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5 janvier 2011 3 05 /01 /janvier /2011 00:00

 

« Pourquoi lire ? » se demande Charles Dantzig dans son dernier essai éponyme (Dantzig, c’est un bien curieux pseudonyme. Quelqu’un a-t-il refusé de « mourir pour lui » ?).

 

Dantzig est un styliste hors pair. Cette seule raison requiert qu’on le lise.

Pourquoi-lire-.jpg Plein d’admirations à nous transmettre, mais n’hésitant pas à dire sans précaution ses mépris et ses dégoûts. Pas le genre à vous supplier de lire ou à vous adresser une leçon de morale. Il vous dit en substance : « pauvre de toi si tu ne lis pas, tu n’as pas idée des plaisirs que tu rates ».

 

Certes un peu cabotin à la marge, mais quel plaisir à l’accompagner dans ses lectures au grand large (ce type doit avoir un frère siamois insomniaque pour avoir autant lu).

 

L’auteur de l’étrange « Dictionnaire égoïste de la littérature française », sorte d’hibernatus venu des siècles passés par ses centres d’intérêt, son érudition, et la patine de son écriture, est très loin du « gnan gnan » d’un Daniel Pennac, autre chevalier de la cause du livre.

 

(Permettez-moi un aparté sur ce Pennac, que j’ai lu. Il n’est pas antipathique. Il me paraît au contraire trop sympathique. Ce côté Prof sympa, moi j’ai du mal… Les Profs sympas m’ont toujours déplu, car ils vous mettent aussi de mauvaises notes, mais avec un air contrit. Ce qui est humiliant. Les Profs qui ont compté pour moi étaient soit de faux profs, qui en réalité se passionnaient surtout pour la matière et non pour la pédagogie, soit des hurluberlus, soit des gens un brin  méprisants avec nous les élèves. De plus Pennac est Prof partout. Prof dans ses livres, Prof dans ses passages à la télé. Il y a des Profs (pas tous loin s’en faut, heureusement) qui ne peuvent pas s’empêcher de l’être quand ils viennent dans une réunion politique, de parents d’élève, ou au CA du club de foot de leur fils. C’est insupportable. On a l’impression de repasser sans cesse son BEPC. Ca n’arrive pas avec les conducteurs de chantiers et les assureurs.  Ces Profs là sont certains d’avoir raison puisqu’ils sont habilités pour cela, pour nous instruire. Bon, sinon, j’aime les profs et je les défends, y compris en marchant. Mais qui aime bien).

 

Dantzig n’a rien d’un prof, en tant qu’écrivain (je ne sais pas s’il exerce cette profession pour manger).

 

Sa vision de la lecture me convient : la lecture est un vice. Elle n’améliore pas forcément les lecteurs, en tout cas ce n’est pas son rôle. Elle est égoïste. Elle isole. Elle est antisociale.  Elle n’est pas plus naturelle que la marche. Elle est intempestive. Elle ne sert à rien (la littérature), et c’est cela qui la rend insupportable à beaucoup et appréciable à certains.

 

Quand on est enfant il faut lire, non pas Harry Potter, mais ce qui est interdit par les grands. Et quand on est grand, il est misérable de lire Harry Potter. Le lecteur n’est parfois pas à la hauteur de l’écrivain. Il y a des lectures indignes (comme la correspondance pleurnicharde et honteuse de LF Céline). Il y a de mauvais livres, et on doit les montrer du doigt. Il y a des chefs d’œuvre et on doit les défendre, dire aux gens de cesser de lire les imbécillités que le marché leur prescrit, ce qui leur prend autant de temps et d’énergie, mais les vole.

 

Dantzig rappelle que, dans le fameux « Loft Story » de Télé réalité, la seule activité interdite était la lecture ! Ca doit suffire pour nous inciter à tourner la première page. Comme un vice qui aspirait le jeune fils de famille vers les lieux licencieux.

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3 décembre 2010 5 03 /12 /décembre /2010 20:36

  Le « Retour à Reims » de Didier Eribon est récemment paru en livre de poche (champs-essais). Je vous engage à lire cet essai qui mêle astucieusement autobiographie et analyse sociologique. Il est à la fois émouvant et éclatant de lucidité sur les fractures qui déchirent notre société.

Didier Eribon est un sociologue éminent, qui a enseigné et conférencé dans les grandes universités américaines. Il est connu pour ses travaux sur l’homosexualité (sa propre orientation) et sur Michel Foucault. Il fut proche de Pierre Bourdieu, et sa réflexion en porte explicitement l’héritage, dépouillée des oripeaux jargonnants qui rendent souvent Bourdieu incompréhensible.

Didier Eribon est issu d’une famille d’ouvriers miséreux. Il est le seul à s’en être extrait. Aujourd’hui, il porte un regard douloureux et coupable sur ce parcours, car pour quitter son milieu il convient de le trahir. De le repousser, de l’extirper de soi pour acquérir de nouveaux codes. Il a fallu « réapprendre à parler » écrit Eribon. Tous ceux qui ont vécu une ascension sociale, et qui ont du se constituer un capital culturel inédit dans leur lignée, savent de quoi il s’agit.

Changer de milieu, c’est discipliner son langage, son corps, ses manières, ses goûts. Parfois même son accent. C’est être attentif au retour de l’ancien Surmoi, qui est toujours là, et peut vous percer à jour. D’où le malaise que le passé suscite auprès des transfuges sociaux.

Pendant longtemps, Eribon a pensé que c’était son homosexualité qui l’avait opposé à ses parents et à sa fratrie. Puis il s’est rendu compte que la question sexuelle venait subsumer la véritable cause de ce déchirement : le rapport de classe. « Retour à Reims » est le récit d’une traversée des frontières de classe, et l’on sait bien qu’elles existent quand on a du les surmonter.

En ces temps de « communautarisme », Eribon met en évidence, par l’analyse d’une expérience intime, les clivages qui longtemps niés reviennent au devant de la scène. C’est comme si l’individu Eribon vivait dans son âme ce que la société française a perçu lors du mouvement sur les retraites : la classe ouvrière est bien là. Et ses intérêts ne sont pas les mêmes que ceux que servent les agences de notation financière.

Eribon, « transfuge social » radical, est aussi un militant solidaire des sans-papiers. Mais étonnamment il n’explore pas cette voie dans son ouvrage.

Il me semble pourtant que l’exil social, toutes proportions gardées, peut être comparé à l’exil tout court. Et d’ailleurs Eribon dit bien qu’il a très rapidement considéré, en entamant des études de philosophie, qu’il n’était plus chez lui à Reims. Plus tard, au sein du milieu intellectuel parisien, il s’est toujours senti un mouton noir. L’exilé social est ainsi comparable à ces jeunes issus de l’immigration qui se sentent  perçus comme étrangers en France comme au "bled". Jamais vraiment chez soi.

Les auteurs abordant ce sujet que connaissent bien les Boursiers de l’enseignement supérieur, les cadres issus des cours du soir, les autodidactes, les nouveaux riches… sont rares. Car « la bohème », c’est bien fini, et nos jeunes écrivains ont tendance à sortir de Normale Sup et de la Rive gauche.

Parmi ces rares auteurs, il y a la magnifique Annie Ernaux, dont deux petits ouvrages que j’ai lus parlent très précisément de cet exil social : « La place », « les armoires vides ». Eribon cite d’ailleurs Annie Ernaux. Et si vous tapez « Retour à Reims » sur Amazon, ce gros malin de site vous conseillera de lire aussi les romans et récits de Mme Ernaux. Le marketing, s’il le faut, utilise le comparatisme littéraire à bon escient.

Dans ma liste fantasmée de futures lectures, j’ai d’ailleurs inscrit « les Années », qui semble une de ses meilleures productions.


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26 novembre 2010 5 26 /11 /novembre /2010 18:55

 

" Anatomie d'un instant" : un mauvais titre pour un vrai chef d'oeuvre.

 

Le dernier ouvrage de Javier Cercas est édifiant d'intelligence, de sincérité. Il est un ouvrage d'histoire politique. Il est aussi littéraire dans le sens où il explore, dissèque les personalités en présence. Tout le monde y est responsable du coup d'Etat manqué de 1981 en Espagne, y  compris Juan Carlos, y compris les socialistes dont Felipe. Mais l'auteur se met dans la peau de chacun des protagonistes. S'il produit une analyse du coup d'Etat, il n'essaie pas de nous asséner une thèse. Il laisse des questions en suspens, admet l'incertitude, compte avec l'ambivalence des hommes. En même temps, il ne passe rien à personne. Complexité jubilatoire.

 

L"écrivain s'épanouit dans les plis de l'ambivalence.

 

Surtout, Cercas se remet lui-même en cause en tant qu'homme de gauche "surplombant" les générations du passé et leurs failles. C'est courageux, singulier et grandiose.

 

On pense évidemment au 18 brumaire de Louis Napoléon, de Marx. Un livre fascinant et furieux qui dépeint la lutte des classes comme un metteur en scène implacable des évènements. Cette référence flotte en arrière-plan. Cercas n'a certes pas le génie de Marx. Mais celui-ci n'avait pas non plus l'ambition littéraire de notre contemporain espagnol.

Ce livre nous pousse aussi à  nous rappeler que chaque homme n'est que la somme de ses actes... Sartre s'il vous plaît.

 

Des hommes rangés, de manière certaine, dans la catégorie des crapules, peuvent révéler leur grandeur en un moment de crise. D'autres s'effondrent face au paroxysme. Dos au mur, la vérité  éclate. Et les héros sont rares. Devant les balles sifflant dans l'hémicycle, trois hommes refusent de ramper: un apparatchik issu du stalinisme, un politicien roué jugé sans principes, et un Ministre qu'on aurait pu résumer à un facho vieillissant.

Un homme ne se réduit jamais à son passé. Il peut surprendre, surtout dans la crise. Et cela nous console un peu de la veulerie ordinaire.

 


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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


ete2010-035.jpg

 

 

D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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