l'art contemporain.

 

L'auteur effleure à peine ces idées, en quelques lignes tardives qu'on aurait voulu voir éclore. A la toute fin du livre, il confesse son espoir pour le retour d'un art tourné vers l'idée de Beauté. Et il conclut son essai en le dédiant aux artistes ensevelis par la tornade du moderne et du post-moderne. C'est donc qu'ils existent ! Et Jean Clair avait oublié de les évoquer, tout à son exercice de rancune envers la tournure du monde. Dommage.

 

Partager son admiration pour un artiste, Jean Clair en est pourtant fort capable : c'est ce qu'il réalisa à propos de Zoran Music dans un bel essai intitulé "La barbarie ordinaire". C'est cet écrivain que j'aurais aimé retrouver. Mais il apparaît rattrapé, rongé par l'amertume.

 

 

 

 

 

 

 

 

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30 mars 2011 3 30 /03 /mars /2011 08:10

redon.jpg Franciliens ! Vous ne mesurez pas, avouez-le, la chance qui est la vôtre. Vivre à la portée des joyaux de la création humaine. Vous n'en profitez pas assez. J'ai vécu deux ans et demi à Paris, j'y ai puisé certes, mais j'ai honte d'avoir cependant raté tant de beautés qui s'offraient alors à moi. Par paresse. Je gagnais pas mal ma vie et je n'ai même pas l'excuse de la barrière financière... Je ne suis même pas allé voir le musée Picasso, alors que j'habitais pendant un an juste à proximité.  Mais j'ai quand même goûté des choses magnifiques : du théâtre, le musée Rodin, la Sainte-Chapelle, l'Institut du Monde Arabe ou simplement Versailles qui est sans doute le "monument" le plus marquant que j'ai vu dans mon existence certes très sédentaire (avec l'Alhambra de Grenade).

 

Nous, provinciaux, ne disposons parfois que de la reproduction standardisée pour approcher ces trésors. Et d' initiatives heureuses comme les très réussis "Hors Série de Télérama", dont le dernier consacré au peintre Odilon Redon, auquel est consacrée une exposition au Grand Palais.

 

Je me souviens d'une journée ensoleillée à Paris, en mars 1999 très exactement. Après une matinée qui fut une des plus importantes de ma vie, j'avais de longues heures à perdre, en pleine semaine, avant de monter dans mon avion de retour vers Toulouse. Alors je suis allé visiter, seul, le musée d'Orsay. En passant à pied par le pont des Arts où les statues d'Ousmane Sow étaient encore exposées. Sympa la ballade.

 

Il se trouve que je ne suis pas un esthète, ni un contemplatif. Je n'en ai pas la fibre. L'art m'attire, je le concède, avant tout comme "superstructure". Comme expression des lames de fond de l'histoire humaine. Comme symptôme finalement. J'ai le regret de ne connaître que rarement, devant l'art, un plaisir purement esthétique. Encore que ce plaisir s'accroît, les années passant.

 

Pourtant, ce jour de 1999, je m'en souviens bien, j'ai été saisi par une peinture d'un peintre qui ne m'évoquait rien, Odilon Redon. Et j'en ai conçu un émerveillement immédiat, sans besoin d'en passer par l'étape de la Raison. Il s'agissait, si ma mémoire ne me trahit pas -mais elle a sans doute recomposé partiellement la vision-, d'un cheval dressé, dans un nuage rouge saturé. Pégase sans doute.

 

jpg_Odilon_Redon_-_Le_char_d_Apollon_-_1897.jpg Ce seul moment a gravé en moi en lettres d'or le nom d'Odilon Redon. Et donc, je n'ai pas hésité une seconde avant de me procurer chez mon vendeur de journaux (qui fait la moue quand j'achète Libé... il a pas du voter pour le Parti Ouvrier Internationaliste aux cantonales celui-là)...) le HORS-SERIE, réalisé comme d'habitude avec le plus grand soin, que Telerama vient de consacrer à ce précurseur du symbolisme. Et donc à ce pionnier de la modernité, réalisant, alors que l'âge industriel incitait au réalisme, un renversement de perspective gigantesque. Il ne s'agira plus bientôt de décrire au mieux la réalité extérieure. Mais de rendre visible ce qui ne l'est pas. Cet invisible que quelque chose en nous (on appellera ça bientôt l'inconscient) perçoit et reformule dans le rêve (Redon fut qualifié"le prince des rêves"). Seule une révolution de la forme pourra permettre cette expression. Et la voie est tracée, qui mènera des mouvements impressionniste ou symboliste, à l'art abstrait et au surréalisme. L'art ne sera plus jamais le même.

 

Si je ne partage pas les présupposés platoniciens des symbolistes, tels que formulés par Baudelaire dans son poème que nous avons tous lu, "correspondances", ce mouvement a porté un coup fatal, avec d'autres courants, à un conservatisme culturel, celui qui sied au parti de l'"ordre". Et c'est encore une raison de l'admirer. La subjectivité (l'autre nom de la liberté) va l'emporter contre les vérités révélées et imposées. Tant mieux. Dieu meurt et entraîne dans sa chute l'art qui se soumet à lui depuis tant de siècles.

 

Mystérieux, cet Odilon Redon, lui-même un petit bourgeois dont la biographie n'incline en rien à des attitudes avant-gardistes, et qui dynamite l'académisme, annonce les peintres de la bande à André Breton, en dessinant des monstres imaginaires, par extrapolation de ses lectures du sulfureux Darwin. Toujours cette interrogation... continuelle dans ce blog, sur le fait qu'une oeuvre ne soit pas réductible à la vie de son auteur ni à son inscription dans le monde social. Elle transcende tout cela.

 

Mais avant tout, le Redon que j'aime est le Redon tardif. Le Redon qui se réapproprie la couleur de manière unique. C'est ce traitement de la couleur qui lui permet d'aborder aussi merveilleusement un plan de rencontre entre le rêve - son rêve - et le réel, toujours là. L'utilisation du Pastel poudroyant sert mieux que tout ce projet. Mais les huiles y parviennent aussi. Enchantement purement esthétique, donc, que je ne parviens pas à m'expliquer. Sortilèges que ces couleurs assombries, acidulées, brumeuses et puis d'un seul coup violemment contrastées.

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


ete2010-035.jpg

 

 

D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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