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25 avril 2012 3 25 /04 /avril /2012 09:55

 

 

9782228906678.gif Pendant les trois dernières décennies, l’usage même du mot « capitalisme » était ringardisé, assimilé à la vieille critique sociale, censée être disqualifiée. On parlait plutôt d’économie de marché (terme imprécis et euphémistique), ou même tout simplement d’ « économie moderne », donc la seule possible aujourd’hui… L’Histoire était censée se terminer avec la chute du bloc soviétique. Le schéma Hégélien de l’Histoire, comme le feu dans la Guerre du même nom, avait été dérobé par la tribu des libéraux à la peuplade des révolutionnaires.

La crise des subprimes et ses suites, c’est-à-dire en vérité  la crise du capitalisme à son stade d’obésité financière, conduit à se poser à nouveau crûment la question que Joseph Schumpeter abordait dans un chapitre de « Capitalisme, socialisme et démocratie » rédigé au milieu des années 30 : Le capitalisme peut-il survivre ? Les éditions Payot ont eu la bonne idée de republier le chapitre sous ce titre parlant…

Le capitalisme peut-il survivre ? Et nous avec lui devrait-on continuer… Car comme le disait l’auteur lui-même, la disparition prévisible de ce mode de production ne nous dit rien sur sa suite … Et l’humanité peut sombrer dans la barbarie la plus complète, la Prison pour tous à nouveau, ou tout aussi bien dans un modèle de vie et de développement plus humain et enfin réellement démocratique.

Je ne dis pas cela pour démoraliser les lecteurs de ce Blog, mais bon… Si l’on perçoit assez nettement l’avancée vers le précipice sous le poids de l’avalanche inégalitaire, la stagnation de la croissance, la dangerosité de la bulle financière toujours au bord d’exploser, la destruction du patrimoine naturel… le visage de l’alternative a pour sa part du mal à se dessiner, c’est le moins que l’on puisse dire. Et si on se dit à nouveau volontiers « anticapitaliste » sans risquer une hospitalisation d’office, il est bien difficile d’apercevoir la Terra Incognita derrière les nuages.

Schumpeter fut un économiste hétérodoxe, dialoguant avec l’économie marxiste mais marchant son propre chemin, celui d’un original. Il a laissé des concepts majeurs à la théorie économique, telle que « la destruction créatrice » ou « les grappes d’innovation ».  Lire ce chapitre de l’un de ses ouvrages majeurs est étonnant, car Schumpeter s’y risque à des prédictions. Avec une part de prescience, des erreurs aussi. Et aussi des pressentiments qui ne se confirmeront que bien plus tard.

Pour Schumpeter, et en cela sa pensée ressemble quand même à celle de Marx, le capitalisme est appelé à mourir sous les coups de ses propres succès, qui minent ses fondements.

Comme Marx, Schumpeter se dit impressionné par le dynamisme de l’économie capitaliste. Et il reconnaît que son développement a profité largement aux masses en améliorant le niveau de vie général, du fait des innovations. D’ailleurs finalement, les très riches n’ont que peu d’intérêt au progrès technique qui est au cœur de la croissance capitaliste : « l’éclairage électrique n’améliore pas grandement le confort de quiconque est assez riche pour acheter un nombre suffisant de chandelles et pour rémunérer des domestiques pour les moucher ».

L’économie privée vise certes à comprimer la production afin de réaliser des profits. Elle est un corset qui empêche la production de s’émanciper pleinement. Et Schumpeter propose que l’on rebaptise le profit comme « dîmes et rançons »…  Mais le capitalisme reste malgré tout un mode de production très dynamique. Quel est son moteur ? Et bien c’est là que surgit la fameuse « destruction créatrice » : l’impulsion fondamentale, c’est le nouvel objet de consommation, le nouveau moyen de transport, la nouvelle organisation de la production. Bref, ce qui crée la croissance, contrairement à ce que prétendent les libéraux, ce n’est pas la flexibilité des prix, c’est l’innovation. Et il n’y a pas de limite théorique à l’innovation.

Le capitalisme se développe en détruisant constamment ses éléments vieillis.

Un élément fondamental du capitalisme observé par Schumpeter est le « monopole », l’entreprise géante. Il dispose de nombreux moyens pour asphyxier la concurrence, et pour lutter contre le progrès technique lui-même.  Mais le monopole ne produit pas forcément à un prix plus cher qu’une entreprise jetée dans la concurrence. En effet, la concurrence est coûteuse à maints égards, elle affaiblit les protagonistes en lutte, elle oblige à des frais publicitaires énormes, etc…

Tous ces constats reviendront sur le devant de la scène lorsqu’il s’agira, aux Etats Unis, de discuter de la réforme du système de santé proposée par Barack Obama, le système concurrentiel étant beaucoup plus coûteux que les modèles publics monopolistes. Schumpeter avait vu juste.

Surtout, et là je trouve Schumpeter génial, l’innovation serait en réalité impossible à introduire dans une économie vraiment concurrentielle. Pour que l’on prenne le risque d’innover, et d’introduire le nouveau produit sur le marché, il faut nécessairement être protégé, sinon à quoi bon sortir le bout du nez pour être croqué ? Donc la société invente sans cesse ces types de protection. Les sociétés qui ont inventé le chemin de fer ont bénéficié de toute la sollicitude des pouvoirs publics, bien évidemment. Et même Microsoft à ses débuts. Qui serait allé leur savonner la planche ? La croissance ne peut pas sérieusement se réaliser dans une économie de libre marché telle que la rêve les libéraux. La grande entreprise monopoliste est donc l’avenir du capitalisme. Et elle en prépare la disparition en sapant la concurrence. Schumpeter règle son sort à la théorie économique dite classique (bourgeoise convient mieux), en quelques chapitres de bon sens. Le culte de la concurrence libre et non faussée, de la flexibilité des prix, est aussi efficace que la danse de la pluie….

C’est aussi sur le plan culturel que le capitalisme se saborde. Le capitalisme, culturellement, c’est le calcul. Ce mode de production a été le moteur du rationalisme. Le capitalisme est foncièrement anti mystique, anti héroïque, anti romantique. Schumpeter le juge aussi pacifiste par nature, et là il exagère… (L’homme d’affaires n’a pas envie d’aller au front, mais la guerre faite par d’autres ne le trouble pas si elle ne nuit pas à la réalisation de profits. Je crois qu’il n’y a pas de doute sur ce point….)

L’entreprise devient rationnelle, se complexifie, s’automatise, et se dépersonnalise. Donc le capitaliste –le capitaine d’industrie – perd sa raison d’être.  L’évolution capitaliste « dévitalise la notion de propriété ». Apparaît ainsi la société par actions, où l’anonymat l’emporte.

L’autorité du capitaliste s’effondre peu à peu : « l’appropriation dématérialisée et absentéïste (…) ne provoque pas et n’impose pas, comme le faisait la propriété (…) une allégeance morale ». Le capitalisme est appelé à disparaître, car personne ne sera pour le défendre en somme.

Et là Schumpeter a eu tort et raison. L’apparition des stock-options, ce procédé tordu qu’il n’avait pas imaginé, lui donne raison, finalement, car c’est bien le moyen trouvé pour arrimer les dirigeants des grandes sociétés aux intérêts des actionnaires. C’est bien que des forces puissantes tendent à les séparer. Les productifs ont tendance à s’entendre entre eux, et les actionnaires le savent, alors ils s’arrangent pour les diviser.

 

Mais contrairement aux prévisions de Schumpeter, me paraît-il, l’anonymat des actionnaires a affaibli l’opposition au capitalisme. L’ennemi du travailleur, celui qui se nourrit de son travail,  est perdu dans les nuées de la mondialisation, il est parfois très loin, anonyme et atomisé (les cotisants des fonds de pension). Il est invisible et ne porte plus frac et haut de forme. Alors que le défilé ouvrier, à ses débuts, levait le poing pour effrayer le bourgeois, il doit aujourd’hui passer par la théorie pour comprendre le rapport social qu’il subit. Et l’on profite de cette difficulté pour désigner aux travailleurs d’autres cibles : le voisin qui ne travaille pas, le plus pauvre que soi, l’étranger…

Il reste qu’en développant la rationalité, et notamment en élevant le niveau d’éducation, le capitalisme éduque ses propres ennemis. Et ici Schumpeter a des accents prophétiques, notamment à l’égard de mai 68, mais aussi de notre époque :  le capitalisme crée une « surproduction » d’intellectuels, qui ne trouvent pas satisfaction dans ce monde là et se retournent contre lui. La critique sociale est animée par ces intellectuels, qui se sont aussi emparés des bureaucraties autrefois favorables au capital (aujourd’hui les fonctionnaires sont relativement hostiles au capitalisme).

Ce que Schumpeter n’avait pas pressenti tout de même, c’est l’immense frustration de ces citoyens éduqués devant la confiscation évidente de leur souveraineté par les détenteurs de capitaux. Bref, la contradiction entre l’homme démocratique qui sort du système d’éducation, et la réalité d’un monde où la démocratie est niée par la force du capital. Contradiction qui menace d’éclater en violentes crises sociales et politiques.

Autre conséquence du rationalisme bourgeois, qui éclatera en mai 68, et continue depuis à exacerber des contradictions : la famille bourgeoise se désintègre. Et avec elle le moteur classique du comportement capitaliste : investir pour l’avenir, pour la descendance. L’horizon de l’homme moderne c’est la durée de sa propre vie, ce n’est pas l’épargne à l’égard des générations futures qui occuperont la même demeure. En lisant ces phrases, j’ai songé immédiatement à la différence entre le père et le fils Lagardère : le père était un capitaine d’industrie innovant, dévoré par son projet de développement, portant un rêve industriel, et travaillant pour la postérité des Lagardère. L’héritier est un jouisseur, un narcisse, il se désintéresse de l’industrie et s’intéresse à l’immédiateté, c’est-à-dire au secteur de la communication. Et il n’est pas étranger aux errements d’EADS et d’Airbus car le long terme a été perdu de vue.  Le père était aspiré par le futur, le fils obsédé par le présent et préoccupé de conjurer le temps qui passe , comme le montre son comportement ridiculement jeuniste.

Schumpeter voyait ainsi se profiler ce qui arrive aujourd’hui : la stagnation de l’investissement productif , la fuite des capitaux dans la bulle financière et l’obsession du profit à court terme. Une logique qui peut, comme l’a titré un essai d’économie à succès de ces dernières années, conduire le capitalisme « à s’auto détruire » (Artus/Virard).

Schumpeter n’avait pas pu voir d’autres logiques d’auto destruction de ce mode de production : la consommation aveugle et gloutonne de la planète d’abord, qui sape les ressources dont la croissance des richesses a besoin. Et aussi l’immense creusement des inégalités, la généralisation de la précarité, qui redonnent toute sa valeur à la phrase de Marx selon laquelle le capitalisme « crée ses propres fossoyeurs », cette armée de gens qui n’ont rien à perdre.

Si l’explosion, l’implosion, ou l’effondrement se profilent, nous devrions nous hâter de préparer la suite.

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21 août 2011 7 21 /08 /août /2011 09:35

abolitionprivileges.jpg

Ayéééééééé.

Je l'ai lu ce fameux livre dont on parle partout (ou presque...). Ce petit livre orange au titre enflammé, au contenu plus modéré.

 

" Pour une révolution fiscale" (Camille Landais, Thomas Piketty, Emmanuel Saez) n'est pas à proprement parler un libellé révolutionnaire comme son nom l'indique. C'est un ouvrage tout à fait réformiste (si ce mot galvaudé plus que tout autre et si la distinction réforme/révolution signifient encore quelque chose de tangible, ce dont on peut douter).

 

Les auteurs, trois chercheurs qui ne cachent pas, malgré quelques pudeurs, leurs sympathies pour une gauche modérée, y proposent une refondation globale de notre "pot commun", à savoir de la fiscalité française. Démontrant au passage qu'il est encore possible, dans le cadre national, de procéder à des choix politiques, peut être pas décisifs mais significatifs. Des choix qui nourriraient en tout cas notre démocratie vidée de sa substance et s'apparentant de plus à plus à un théâtre d'ombres parfois, de boulevard en ce moment (avec la scène de la maîtresse dans le placard).

 

Le principal mérite de ce livre est de démystifier le sujet, et de casser un certain nombres de croyances qui n'ont rien de fortuites

 

La moitié de notre revenu national (le PIB moins les amortissements du capital) est consacrée aux impôts. Soit 820 milliards d'euros. Ce qui déjà en soi montre l'absurdité du "bouclier fiscal"... Quand une société consacre 49 % de sa richesse à l'impôt, comment s'étonner que certains soient imposés au delà de 50 % ?

 

Cette proportion stagne désormais, et cela depuis que la croissance s'est affaiblie. Tout se passe comme si la faible augmentation des revenus ne laisserait pas supporter une part de transfert encore augmentée.

 

Mais la principale richesse, six fois supérieure au revenu (un pic dans notre Histoire), c'est le patrimoine (le revenu moyen par tête avant impôt est de 33 000 euros, le patrimoine de 182 000 euros).  


Qui voudrait une société égalitaire devrait s'attaquer à cette partie immergée de l'iceberg. Ce que le livre ne propose pas, d'ailleurs, s'en tenant aux revenus (au flux et non au stock) même s'il décrit l'ISF comme un "impôt d'avenir". 50 % des français les moins dotés possèdent 4 % du patrimoine. Les 10 % les mieux dotés en possèdent 62 %...

 

 

La répartition des revenus est déséquilibrée elle aussi (même si elle l'est moins que celle du patrimoine).  10 % des revenus les plus élevés disposent de 31 % du revenu national.

 

Le système fiscal déraille, si l'on s'en réfère à des critères de justice sociale : il est progressif jusqu'aux "classes moyennes", et devient ensuite régressif, et de plus en plus régressif quand on atteint les hauteurs de la pyramide des revenus... Ainsi les français qui gagnent moins de 2000 euros sont-ils imposés pour une plus grande part que ceux qui gagnent plus de 7000 euros par mois (avec jusqu'à 10 points de différence).

 

Les impôts sur la consommation en sont responsables, mais pas seulement. L'impôt sur le revenu, censé incarner la progressivité, est en vérité un accélérateur d'injustice, à force d'être dépecé par les "niches". Les revenus financiers échappent largement à la progressivité de l'impôt, et de fait les chômeurs sont plus imposés que les actionnaires ! Le total des dividendes déclarés arrive, par soustractions multiples, à 14 milliards d'euros. Contre 29 milliards pour les allocations chômage...

 

Face à l'opacité du système, à son absence de lisibilité pour le citoyen, et pour rémédier à l'insuffisance de progressivité, les auteurs proposent une réforme très précise. Et c'est l'aspect le plus original et il faut le dire assez remarquable de ce travail : relever le défi de la vie pratique, ne pas se contenter de beaux principes sur l'équité fiscale, mais dire à qui on prend en plus, à qui on demande moins. C'est une démarche rare et intéressante, qui soulève on le verra en conclusion de vastes enjeux politiques.

 

La clé de voûte de la réforme est de fusionner l'impôt sur le revenu et la CSG dans un grand impôt progressif prélevé à la source. L'assiette de ce nouvel impôt sera donc celle de la CSG, plus large que celle de l'IR.

 

Le livre propose ainsi le barème du nouvel impôt, défini en taux effectif (le pourcentage est appliqué à tout le revenu) et non marginal (aujourd'hui c'est un taux marginal. C'est à dire qu'il s'applique pour la partie de revenu qui est dans la tranche, contrairement à ce que répandent les discours antifiscaux qui laissent croire que le taux maximal atteint s'applique à l'intégralité du revenu).

Le Front Populaire, en la personne de Vincent Auriol avait déjà institué ce système très clair de taux effectif, mais les conservateurs avaient renâclé, trouvant qu'on opposait trop les français en affichant leurs revenus et leurs contributions... Et le régime de Vichy était revenu à des taux marginaux, non remis en cause depuis.

 

Avec cette clarification apportée, chacun pourra très bien comprendre qui paie quoi, en toute transparence. Et la progressivité réelle du système apparaîtra au premier coup d'oeil, pas besoin d'équation à douze chiffres.


Le barème proposé est progressif. Mais les auteurs montrent que selon les choix politiques il peut être modulé. Dans le barême qu'ils proposent, 3 % des contribuables paient plus qu'aujourd'hui. En dessous de 6000 euros de revenu brut mensuel, on paie moins. 1 % du revenu national est redistribué, soit 15 milliards. Ce n'est pas la nuit du 4 août 1789.

 

L'argument privilégié contre cette réforme serait qu'elle inciterait les plus aisés à quitter la France. Les auteurs montrent que cela serait marginal, car c'est l'organisation actuelle de l'impôt qui favorise l'évaporation fiscale, créant des recoins multiples où les fiscalistes peuvent éviter la perception... De plus, les actionnaires français tirant des dividendes d'activités délocalisées sont imposés en France. Le seul risque serait de perdre encore quelques joueurs de foot...

 

L'impôt doit devenir individuel : l'Etat n'a pas à favoriser des modèles familiaux. De plus, l'imposition conjointe des  couples désincite les femmes à travailler (lorsqu'elle reprenne un travail bien rémunéré, elles sont surtaxées) et pose donc un problème d'égalité hommes-femmes majeur. Les auteurs proposent d'ailleurs une réforme des congés parentaux, qui doivent prévoir une imputation minimale des deux membres du couple.

 

Toujours sur le champ familial, il serait temps d'en finir avec le sort réservé aux 18-25 ans, oubliés du système de redistribution et sous la coupe de leurs parents qui tiennent les cordons de la bourse et reçoivent les avantages. Les auteurs se rallient donc à la vieille revendication d'un revenu pour les jeunes, financé par redistribution des aides apportées aux parents (quotient familial).

 

En ce qui concerne la question primordiale des cotisations sociales, qui étrangement intéresse moins les auteurs, alors qu'elle représente des sommes sans aucune mesure avec l'Impôt sur le Revenu qui les passionne, le livre propose de les baisser, et de les compenser par une "Contribution Patronale Généralisée" élargie aux revenus du capital.

 

J'avoue que j'ai toujours considéré ces histoires de "travail moins coûteux" et de fiscalisation de la sécurité sociale avec méfiance. Intégrer le financement des risques sociaux au salaire, c'était aussi considérer qu'il s'agissait d'un droit imprescrible du travailleur, et non d'une sorte de subvention versée par l'Etat et révisable à tout moment. On "cotise", on ne reçoit pas une aide.

 

Mais alors que le chômage de masse est là depuis des décennies, il est cependant clair que la fiscalité actuelle ne favorise pas non plus l'embauche, elle n'y incite pas en tout cas, même si ce sont avant tout les carnets de commande qui déclenchent les embauches. Or le chômage, l'existence de cette gigantesque "armée de réserve" est le fléau le plus redoutable de notre société : il crée la peur et l'isolement, il pèse sur les santés, il divise le peuple entre travailleurs sous pression du licenciement et "assistés" qui ne marchent pas ensemble, il permet la stagnation des salaires et la dégradation des conditions de travail et des droits. Tout ce qui peut faire progresser le taux d'emploi et réduit cette "armée de réserve" est dans l'intérêt du progrès humain. Il n'est donc pas absurde de réfléchir à faire peser sur d'autres facteurs que l'emploi le financement de ces droits sacrés, qui méritent d'ailleurs de s'élargir à d'autres (dépendances, couverture logement). Enfin c'est une question qui mérite d'être discutée avec moins d'a priori idéologiques.

 

Quant à la TVA sociale, censée faire payer l'impôt aux importations, c'est une illusion selon les auteurs. Car ce sont les consommateurs qui au bout du compte la paieront. Et de manière régressive et non progressive.


Je ne suis pas un spécialiste (contrairement à mon ami Régis qui me dira ce qu'il en pense), mais ce livre m'a rapidement semblé receler quelques faiblesses. Il n'évoque nullement la fiscalité écologique, ni pour la souhaiter ni pour la refuser. C'est tout de même une interrogation incontournable aujourd'hui. Pour cause de réchauffement, ou si on est sceptique pour cause de crise énergétique en vue.

 

Pas un mot non plus sur la fiscalité locale, sur laquelle on pourrait tant dire, encore plus depuis ses dernières réformes. Considérer aujourd'hui que tout se passe à Bercy, c'est un peu irréel.

 

Si le mécanisme qui conduit à faire des impôts indirects des outils injustes (ceux qui peuvent épargner et ne consomment pas tout leur revenu en sont le plus protégés) est bien explicité, rien n'est proposé pour rééquilibrer le modèle fiscal à leur détriment. D'ailleurs, si les auteurs souhaitent tirer un trait sur le "paquet fiscal" (défiscalisation heures supplémentaires, "bouclier"), ils ne citent même pas la TVA sur la restauration.

 

Autre sujet central sur lequel le livre est cette fois-ci frileux : l'existence des exonérations de charges sociales, généralisées pour les bas salaires. Leur efficacité n'a pas été prouvée est-il écrit euphémistiquement, et les auteurs reconnaissent qu'elles tirent les salaires vers le bas (les fameuses "trappes"). En tout cas force est de constater que leur développement n'a pas empêché la France de sombrer dans la croissance molle, le chômage de masse de s'installer, les emplois industriels de s'évaporer, les quartiers en difficulté de s'enfoncer dans l'exclusion (malgré les Zones Franches). Au moins aurait-on espéré lire des réflexions stimulantes sur la modulation possible de ces exonérations, depuis trop longtemps inconditionnelles. Et qui peuvent devenir un nouveau moyen d'influer sur les choix de l'économie privée dans le domaine de l'emploi (par exemple pour inciter fortement à déprécariser l'emploi).

 

En outre, alors que le livre paraît en janvier 2011, aucune ligne n'est consacrée à la taxation des transactions financières. Longtemps moquée par les réalistes autoproclamés quand elle s'appelait "taxe tobin", mais qui aujourd'hui apparaît comme un des freins urgents à déclencher pour mettre un coup d'arrêt aux déchaînements spéculatifs.

 

Enfin, le livre élude absolument la question aujourd'hui posée de la taxation des marchandises aux frontières européennes ou françaises. Bref l'enjeu du niveau de libre-échange que la Nation et l'Union doivent viser.  Parler uniquement d'un timide "code de bonne conduite" sur la fiscalité entre pays européens, d'une vague lutte contre les paradis fiscaux et d'un impôt sur les sociétés harmonisé paraît bien timide.


Messieurs les chercheurs, vous demandera t-on encore un effort pour être aussi "révolutionnaires" que le titre de votre livre, au demeurant utile et stimulant ?

 

Il reste que ce livre martèle une idée fondamentale, qui semble encore délaissée. Les auteurs insistent : ceux qui veulent réformer la fiscalité doivent être précis et concrets, ils doivent dire au nom de quels objectifs ils agissent. Et ils doivent avoir le courage de préciser à qui ils vont demander un effort, de quelle nature. Et pourquoi ce choix.

 

C'est un élément très important, car les proclamations générales se retournent contre leurs auteurs : dans le flou les contribuables anticipent une augmentation de leur contribution. Ils ont d'ailleurs du mal, et on les comprend, à se situer dans l'échelle des revenus, car le système fiscal a emmêlé les paramètres à prendre en compte.

 

Par ailleurs, la force des conservatismes est de proposer des cibles aux mécontentements, des objets désignés aux passions : ce sera le jeune de banlieue (à encadrer par l'armée), l'immigré (à expulser), l'assisté (à ficher et à sanctionner), le fonctionnaire privilégié (à ne pas remplacer). Le discours progressiste ne peut s'en tenir à des déclarations abstraites. Il doit distinguer ceux qui profiteront de la réforme et ceux qui devront s'y résoudre. C'est à ce prix qu'il sera persuasif.

 

Mais la question est : à qui souhaite s'adresser le discours progressiste ?

 

Et l'on retombe inéluctablement sur le débat révélé par le texte désormais célèbre de la Fondation Terra Nova sur la stratégie sociologique de la gauche. Ce texte dit : les ouvriers ne constituent plus le coeur d'une majorité progressiste possible, car ils ne portent pas les valeurs adéquates. Il convient donc d'aller séduire ailleurs, chez les "insiders"... Dont un certain nombre qui seraient défavorisés par une réforme fiscale un peu volontariste. Si l'on reste flou sur les tenants et aboutissants de la réforme fiscale, c'est sans doute afin de ne froisser quiconque.

 

On ne peut certes contenter tout le monde.

Tel est l'incontournable désagrément du gouvernement d'une société déchirée d'inégalités. Mais pourra t-on fuir sans cesse ces choix ?

 

A ceux qui seraient tentés par les incitations à dire adieu aux classes populaires considérées comme une "cible", une niche de marketing parmi d'autres, il est nécessaire de rappeler la phrase de Robespierre :

 

"D'abord, apprenez que je ne suis point le défenseur du peuple ; jamais je n'ai prétendu à ce titre fastueux ; je suis du peuple, je n'ai jamais été que cela, je ne veux être que cela ; je méprise quiconque a la prétention d'être quelque chose de plus."


 


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22 mai 2011 7 22 /05 /mai /2011 08:45

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(...)  Dans "La Démondialisation" Jacques SAPIR, de son côté, est beaucoup plus catégorique que nos trentenaires qui remettent Keynes au goût du jour (article précédent : Le débat économique est enfin relancé (du moins dans les livres) .

 

Selon lui, la globalisation a désormais heurté ses limites, la "démondialisation" est inéluctable (elle a même commencé, se traduisant par un recul du commerce international depuis 2008), ne serait-ce que pour des raisons écologiques, et la seule question valable est de savoir si nous voulons une démondialisation ordonnée, maîtrisée, ou bien chaotique. L'échec des négociations à l'OMC (cycle de Doha qui n'en finit pas ) est le signe d'un coup d'arrêt.

  

La mondialisation est clairement un échec. Elle a déstabilisé les économies et les sociétés, y compris celles du Sud, d'ailleurs minées par les déchets toxiques massivement déversés sur leur territoire par les pays développés. L'intérêt que les forces du marché ont trouvé dans la mondialisation, c'est de s'affranchir de la nécessité de payer correctement leurs salariés afin de leur vendre la production. L'économie a été aspirée par la course à l'exportation, déstabilisante pour tous.

  

Il convient d'en finir avec l'idée selon laquelle la mondialisation serait un nouvel internationalisme.

 

La mondialisation est tout sauf un processus naturel. Elle a été au contraire organisée, permettant de remettre la pression sur les salaires et de restaurer des taux de profit. Les années 90 ont, pour la France, été le moment d'une grande accélération des effets de ma mondialisation, due à l'élargissement européen. L'Union Européenne, en éliminant la possibilité de la dévaluation monétaire, a accentué le phénomène de pression sur les salaires, seule variable d'ajustement dans la compétition pour accéder aux marchés. Jusqu'ici le propos de Jacques Sapir est tout à fait cohérent avec celui des deux collègues Keynésiennes précédemment abordé.

   

Si la France n'assume pas le pilotage de  ce tournant vers la démondialisation, la situation va s'envenimer. Car pendant longtemps, nous avons compensé les différences de coût de production grâce à notre productivité. Aujourd'hui, les pays comme la Chine, l'Inde, ou de l'Europe de l'Est ont progressé en productivité.  Nos digues fragiles s'effondrent.

   

La mondialisation financière est venue ajouter ses effets à la mondialisation des échanges. Pour financer la guerre du Vietnam, les Etats-Unis ont du manipuler le dollar, cassant la parité entre leur monnaie et l'or, inaugurant ainsi l'ère des changes flottants. Le système est devenu spéculatif et le métier de banquier s'est éloigné du crédit. La mondialisation financière fonctionne comme une "trappe à spéculation" atrophiant l'investissement productif. Le FMI est venu encourager ce mouvement en demandant aux pays de s'ouvrir. Aujourd'hui, les investissements réels ne représentent que 5 % des flux de capitaux dans le monde...

  

La crise de 2008, si elle a illustré les méfaits de cette évolution, n'a pas suscité de réaction des gouvernements, sauf sur les paradis fiscaux.

  

Comme les auteurs précédents, Sapir aborde le sujet crucial de notre rapport à l'Allemagne, mais il en tire des conclusions plus radicales. L'Allemagne fonctionne selon lui comme un "passager clandestin" qui tire avantage de l'Union sans subir de contraintes. Le système européen ne répond qu'aux intérêts de l'économie allemande tournée vers l'exportation, ou plutôt du capital allemand. Cela ne pourra pas durer longtemps.

 

L'Euro, comme l'ont noté les auteurs des "trentes glorieuses sont devant nous" est le fruit d'un compromis : l'Allemagne a obtenu l'accès, sans risque de change, aux marchés européens. Les autres pays, en contrepartie, espéraient s'arrimer aux taux d'intérêt modérés dont bénéficiaient l'Allemagne. Mais ce modèle ne fonctionne pas. Les prêteurs peuvent exiger des "primes de risque" très lourdes auprès de certains pays, comme on l'a vu avec la Grêce et le Portugal.

 

Selon Sapir, le mal est profond et tient aux conditions insuffisantes pour un bon fonctionnement du projet de monnaie unique. Un territoire à monnaie unique doit mettre en place, comme aux Etats-Unis, une réelle mobilité du travail car certaines régions vont concentrer les richesses productives. Et surtout, le pendant de la monnaie unique, c'est la solidarité budgétaire à l'échelon continental. Elle n'existe pas en Europe et les allemands n'en veulent pas.

 

Les gouvernements sont donc dans l'impasse : ils se livrent une concurrence fiscale délétère, et leurs efforts sont vains : ainsi la France supprime des fonctionnaires et casse les retraites pour séduire les agences de Notation,  pourtant son déficit est très proche de celui de l'Allemagne.

 

L'interdiction de "monétiser" les déficits, c'est à dire de les faire financer par la Banque Centrale, oblige à emprunter à taux élevé sur les marchés.

 

Les solutions pour sortir de la crise, qui n'a rien de conjoncturelle, consistent en un changement profond de toute la politique économique. Sapir demande la mise en place d'un contrôle des flux de capitaux pour renverser le rapport de forces avec le marché, et la création d'un cadre protectionniste se traduisant par des taxes aux frontières de l'Union. Toute politique de croissance, telle que par exemple décrite par l'Essai de Berger/Rabault, est vouée à la défaite, tant que ce cadre politique n'a pas été modifié.

 

Le monde de demain doit s'organiser sur la base de grandes régions, relativement autonomes économiquement, qui coopèrent. L'Europe devra disposer d'une "monnaie commune" (déjà proposée par certains défenseurs du NON à Maastricht) servant aux transactions internationales, les monnaies nationales revoyant le jour pour permettre le retour de politiques monétaires au service de la croissance.

 

La spécificité de Sapir, si on le compare par exemple à Emmanuel Todd, autre chantre du protectionnisme, c'est qu'il affirme clairement la nécessité d'une rupture unilatérale de la France si l'Europe ne change pas de cap. A tout prendre, elle sera plus souhaitable que le statu quo. L'Allemagne dépend fortement de ses exportations dans quelques pays dont le nôtre. La France a donc la possibilité de susciter un choc salvateur.

  

Cet ouvrage, malgré son caractère technique irritant, et des digressions un peu étonnantes sur des aspects de détail, me semble plus lucide que celui de Mmes Berger et Rabault, qui sous-estiment la contrainte extérieure, et sont sans doute effrayées par l'idée d'engager un bras de fer au sein de l'Union Européenne. Au sein de la critique progressiste finalement, la grande fracture du référendum de 2005 n'est nullement résorbée (et pour cause, la grande explication qui aurait du s'ensuivre n'a jamais eu lieu).

 

Ce qui est frustrant avec ces auteurs protectionnistes, c'est qu'ils ne vont pas encore au bout de leur raisonnement. On a envie d'aller plus loin. Moi qui habite dans le sud-ouest, je ne suis pas "intuitivement" protectionniste, car nous dépendons absolument d'Airbus, entreprise mondialisée.

 

Donc si je suis conscient des dévastations du libre échange dans un contexte de fortes inégalités de droits sociaux et de règlementation, j'attends de ces penseurs qu'ils nous démontrent que la protection n'est pas une aventure inconsidérée. Sera t-il possible de recréer une industrie textile ou une filière d'électroménager, pour éviter que l'on en passe par des importations ? Le protectionnisme risque t-il de déclencher une nouvelle phase d'affrontement des impérialismes ? Risquons-nous de sacrifier les quelques champions industriels qui nous restent ?

 

Les deux livres évoqués ici sont tous deux conscients de l'échec de la stratégie consistant à accélérer la construction européenne pour dresser un bouclier social et recréer les conditions d'une politique économique plus efficace. Ils s'accordent certes sur l'analyse selon laquelle le fonctionnement des institutions européennes est un "cheval de troie" de la mondialisation à contenu libéral. Cette convergence est à souligner, car il y a peu de temps, une fraction très pro-européenne avait tendance à affirmer que l'Europe était un bien en soi. Ce n'est désormais plus possible et on est tenu d'interroger la direction adoptée par cette construction.

 

Cependant, quelles conclusions à en tirer ? Faut-il aller jusqu'à l'aventure de la renationalisation de notre politique économique ? Doit-on claquer la porte ou pratiquer la chaise vide ? Doit-on préférer quelques compromis même bancals, mais qui préservent l'existence de l'Union ? Telles sont les questions posées à ceux qui veulent une autre politique économique.

 

Espérons que ce bouillonnement des méninges soit annonciateur de nouvelles options politiques. Celles-ci seront en tout cas indispensables pour sortir de ce marasme économique qui ronge tout notre fonctionnement social.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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18 mai 2011 3 18 /05 /mai /2011 09:01

keynes_ellipse.jpgAu début des années 90, Jean-Paul Fitoussi écrivait un livre titré "Le débat interdit", qui avait intéressé le jeune étudiant que j'étais. Fitoussi, sage Directeur de l'OFCE, n'était pas - loin s'en faut - un agité anticapitaliste... Mais il  s'étonnait de l'absence de débat sur la pertinence des critères de convergence issus du Traité de Maastricht, et sur les effets de la politique de désinflation dite compétitive. D'après lui il y avait tout de même matière à discuter... Et pourtant la discussion n'avait pas lieu.

 

Après le tournant libéral adopté par le monde dans les 80's, les économistes renaclant à s'intégrer dans le courant archi dominant, qu'on le qualifie de "néo classique", de "monétariste" ou autres adjectifs ont été comme assommés (à l'instar des catégories sociales divisées, atomisées, précarisées par les évolutions, ils subirent aussi cette "Stratégie du choc" brillamment dévoilée par Naomi Klein). L'échec des stratégies Keynésiennes tentées depuis les années 70 (cf. l'expérience de 81 en France dont nous fêtons l'anniversaire) les laissait pantois. Ils tentèrent d'abord de comprendre. Pourquoi le cercle vertueux des Trente Glorieuses s'était-il brisé ? Pourquoi les politiques de relance de la demande, qui avaient prouvé leur vertu, ne fonctionnaient plus ? Pendant ce temps, la dérégulation, la dérèglementation, continuaient à se déployer.

 

Puis fleurirent les publications critiques sur les résultats des politiques néolibérales. Par exemple les ouvrages à succès de Joseph Stiglitz. Mais dans leur diversité, les économistes hétérodoxes se concentraient sur la déconstruction de la pensée néolibérale, sur la description de ses effets, en appelant à "un autre monde" encore nébuleux. Cette phase a été indispensable, car il s'agissait de fournir des antidotes contre les effets chamaniques d'un discours présenté comme une évidence ("il n'y a pas de politique économique de gauche ou de droite, il n'y a qu' une politique économique efficace" disait à peu près Tony Blair).

 

Depuis la crise de 2008, il me semble, d'après ce que je lis, que le débat économique tel qu'il s'exprime dans les essais publiés a changé de tonalité, et c'est heureux.

 

Si le regroupement des "économistes atterrés" a raison de s'effrayer de la persistance honteuse des errements politiques qui ont mené au désastre (le nouveau pacte de l'Euro n'est qu'un renforcement du dogmatisme qui a amplement prouvé sa nuisance), le débat économique tel qu'il s'exprime dans les livres a changé de nature. Les économistes, parfois d'anciens tenants d'une ligne orthodoxe d'ailleurs ("Partageux" n'ayez plus honte !) , bénéficient maintenant d'une vision claire de cette période qu'on a pu qualifier de "trente piteuses", non pas inaugurées avec le choc pétrolier, mais avec une première pierre qui fut la fin du système des changes fixes, ouvrant la voie à la mondialisation libérale.

 

Et surtout depuis 2008, beaucoup de penseurs ont compris qu'il leur revenait de penser d'autres politiques économiques. Ils ne rechignent plus à les proposer et à les décrire, parfois dans les moindres détails. Au pouvoir, presque partout, règne une "droite décomplexée" toujours fidèle à Milton Friedman. Mais dans le débat intellectuel, les pensées économiques critiques deviennent plus audacieuses, se permettent de dessiner un avenir différent. La notion de "seule politique possible" s'est largement fissurée.

 

Voici deux exemples d'essais de ce genre, que j'ai récemment lus.

 

Le premier, "Les trentes glorieuses sont devant nous" est écrit par Karine Berger et Valérie Rabault, duo de jeunes économistes trentenaires (d'après ce que j'ai perçu, elles sont toutes deux ou ont été au PS...). Elles s'inscrivent dans un keynésianisme "développementaliste" qui reprendrait confiance.

 

- Le deuxième est "La démondialisation" de Jacques Sapir, penseur de la galaxie altermondialiste, qui défend une politique protectionniste encore plus vivace que celle prônée par Emmanuel Todd dans le très stimulant et percutant "Après la démocratie". L'Essai de J. Sapir est d'orientation nettement plus radicale, plus centré sur la macro-économie aussi. Et plus technique (certains passages sont un peu lourds, Sapir souhaitant manifestement s'adresser à ses confrères plus qu'au grand public).

 

Ces économistes d'origines très différentes sont obligés, au moment historique où nous sommes parvenus, de ne point éluder certaines questions, qui ne peuvent pas être repoussées d'un revers de la main : par exemple le destin de l'Union économique européenne. Au delà des approches singulières et des formules, des convergences réelles se dessinent parfois. C'est une évolution intéressante.

 

(Petite digression : paradoxalement, l'économie se lit facilement et convient à la méthode de lecture rapide -quand on a subi une petite initiation à la matière, ce qui est mon cas- alors que c'est une matière ardue et jargonnante. Pourquoi ce paradoxe ? Parce que l'intertextualité y est très forte, que les économistes se répètent beaucoup et qu'il y a des passages obligés dans les démonstrations. Donc, pas besoin de lire avec une concentration extrême la énième explication de la crise de 29, des années Thatcher, du multiplicateur Keynésien, de la Loi de Say ou des critères du Pacte de Stabilité... A force on a l'habitude, on repère aisément les "morceaux de bravoure" imposés, et on peut passer vite, en recherchant ce qu'il y a d'inédit dans l'Essai. Ainsi on peut lire un ouvrage économique beaucoup plus rapidement qu'un roman ou un livre d'Histoire, qui demandent une autre attitude. )

 

Revenons donc à nos deux Essais :

 

Karine Berger et Valérie Rabault sont optimistes. C'est déjà une grande originalité, et pour cette seule raison ça vaut la lecture. Les "déclinistes" en prennent plein la poire. Même dans le pire scenario (et le pire n'est pas probable comme on le sait), la France augmentera sa production de 40 % d'ici à 2040 et restera dans le peloton de tête mondial, le revenu par habitant continuant d'augmenter, certes modérément. Dans ce scenario, la France subira une désindustrialisation quasi complète. Mais il est à notre portée d'éviter cette ornière.

 

Pour elles, la source de nos maux, c'est le renoncement au modèle de développement propre de la France, celui qui a si bien fonctionné pendant les trente glorieuses. Et il est possible de recréer une dynamique de cette nature d'ici à 2040. Elles vont expliquer comment.

 

Le modèle français "renié puis abandonné", c'est la déclinaison économique du tryptique liberté-égalité-fraternité. Et c'est la cohérence interne de cette formule qui garantit le succès. Sa spécificité, c'est le rôle de l'Etat dans l'impulsion de la croissance et dans son utilisation, avec un outil privilégié : l'éducation au sens très large. Le modèle est aussi fondé sur une logique de protection sociale garantissant la sécurité et amortissant les crises, avec la participation majeure de services publics qui irriguent le pays. La France des trente glorieuses, c'est aussi un rôle d'éclaireur fondamental dans la construction européenne.

 

Les "déclinistes" délirent quand ils accusent ce modèle de plomber le pays, car en réalité il n'en "reste pas grand chose". Et les auteurs utilisent une citation succulente pour qualifier leur mauvaise foi : "le bon sens petit-bourgeois : son rôle est de poser des égalités simples entre ce qui se voit et ce qui est" (Roland Barthes, Mythologies).

 

L'Essai revient sur l'épopée assez édifiante des trente glorieuses. En 1946, les trois quarts de la production ont disparu. Il n'y a que 15 millions d'ouvriers disponibles. Les seules ressources financières proviennent du plan Marshall. Or, en moins de trois ans on rattrape le niveau du PIB d'avant-guerre ; en 1950 on a augmenté la production de 85 % par rapport à 1944.

 Le moteur, c'est l'innovation industrielle. L'idée, martelée par les auteurs, qu'en économie, la "seule valeur qui compte c'est la productivité", c'est à dire l'élan des connaissances et leur mise en application.

 La méthode, c'est d'assumer une volonté planificatrice, avec des objectifs ramassés et chiffrés. Des perspectives mobilisantes pour toute la population.

 

Dans ce schéma vertueux, c'est le secteur public qui permet à l'initiative privée de s'épanouir. Car pour relancer massivement une économie, il faut prendre des "risques gigantesques". Seule la puissance publique peut les assumer. Et le livre revient sur les expériences d'Airbus, "une hérésie" au regard de la pensée économique dominante, ou du TGV (il faudra 50 ans pour que le TGV Méditerrannée suscite des profits, mais c'est un moteur indispensable de la croissance).

 

La France a renoncé à cette méthode : l'investissement public représente aujourd'hui seulement 85 % de celui de 1991, les investissements TGV ont été divisés par deux, EDF a baissé les siens d'un tiers. L'innovation stagne... les filières scientifiques se tarissent, et la moitié des Polytechniciens partent travailler dans la Banque et le Conseil...

Le secteur privé n'a pas pris le relais de l'Etat. Les profits ne sont pas investis, et la croissance trouve sa source hors Hexagone (les sociétés du CAC 40 réalisent la moitié de leur chiffre d'affaire à l'étranger).

 

Au passage, les auteurs étrillent les tenants de la "croissance zéro" (ce qui personnellement me fait jubiler). En rappelant notamment que la progression de la consommation se réalise aujourd'hui dans trois secteurs qui n'ont rien de futiles : la santé, l'alimentation, le logement... On voit donc que la "croissance zéro" ne peut être que la préoccupation de gens qui ont déjà réglé leurs problèmes matériels, et qui ont le loisir de s'interroger sur "le mieux être"...

 

La destruction du modèle français attise l'individualisme. Or, celui-ci est un non sens économique. Keynes l'a démontré, avec l'exemple de la Protection Sociale. Si on se fonde sur les décisions individuelles, personne n'acceptera de provisionner assez de revenus pour couvrir les risques et l'on court à la catastrophe, par exemple pour financer les retraites. Il est besoin d'une instance supérieure pour "piloter le risque".

 

Un des éléments du modèle français quand il réussissait, c'est sa prise d'initiative en Europe, avec l'Allemagne. Ce n'est plus le cas. Une occasion historique a été manquée par le gouvernement de la gauche plurielle quand en 2000 Joschka Fischer a proposé à la France de basculer dans le Fédéralisme.

 

Depuis, l'Allemagne a changé de pied. Un tournant est la mise en place d'une TVA sociale en Allemagne par Mme Merkel, pour baisser le coût du travail et ainsi tout miser sur l'exportation, accentuant la concurrence avec ses voisins. L'Europe n'a pas joué le rôle de bouclier, mais d'accélérateur des risques de la mondialisation (que des adhérentes ou sympathisantes socialistes écrivent cela, c'est à souligner).

 

Le livre propose ensuite un plan très précis. La France peut se fixer un objectif de doublement de la croissance, soit un trend de 2 à 3 % par an. Un autre objectif est de baisser le nombre de pauvres de 40 %, grâce à la création d'emplois. Ou encore d'augmenter de 6 ans l'espérance de vie en bonne santé. Mais plus encore de multiplier par 4 la part des énergies renouvelables.

 

De manière un peu provocatrice sans doute, elles évoquent un "business plan" pour la France. Qui repose sur la relance de l'investissement public : trois tranches de 30 milliards d'euros y sont consacrées. Avec des sommes allouées d'abord à l'éducation, l'énergie, la santé et la dépendance, le transport collectif, l'agriculture et l'alimentation. 

 

Comment financer ? Les auteurs détaillent les mesures fiscales nécessaires (abolition des décisions depuis 2007 en particulier), mais il sera aussi indispensable de recourir à l'emprunt. Les marchés financiers réagiront-ils violemment ? Les auteurs pensent que non, car c'est la cohérence d'une politique pour relancer la croissance qui les rassurerait.

 

Reste la contrainte extérieure et le rapport à l'Allemagne. Il est évident qu'une telle politique expansionniste risque de se traduire par un afflux d'importations si on agit de manière isolée. Donc il faut trouver un accord au plan européen, en s'alliant avec notre partenaire outre-rhin. Les auteurs proposent un compromis : la France s'engage à revenir dans les critères du pacte de stabilité grâce à la croissance, en échange l'Allemagne s'allie avec la France pour imposer un "Serpent fiscal européen" mettant fin au dumping au sein de l'Union, et permettant la relance nationale.

 

C'est un livre stimulant, puisqu'il retourne nos prétendus archaïsmes pour démontrer qu'il s'agit de nos premiers atouts. Et il veut en finir avec cette logique mortifère du "toujours moins" qui sert de doxa économique.

 

Mais malgré tout, les auteurs, à l'instar d'une partie de leurs camarades... prennent soin d'effleurer les questions qui fâchent, sans mordre dedans.  

 

Peut-on réussir un tel plan d'investissement en respectant les Directives Européennes encadrant les aides publiques ? Le Pacte de Stabilité a t-il le moindre fondement économique ? Et le livre n'ose pas évoquer la politique monétaire (pourtant l'école keynésienne a montré qu'il s'agissait d'un levier essentiel). La question du libre échange n'est qu'approchée à travers la notion de serpent fiscal européen. Les auteurs font mine de croire qu'un compromis avec les allemands serait facile à obtenir. Mais dans le cas contraire, la France doit-elle rompre ? L'enjeu du contrôle de certains secteurs clés (l'énergie), et des outils financiers est éludé. La reprise en main des dérives de la financiarisation de l'économie est même qualifiée de secondaire. Les marchés financiers restent des partenaires dans une sphère intouchable, qu'il faut convaincre d'accepter des taux d'intérêt modérés.... On a du mal à croire à ce scenario paisible.

 

Bref, le livre m'a laissé perplexe : le keynésianisme type trente glorieuses est-il possible dans le monde d'aujourd'hui, exonéré des frontières, et où la sphère d'influence communiste ne représente plus une menace pour le capitalisme ? Pourra t-on se passer de certaines ruptures franches avec l'Europe libérale, pour reconquérir des marges d'action substantielles ?

 

Ce sont des questions non tranchées dans le camp progressiste. Et ce livre en est le symptôme...

 

(La suite sera publiée dimanche prochain)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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8 janvier 2011 6 08 /01 /janvier /2011 01:22


Les "Partageux" peuvent, doivent relever la tête. Ce n'est pas Jean-Luc Mélenchon, André Chassaigne ou Olivier Besancenot qui le disent, mais le duo d'économistes Patrick Artus et Marie-Paule Virard, dans leur dernier essai, on ne peut plus clairement intitulé : "Pourquoi il faut partager les revenus".


partage.jpg Ce binôme s'était fait remarquer, par un livre pertinemment écrit en 2005, "le capitalisme est en train de s'auto-détruire". Ils y expliquaient que le sous-investissement chronique d'un capitalisme tourné vers les joutes financières, menait tout le système dans le mur. Prévision confirmée deux ans plus tard...

Ce qui est tout à fait intéressant, c'est que ces deux complices n'ont rien d'hétérodoxes, ni d'idéologues révolutionnaires. Monsieur Artus est chercheur pour Natixis... Mme Virard est ancienne Rédac en chef des "Echos"... On est loin des profils du comité scientifique d'ATTAC... On pourrait s'attendre à ce qu'ils récitent le catéchisme monétariste auquel ils souscrivent sans doute partiellement ("la dépense publique c'est mal, l'épargne c'est chouette"). Mais voila, ce sont des gens sérieux, qui se veulent froidement lucides. Et qui pensent que la science économique doit chercher comment créer de la croissance et de l'emploi. Alors ils s'efforcent de regarder le monde en face. Leurs conclusions donnent des frissons dans le dos, et fournissent une idée des changements dont nous avons besoin pour surnager dans le monde qui vient. D'autant plus que les deux auteurs n'ont rien d'écrivains à sensation. Leur démonstration, claire, et cependant rigoureuse, solidement étayée (il faut un peu s'accrocher sur les aspects financiers) n'a rien du feuilleton catastrophiste vendeur.

Pour eux, la crise ouverte en 2007 n'a rien de cyclique. Il sera difficile d'en sortir, car elle marque un tournant dans la mondialisation.

Le tournant c'est que les pays dits émergents creusent l'écart en termes de croissance avec l'occident. Et surtout, ils sont en train de changer de modèle. Jusqu'à présent, ces pays, dont la Chine au premier chef, comptaient sur l'exportation. Désormais ils souhaitent baser leur économie sur la consommation intérieure, et utiliser leur épargne à cette fin (et non plus pour financer nos déficits publics). Mais ils peuvent dans le même temps rivaliser avec les pays occidentaux dans tous les domaines. Pire, ils conditionnent l'accès de nos produits (avions et trains à grande vitesse par exemple) à des transferts de technologie décisifs. Airbus et Siemens creusent elles-mêmes le chemin qui va les mener dans le mur de la concurrence chinoise. Les pays émergents sont en capacité de réaliser le grand chelem : booster leur croissance par la consommation intérieure, et conquérir de plus grandes parts de marchés dans les échanges mondiaux, sur tous les créneaux.

Nous risquons non seulement de nous voir coupés des marchés des pays émergents, et donc de ne pas profiter d'une possible reprise mondiale, mais en plus nous sommes exposés à un risque de hausse des taux d'intérêt (suite à la relocalisation de la finance des pays émergents). Or, la politique monétaire accomodante est aujourd'hui un des seuls moteurs de notre très faible croissance.

Artus et Virard insistent sur l'ampleur de la désindustrialisation qui frappe l'occident, et particulièrement la France. Les chiffres sont effrayants. L'industrie en France, ce n'est seulement plus que 13 % de la population active. Les destructions d'emplois dans le secteur s'élèvent à deux millions depuis les années 80 ! Cette désindustrialisation est tellement avancée qu'elle risque de menacer tout notre avenir : les relances économiques profitent aux productions étrangères, puisque nous n'avons plus d'usines. Et la solution protectionniste viendrait déjà trop tard, car nous serons obligés de continuer à importer, Qui plus est des produits plus chers, pesants pour le pouvoir d'achat.

Depuis la crise, les Etats ont été obligés de réagir en pratiquant des déficits publics (il est à plus du double du plafond prévu par le pacte de stabilité pour la France) et des taux d'intérêt bas. Mais la croissance n'est pas au rendez-vous, et cela ne suffira pas. Sans rebond de croissance, les déficits continueront à se creuser .

Les auteurs craignent que le syndrome japonais s'étende à l'Europe. Considérée jusqu'aux années 90 comme la première puissance économique en devenir, le Japon ne s'est pas encore remis, malgré des thérapies de chocs (la dette est à 200 % du PIB) de l'explosion de la bulle immobilière qui l'a frappé dans cette décennie. Le Japon s'est enfoncé dans la "stagdéflation" : croissance en berne, baisse des prix et des salaires, délocalisations, et ainsi de suite... Or le Japon a essayé les plans de relance, mais n'a pas touché à la répartition des revenus. Telle a été son erreur. Le Japon est désormais une économie atone et déclassée.

Le livre évoque les possibilités de relancer notre croissance. Il n'y en a pas beaucoup. Recourir au déficit, c'est déjà le cas. Et les déficits vont rester forts, du fait du vieillissement de la population notamment. L'arme monétaire est déjà utilisée, mais menacée par le contexte mondial qui risque de pouser à la hausse les taux et de renchérir le crédit. De plus, l'augmentation de la masse monétaire en circulation favorise la spéculation, la formation de "bulles" dangereuses, le renchérissement des matières premières qui pèse sur nos économies. Quant à la croissance verte, la Chine est déjà en avance sur le plan productif. Et le pari est loin d'être gagné.

Certes, il est indispensable d'investir plus massivement dans la recherche et l'enseignement supérieur, ce que l'on prétend accomplir mais qui ne se vérifie pas... sauf en Chine. Mais cela est une réponse pour le long terme et ne peut se substituer à une stratégie pour la sortie de crise.

Après quelques tergiversations keynesiennes en 2008, les Etats en sont revenus aux recettes du libéralisme. Or d'après les auteurs, mener une politique de l'offre (pour les néophytes, ça signifie soigner les patrons et les riches) ne sert à rien quand l'épargne est massivement disponible. En France, l'épargne n'a jamais été aussi importante. Le problème est la faiblesse de la demande, et si on ne peut pas attendre qu'elle vienne de l'extérieur, on doit "compter sur ses propres forces", sur la demande intérieure. D'où le besoin d'un nouveau partage des revenus.

La principale mesure évoquée est de moins taxer le travail et plus le capital, en changeant l'assiette de financement de la protection sociale, pour la fonder sur la valeur ajoutée et non plus sur les salaires. La fiscalité devrait aussi viser plus fortement les profits non investis, et les plus-values à court terme. Les auteurs ciblent aussi les oligopoles privés qui ponctionnent le pouvoir d'achat des français, dans la téléphonie et l'eau.

Bref, la feuille de paie n'est pas l'ennemie de l'emploi. Bien au contraire, elle en est aujourd'hui le meilleur auxiliaire.

Les auteurs se penchent aussi sur la construction européenne, et ils n'y vont pas avec le dos de la cuillère ! Pour eux, la désindustrialisation de la France est largement imputable à l'euro, ou plutôt à l'immobilisme qui a prévalu après l'euro. Dans une union monétaire, le risque de change n'existe plus pour les entreprises, elles vont donc produire dans la région la plus avantageuse. Pour l'industrie, il s'agit de l'Allemagne et de certains pays d'Europe centrale. L'union monétaire doit donc s'accompagner de politiques budgétaires, fiscales, menées au plan européen. Sans quoi les inégalités se creusent entre les pays et la situation devient politiquement intenable. Or le budget européen est ridiculement bas. Aux Etats-Unis, l'union monétaire fonctionne car les salariés sont mobiles, et l'Etat fédéral procède à des transferts financiers entre les Etats. C'est ce qui manque à l'Europe, qui s'est arrêtée en chemin. Et qui se trouve dangereusement bloquée au milieu du gué.

 

Quant à la "gouvernance" économique européenne, elle est néanderthalienne. En s'en tenant aux ratios du pacte de stabilité, l'Espagne était considérée comme un modèle, alors que sa croissance était dangereusement fondée sur l'endettement privé. Ce modèle s'est effondré comme un rien et l'Espagne vit une grave crise. Les critères de bonne santé économique utilisés par l'UE sont inadaptés.

Les auteurs concluent ainsi par une réflexion qui rappelle le débat sur le référendum européen de 2005 : l'Europe économique devait produire mécaniquement du politique. Or, il est temps de constater que cela n'a pas été le cas.. Une nouvelle conception de l'Europe s'impose. Les Allemands ne doivent pas considérer que l'Europe puisse continuer de la sorte. Il est absurde de plaider pour un alignement de toutes les économies de l'Union sur l'Allemagne : "L'économie du Texas n'est pas celle de l'Illinois". La solidarité à l'échelle de l'Europe est incontournable. L'égoïsme national n'est pas une issue, car la chute des uns entraînerait des dégâts incommensurables chez les autres.

Artus et Virard ne sont pas des boutefeux anticapitalistes. Il est ainsi révélateur de voir de telles personnes en appeler à des mesures radicales, à un changement de perspective économique, et à un effort de redistribution qui n'est plus évoqué depuis l'élection présidentielle de 1981. Les politiques sont-ils en retard d'une bataille, eux qui sont englués dans un "réalisme économique" de plus en plus illusoire ? En tout cas, la lecture de ce livre donnera à ceux qui sont restés "partageux" des raisons, peut-être pas d'espérer, mais en tout cas de parler haut et fort.

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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