« Pourquoi lire ? » se demande Charles Dantzig dans son dernier essai éponyme (Dantzig, c’est un bien curieux pseudonyme. Quelqu’un a-t-il refusé de « mourir pour lui » ?).
Dantzig est un styliste hors pair. Cette seule raison requiert qu’on le lise.
Plein d’admirations à nous transmettre, mais n’hésitant pas à dire sans précaution ses mépris et ses dégoûts. Pas le genre à vous supplier de lire ou à vous adresser une leçon de morale. Il vous dit en substance : « pauvre de toi si tu ne lis pas, tu n’as pas idée des plaisirs que tu rates ».
Certes un peu cabotin à la marge, mais quel plaisir à l’accompagner dans ses lectures au grand large (ce type doit avoir un frère siamois insomniaque pour avoir autant lu).
L’auteur de l’étrange « Dictionnaire égoïste de la littérature française », sorte d’hibernatus venu des siècles passés par ses centres d’intérêt, son érudition, et la patine de son écriture, est très loin du « gnan gnan » d’un Daniel Pennac, autre chevalier de la cause du livre.
(Permettez-moi un aparté sur ce Pennac, que j’ai lu. Il n’est pas antipathique. Il me paraît au contraire trop sympathique. Ce côté Prof sympa, moi j’ai du mal… Les Profs sympas m’ont toujours déplu, car ils vous mettent aussi de mauvaises notes, mais avec un air contrit. Ce qui est humiliant. Les Profs qui ont compté pour moi étaient soit de faux profs, qui en réalité se passionnaient surtout pour la matière et non pour la pédagogie, soit des hurluberlus, soit des gens un brin méprisants avec nous les élèves. De plus Pennac est Prof partout. Prof dans ses livres, Prof dans ses passages à la télé. Il y a des Profs (pas tous loin s’en faut, heureusement) qui ne peuvent pas s’empêcher de l’être quand ils viennent dans une réunion politique, de parents d’élève, ou au CA du club de foot de leur fils. C’est insupportable. On a l’impression de repasser sans cesse son BEPC. Ca n’arrive pas avec les conducteurs de chantiers et les assureurs. Ces Profs là sont certains d’avoir raison puisqu’ils sont habilités pour cela, pour nous instruire. Bon, sinon, j’aime les profs et je les défends, y compris en marchant. Mais qui aime bien…).
Dantzig n’a rien d’un prof, en tant qu’écrivain (je ne sais pas s’il exerce cette profession pour manger).
Sa vision de la lecture me convient : la lecture est un vice. Elle n’améliore pas forcément les lecteurs, en tout cas ce n’est pas son rôle. Elle est égoïste. Elle isole. Elle est antisociale. Elle n’est pas plus naturelle que la marche. Elle est intempestive. Elle ne sert à rien (la littérature), et c’est cela qui la rend insupportable à beaucoup et appréciable à certains.
Quand on est enfant il faut lire, non pas Harry Potter, mais ce qui est interdit par les grands. Et quand on est grand, il est misérable de lire Harry Potter. Le lecteur n’est parfois pas à la hauteur de l’écrivain. Il y a des lectures indignes (comme la correspondance pleurnicharde et honteuse de LF Céline). Il y a de mauvais livres, et on doit les montrer du doigt. Il y a des chefs d’œuvre et on doit les défendre, dire aux gens de cesser de lire les imbécillités que le marché leur prescrit, ce qui leur prend autant de temps et d’énergie, mais les vole.
Dantzig rappelle que, dans le fameux « Loft Story » de Télé réalité, la seule activité interdite était la lecture ! Ca doit suffire pour nous inciter à tourner la première page. Comme un vice qui aspirait le jeune fils de famille vers les lieux licencieux.