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20 avril 2011 3 20 /04 /avril /2011 19:41

 

mendes.jpg Je n'ai jamais prêté une attention très soutenue à Pierre Mendès France. C'était pour moi, certes, l'homme de la décolonisation, mais vite écarté, sans trop combattre. C'était le dirigeant de gauche dont le bilan social se résumait à un verre de lait chaque jour pour les enfants ... vision somme toute limitée de la transformation sociale. C'était celui qui avait échoué à porter la gauche a pouvoir, fort heureusement supplanté par Mitterrand. Un homme respectable, mais naïf et un peu tendre. Englué dans le parlementarisme de la IVème République. Incapable de relever le gant face à De Gaulle, bien qu'ayant mille fois raisons sur la nature de la nouvelle République de 1958.

 

Et puis surtout, la plupart de ceux que j'ai vus se réclamer de Mendès (il en est de même avec Albert Camus) étaient des capitulards. Mendès était la bannière de tous ceux qui prônèrent le "consensus", le renoncement (il a été supplanté par Delors ensuite). Bref l'icône du Nouvel Obs, cet hebdo moraliste et prétentieux (du vieux Jean Daniel au jeune Claude Askolovitch) dont la vraie nature tient dans les pages "immobilier" (même Jacques Julliard en a eu assez). La deuxième gauche sans sa montre LIP, bref sans l'autogestion. Donc à nu, et finalement libérale. Son bilan ? Le tournant de 1983 et son cortège de chômeurs, et certes le RMI et la CSG... Ah, oui, j'oubliais qu'ils ont aussi aidé le "plan juppé" à s'appliquer, ainsi que la réforme Fillon des retraites... Avec de beaux résultats.

 

Quand j'étais étudiant en Institut d'Etudes Politiques (où j'ai d'ailleurs connu deux très sympathiques membres de la famille de PMF... une prof et une camarade) - cette machine à produire de la modération et donc du conservatisme - le modèle du "grand homme" qui nous était offert était bien Mendès. La femme modèle était Françoise Giroud... L'espoir déçu, Rocard...

 

Il y a eu, cependant, cette empathie étrange du mouvement de mai 68 pour PMF, venu à Charlety voir le mouvement mourir faute de débouché politique. Qui montre que Mendès a suscité l'admiration, en tout cas le respect, au delà de cercles technocratiques ou d'une gauche chrétienne inspirée par Emmanuel Mounier. Et puis il y eut le PSU, ce mouvement contradictoire, où l'on trouvait un peu de tout. Rocard y dissertait chapeauté par un portrait de Lénine...

 

Mais les parangons fidèles de la capitulation méritent-ils de s'approprier Mendès ? Non, si l'on se réfère au comportement de Pierre Mendès-France pendant la guerre. Tel qu'il se révèle dans le témoignage paru en mars 1942 aux Etats-Unis, date à laquelle on ne pouvait certes pas tricher...

 

"Liberté, liberté chérie" de Pierre Mendès France est un livre étonnant. Quand j'ai appris son existence, récemment, j'ai eu envie de le lire, car je me suis rappelé le film "le chagrin et la pitié" de Marcel Ophuls, cette oeuvre importante dans la construction de la mémoire sur cette époque, et qui relate l'occupation à Clermont Ferrand. On y voit Mendès témoigner de son emprisonnement, avec un détachement ironique, souriant, comme s'il racontait une banale péripétie de sa vie, une mésaventure... J'avais été frappé par son élégance, son humilité distanciée, et sa hauteur de vue.

 

Mendès fut héroïque et sans hésitations de bout en bout au cours de la guerre. Et il ne fut jamais animé par le moindre souci de compromis durant ces années.

 

Certes, à certains égards - et il se moque de lui-même à ce propos-, il pêche par naïveté et légalisme, en se laissant incarcérer par souci de s'expliquer publiquement, sans illusion sur la justice pétainiste. Et il attend le jugement de la cour de cassation pour s'évader...

 

Mais dès le premier jour de la débâcle, il n'hésite pas. Pilote dans l'Armée de l'Air, il veut se battre au front, lui qui est Député et ancien membre du gouvernement Blum. Il affronte sans ciller les magistrats chargés de l'habiller en traître juif, surmontant sa peur pour mener la bataille politique, et parvient à les ridiculiser. Il a un comportement admirable en prison, parvient à s'évader en échafaudant un plan minutieux et brillant. Puis avant de rallier Londres, via la Suisse, l'Espagne et Lisbonne, prend le temps de mener une enquête fouillée sur la France occupée. Il s'engage ensuite dans une unité de combat, et risque sans cesse sa vie dans des missions de bombardement.

 

On l'a dit, mais c'est vrai, Mendès c'est l'Honnêteté incarnée. Et on le vérifie à chaque page du livre. Un sens de l'honneur, de la dignité, très profondément ancré. Déjà désuet en son temps.

 

Ce livre, écrit certes correctement par un homme très intelligent, mais tout de même rapidement jeté sur le papier, est un document très riche à plusieurs titres. C'est un livre paru en mars 42, soit dans une période qui reste encore indécise. Mendès, lui, a compris, comme de Gaulle, que la défaite des nazis était programmée. Il avait aussi anticipé le succès des soviétiques.

 

C'est un document précieux sur la vie quotidienne en France en 40-41. Mendès prend beaucoup de temps à décrire longuement, avec de multiples détails, les conditions de vie, dans les villes, les campagnes, les prisons (il évoque même l'homosexualité en prison, sans préjugés et avec empathie pour les hommes qu'on sépare... rare attitude sans doute en 42). Mendès, grimé,  observe la France incognito durant sa "cavale". Et on perçoit les souffrances majeures imposées au peuple par l'occupant, avec le concours actif de la collaboration. Un texte précieux pour les historiens, les réalisateurs ou romanciers qui voudraient s'emparer de l'époque.

 

Mendès consacre de longs chapitres à  l'état d'esprit des français. Sujet qui n'a cessé et ne cessera d'animer le débat historique. Et Mendès est catégorique : les français sont largement hostiles aux allemands, à Vichy, et proches de la Résistance naissante. Y compris les milieux catholiques choyés par Pétain.

 

Difficile d'analyser les raisons de cet optimisme. Dans une post-face écrite en 1977, Mendès juge lui-même cet enthousiasme quelque peu exagéré... Ceci alors que les historiens s'accordent pour dire que l'opinion publique bascule franchement plus tard, à savoir au moment de l'instauration du Service Travail Obligatoire qui envoyait notre jeunesse en Allemagne.

 

Mais en 42, Mendès avait lui-même envie d'y croire, de galvaniser les lecteurs des Forces Françaises Libres, et sans doute de signifier aux américains, qui étaient sceptiques, que les français étaient sans ambiguités aux côtés des alliés...

 

En tout cas, il parvient, tout en étant traqué, à repérer très vite les premières formes d'expression de la Résistance, les journaux clandestins, le système de solidarité qui se noue.

 

Autre signe d'un esprit hors du commun : la perception, immédiate et lucide, de ce qui est en train de se passer pour les juifs. Mendès, par sa personnalité, y est certes sensible. Mais il décrit le processus tout à fait clairement, soulignant même le fait que Vichy a surabondé par rapport aux lois appliquées en Allemagne. S'il ne sait pas que le projet d'extérmination a commencé, il attire l'attention sur les déportations vers l'Europe de l'Est. Ceci très tôt dans la guerre, il faut le rappeler.

 

Le livre de Mendès France est aussi éclairant sur ce qu'est est un patriotisme de gauche, républicain. Un patriotisme comme une évidence : un peuple sous occupation n'est plus libre d'exercer sa souveraineté : l'unité de tous pour la liberté doit s'imposer. La Nation est un espace démocratique, qui n'existe pas sans la souveraineté populaire. D'où le ralliement immédiat de cet homme au projet de la France Libre. Tout de suite, Mendès embarque sur le "Massilia" parti de Gironde avec de nombreux politiques, militaires, fonctionnaires, pour aller continuer la lutte en Afrique du Nord. Et le livre est une analyse magistrale de ce guet-apens ignoble que fut le "Massilia", qui suffit à démontrer l'abjection des partisans de l'armistice et des pleins pouvoirs au pseudo héros de Verdun (en réalité boucher).

 

PMF fut un homme de haute stature, capable d'être implacable pour défendre ses principes, tout en gardant constamment une capacité de jugement sur les ambivalences de l'adversaire,  et ses circonstances atténuantes.

 

Rien de vil chez Mendès-France. Aucune facilité.

 

Je me souviens de ces images de la cérémonie d'investiture de mai 1981. Mendès-France est très âgé, fragile. Mitterrand parvient jusqu'à lui. Il lui serre longtemps les mains. Mendès rayonne de bonheur. Une joie sincère, désintéressée. Et je suis heureux de penser qu'alors il le fut.


 


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20 mars 2011 7 20 /03 /mars /2011 08:34

 julien-l-apostat.jpg Je me promenais, à l'aguet comme un chien de chasse- à l'excellent rayon greco-romain de la librairie "Ombres blanches" dans ma bonne ville de Toulouse, quand  je suis tombé sur un petit opuscule titré "Défense du paganisme - contre les galiléens" et attribué à Julien (dit) l'Apostat. Publié aux excellentes éditions des "mille et une nuits" (que Zeus et nos porte-monnaies les préservent).

 

J'aime les pamphlets. Alors un pamphlet écrit au quatrième siècle de notre ère, ça promettait.

 

L'Empereur romain Julien fut le neveu de Constantin, celui qui a décidé du grand basculement par lequel le christianisme est devenu religion privilégiée, puis officielle, puis écrasante, de l'Empire et par la suite de l'Europe médiévale.

 

Julien a été éduqué en chrétien, mais s'est laissé convaincre par les influences déclinantes du paganisme (le culte de cybèle en particulier). Quand il prend le pouvoir,  il ouvre la porte des Temples, et s'apprête à lancer une contre-offensive contre l'hégémonie naissante des disciples de Jesus. Mais il ne règne que deux ans et meurt. Les chrétiens y ont vu un signe.

 

Qui sait ce qu'un long règne de Julien aurait suscité ? Pas grand chose si l'on suit la pensée de Paul Veyne, dans son très agréable et instructif essai : "Comment notre monde est devenu chrétien ?" paru il y a quelques années. Où il explique entre autres que Constantin a choisi le christianisme par intelligence politique, cette religion lui permettant - par sa dimension universaliste - de consolider le projet impérialiste romain en péril. Le christianisme avait de toute manière les atouts pour s'imposer, et ce ne fut que lucidité de politicien de le placer sous la coupe de l'Empereur et de l'intégrer au coeur du système politique.

 

Mais sait-on jamais... La survie de Julien aurait peut-être eu des conséquences incommensurables, et notre Président de la République et sa cohorte de caméras moutonnières auraient pu s'épargner la tournée des cathédrales et du vatican pour saluer le fameux "héritage" afin de se réconcilier avec son électorat.

 

Il y aurait une fantastique uchronie à écrire, en filant cette hypothèse. Il nous faudrait un Asimov pour cela.

 

Première impression de lecture : ceux qui pensent que les "païens" étaient des brutes chevelues à l'haleine lourde de cervoise en seront détrompés : l'on pouvait penser, et penser subtilement, en païen. On est très loin de Néron et des calomnies délirantes déversées sur les chrétiens pour fabriquer des coupables.

 

Julien s'attache surtout à analyser les textes : l'Ancien Testament, les Evangiles, ; et à en débusquer les incohérences. Il le fait en rationnaliste. On peut d'ailleurs être étonné de la modernité de son approche. Lorsqu'il évoque l'épisode de la tour de Babel, il la met dans un même sac que certains récits d'Homère et nous dit : "je pense qu'on ne doit pas ajouter plus de foi aux uns qu'aux autres ; je crois même que ces fables ne doivent pas être proposées comme des vérités à des hommes ignorants". Et très simplement il constate qu'il faudrait autant de matière que la planète en contient pour réaliser une tour qui atteigne le ciel..."d'ailleurs quelle étendue les fondements et les étages d'un semblable édifice ne demanderaient-ils pas ?".

 

Cette manière de démystifier, un peu ironique, est très moderne . Quand on pense que le Vatican n'a admis que très récemment, et encore avec des trémolos dans la voix et sans trop insister, que certains passages des écritures avaient valeur de métaphores, qu'il ne fallait pas les prendre au pied de la lettre...

 

Ce côté un peu caustique et hautain du propos -presque comique- n'est pas le moins intéressant du texte : "Mais qu'a fait votre Jésus qui (...) est connu seulement depuis trois cent ans ? Pendant le cours de sa vie, il n'a rien exécuté dont la mémoire soit digne de passer à la postérité, à moins de mettre au nombre des grandes actions qui ont fait le bonheur de l'univers la  guérison  de quelques boîteux et de quelques démoniaques".

 

Julien s'évertue à appuyer sur la faiblesse du jeune christianisme : l'ambiguité de sa relation aux Hébreux. Selon les paroles de Moïse, il ne peut y avoir qu'un seul Dieu. et qu'une seule Loi. Qui est donc ce Jésus et quel est la statut de cette parole nouvelle ? 

 

Julien souligne au passage des accointances entre Hébraïsme et paganisme, qui ne diffèreraient que sur l'idée du Dieu unique. Les païens croient à des "Dieux nationaux". Chacun ses Dieux en somme, et tout le monde est content. L'Empereur n'a évidemment aucune hostilité envers une religion non prosélyte, qui ne menace pas le monopole universel de l'Empereur. La menace pour Rome, c'est bien l'ambition chrétienne, d'où l'emploi de ce mot de "galiléen" qui essaie de confiner cette religion à une vocation régionale. 

 

Approche rationnelle qui déroule son fil : s'il y a multitude de croyances dans le monde, c'est donc qu'il ne peut pas y avoir de Dieu unique. On reconnaît la prescience d'arguments qui seront ceux de l'athéïsme : " pendant des myriades d'années (...) il (le Dieu des juifs et des chrétiens) a laissé les peuples dans la plus grande ignorance  adorer les "idoles"(c'est ainsi que vous les appelez) de l'Orient à l'Occident, du Nord au Sud, excepté un petit peuple habitant depuis moins de deux mille ans une partie de la Palestine. Car s'il est bien notre Dieu à tous et le créateur de toutes choses, pourquoi nous a t-il négligés ?".

 

Et plus encore : dans la critique que Julien nous livre de la Génèse, on dénote des bribes d'humanisme (ce qui prouve que l'humanisme doit autant à l'héritage antique qu'à sa couveuse chrétienne) : "n'est-ce pas la plus grande des absurdités de dire que Dieu interdit la connaissance du bien et du mal aux personnes qu'il a lui-même façonnées ? Y a t-il en effet d'être plus stupide que celui qui ne sait pas distinguer le bien du mal ? Car il va de soi dans ce cas qu'il n'évitera pas le second, je veux dire le mal, ni ne poursuivra le premier, je veux dire le bien. Bref Dieu a interdit à l'homme de goûter à la sagesse (...) le serpent fut de ce fait un bienfaiteur plutôt qu'un corrupteur du genre humain".

 

Ce petit texte donne raison à ceux qui pensent que la Renaissance fut bel et bien une Renaissance, allant chercher dans le passé antique (par l'intermédiaire des érudits arabes) les germes de sa vitalité. Le déclin de l'Empire Romain, couplé à l'enfouissement de la pensée classique, subsumée par l'omnipotence chrétienne, a sans doute ouvert une période plus sombre pour l'humanité, dont elle mit longtemps à émerger.

 

"Héritage chrétien" alors ? Oui sans doute. Mais au sein d'un héritage multiple, riche des différentes civilisations méditerranéennes, des philosophes, des juifs et des païens,  des hérétiques et plus tard des agnostiques, de l'humanisme traqué par l'Eglise, des Lumières... Une sacrée macédoine. Ce "multiculturalisme" n'a pas échoué, il a pétri ce que nous sommes.

 


 

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2 mars 2011 3 02 /03 /mars /2011 08:57

 

cavalierpolonais.jpg

 

"Cette Histoire se déroule en Pologne, c'est  à dire nulle part"

 

Alfred Jarry, en préambule d'Ubu Roi (euh, de mémoire...)

 

Ma lecture de "Jan Karski' de Yannick Haenel (Folio) est ambivalente, comme l'a été l'accueil public de ce livre salué mais contesté avec virulence par certains, dont au premier chef Claude Lanzmann, à qui ce livre rend pourtant fortement hommage.

 

Jan Karski fut un personnage réel. Il  entra dans le bureau de FD Roosevelt, au beau milieu de la deuxième guerre mondiale, pour lui révéler l'extermination des juifs d'Europe, dont il avait été le témoin oculaire.

 

Résistant polonais, catholique, ancien sous-officier échappant de peu au massacre de Katyn, Karski a traversé l'Europe au service de la Résistance polonaise.

 

Il accepta alors qu'il devait servir d'agent de liaison avec le gouvernement polonais en exil, de porter le message du ghetto de Varsovie au monde.

 

Et son drame fut paradoxalement de réussir, d'être entendu, écouté. Il publia même un livre bien vendu aux Etats-Unis avant la fin de la guerre !  Mais cela ne servit à rien. Les alliés ne firent jamais du sauvetage des juifs d'Europe une préoccupation. Ils ne prirent même pas le temps de bombarder les chemins de fer qui menaient aux camps.

 

Le livre de Yannick Haenel est d'abord fort de son sujet. Le lecteur est abasourdi par le périple de cet homme, que le film "Shoah" sortit de décennies de silence. Karski a vécu tout ce qu'un homme pouvait subir dans cette guerre en restant vivant, et ce n'est pas peu dire.

 

Un des intérêts multiples du livre est de montrer que des héros comme Karski n'avaient rien de surhommes. Karski est sans cesse pris de tremblements, de crises de nerfs, d'accès de dépression, d'envies de mourir. Lorsqu'il sort du camp d'extermination où il s'est infiltré, il vomit jusqu'à en tomber dans le coma. Son histoire nous rend cette Histoire plus réelle, plus humaine, plus terrifiante encore.

 

Karski porte en lui le sort terrible de la Pologne (un de mes pays d'origine dis-donc  !). Une terre toujours en butte à l'envahisseur. Un pays que se sont partagé Staline et Hitler. Un pays qui servira de lieu principal à l'industrie d'extermination, marquant ainsi du sceau de l'infâmie un peuple qui pourtant résista courageusement : il n'y eut pas de Pétain polonais, mais au contraire un Etat clandestin organisé et combattant. Un peuple qui toujours fut abandonné : par l'ouest à Yalta, mais encore par les soviétiques qui attendirent l'arme au pied à quelques encablures pendant que l'armée allemande décimait deux cent mille polonais insurgés à Varsovie, avant de se replier.

 

Le drame personnel de Karski rejoint celui de son pays : la Pologne résista pour rien, Karski témoigna sans résultat.

 

Haenel affronte de manière convaincante et courageuse la question : pourquoi le témoignage n'a t-il servi à rien ?

 

Il y a d'abord une raison fondamentale : l'information est incommensurable. L'esprit humain ne veut pas en prendre la mesure. Ce n'est pas possible alors ce ne doit pas être possible. Ce Karski doit parler de Pogroms et il force le trait, voila tout. Pour conjurer la dérangeante nouvelle,  son ampleur et sa nature inédites, on alla jusqu'à dire que Karski était chargé de salir les allemands afin de faire oublier l'antisémitisme polonais.

 

Et il y a aussi une raison politique, qu'Haenel radicalise dans son propos : les Alliés ne voulaient pas sauver les juifs, d'après lui. Car il aurait fallu les accueillir, susciter des conflits internes dans les pays, ou bien bouleverser les équilibres en les accueillant en Palestine. Haenel raconte une chose que j'ignorais ou que j'avais oubliée : vers la fin de la guerre, les dirigeants roumains alliés aux nazis, qui se sont illustré dans le massacre systématique, sentirent la défaite approcher. Pour se protéger, ils proposèrent aux alliés de racheter 70 000 juifs. Ce troc aurait été ignoble mais il aurait permis de sauver des vies. Et bien les alliés ne donnèrent pas suite.

 

Karski lui-même, qui devint professeur de sciences politiques aux Etats-Unis, se consacra à étudier l'attitude des alliés face à un processus d'extermination qu'ils connaissaient tout à fait,. Et il en ressort que des restrictions à la politique d'immigration ont été introduites au fur et à mesure des années. Eléments que Viviane Forrester a aussi soulignés, si je me souviens bien, dans son essai "Le Crime occidental" qui traite des sources historiques du conflit Israelo-arabe.

 

En lisant "Jan Karski" je n'ai pu m'empêcher de penser au Rwanda et au sort de l'ex yougoslavie dans les années 90. Même si les situations n'étaient pas comparables, elles ont donné lieu à des massacres sur une base ethnique, au vu et su de tous. Nous savions. Qu'avons-nous fait ? Pas grand chose. Ce qui s'est passé pendant la deuxième guerre mondiale, cette passivité, n'est pas si incompréhensible au regard de nos propres turpitudes contemporaines. Au moins les alliés avaient-ils leurs propres désastres à affronter : leurs populations se battaient et mourraient, Londres était bombardée, il fallait survivre dans la difficulté matérielle et l'angoisse à son paroxysme. Et il y avait cet effort de guerre, qui finalement permit aux juifs et à d'autres de ne point être anéantis dans leur totalité. Dans cet océan de souffrances, le sort d'une communauté apparaissait sans doute comme une calamité parmi tant d'autres.

 

Mais nous, dans les années 90, n'avions pas de tels soucis. Et pourtant nous avons regardé les images des massacres entre un PSG-Marseille et la cérémonie des Césars.

 

Haenel écrit ainsi quelque chose de marquant : l'extermination n'était pas un crime contre l'humanité, mais un crime de l'humanité. Les coupables étaient les nazis, mais ils étaient humains. Et la passivité des autres êtres humains interroge. Le message du ghetto de Varsovie aux alliés ne demandait pas l'impossible : bombarder les villes allemandes en guise de représailles, en inondant la population de tracts leur révélant la vérité, en promettant de continuer tant que les nazis ne mettraient pas un terme à la solution finale.Cela n'aurait peut-être servi à rien. Et alors ?

 

Il reste que le statut de ce livre pose question, et je partage les réticences de Claude Lanzmann en l'occurence. C. Lanzmann a certes tendance à agir comme un censeur autoproclamé de tout ce qui s'écrit ou se fime sur le sujet. Il a notamment du mal à accepter que la fiction puisse s'emparer de cette période. Mais ceux qui ont lu "Le lièvre de Patagonie", son autobiographie d'une grande valeur, savent qu'il s'agit d'un intellectuel très conséquent.

 

Le livre de Yannick Haenel est bâti en trois parties, et certes il l'annonce, ne nous prenant pas en défaut.

 

La première partie revient sur le témoignage de Jan Karski dans "Shoah" et ne pose aucun problème. La deuxième partie est un résumé du livre de Jan Karski écrit en 1944, et si on ne l'a pas lu (ce qui est mon cas) on y trouve un immense intérêt. Mais enfin, à quoi sert d'écrire des résumés ?

 

C'est la troisième partie qui est très critiquable, non dans ses intentions ou son admirable contenu, mais dans son projet même : faire parler Karski à la première personne, alors qu'il s'agit d'une histoire qu'il n'a jamais raconté : celle où "il "revient sur sa rencontre avec Roosevelt, sur "son" travail de témoin aux Etats-Unis, sur "sa" vie après-guerre et "ses" sentiments envers la Pologne, le communisme, la mémoire...

 

Nous nageons ici en pleine confusion. Il est très difficile, à travers ses pages, de distinguer Haenel de Karski, et c'est comme si l'auteur réel volait la personnalité exceptionnelle du Résistant Polonais pour exprimer ses propres visions.

 

Haenel s'est défendu en se fondant sur le droit à la fiction... Mais ce n'est que sophisme car là n'est pas le problème. "Les bienveillantes" de J. Littell sont une fiction. On a le droit d'écrire une fiction sur le sujet que l'on souhaite, sans limites.

On a aussi le droit d'écrire sur un personnage existant, en utilisant la troisième personne. On a ainsi le droit d'émettre toutes les hypothèses sur ce qu'il pense ou ressent : c'est l'objet du roman historique.

 

Mais quand on utilise la première personne du singulier pour faire dire à Karski des choses essentielles qu'il n'a jamais dit lui-même, en tout cas avec ces mots qu'on lui met dans la bouche, on se transforme en faussaire. Qui plus est en faussaire intéressé, car il est évident que les paroles d'un Karski sont plus spectaculaires et pour tout dire vendeuses que celles d'un romancier français méconnu.

 

Et je ne dis pas cela parce que je penserais que la "Shoah" soit un domaine réservé aux historiens de "métier". Je pense que cela s'applique à n'importe quelle personne ayant vécu. Il est scandaleux de rédiger de prétendues autobiographies à la place du mort, même en précisant au début qu'il s'agit d'une fiction. Car les livres vivent leur vie, et sans doute demain des citations de ce livre seront prêtées à Jan Karski alors qu'il n'en est pas l'auteur.

 

Le débat qui a entouré ce livre annonce la question qui va bientôt surgir : comment le discours sur la deuxième guerre mondiale doit t-il se recomposer avec la disparition des témoins ?

 

L'accueil dithyrambique, sans réserves, réservé par la critique à ce livre de Yannick Haenel, n'est guère rassurant à cet égard.

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1 février 2011 2 01 /02 /février /2011 08:10


bacon.jpg Le Ministre de la Culture - est-ce un hommage à Tartuffe ? - prétend avoir "relu" Céline avant de le retirer des célébrations officielles de 2011.

Y avait-il besoin de "relire" pour savoir que Céline fut un des pamphlétaires antisémites les plus violents de l'avant guerre, mais aussi de la guerre et de l'après-guerre ? Un pionnier du révisionnisme aussi. Capable d'écrire, après 1945, que les juifs n'ont pas été persécutés (moins que les collaborateurs selon lui) et que ce devait être un plaisir de se balader avec une étoile jaune... Céline innocent ? Quelle blague ! Pourquoi un innocent aurait-il accepté de partir dans les valises des nazis à la Libération, errant d'un "château l'autre" avec ses compères en traîtrise.

J'ai aimé "Voyage au bout de la nuit" et "Mort à crédit", que j'ai lus plutôt jeune. Plus tard, en y repensant, et avec plus de ressources culturelles à ma disposition, j'ai compris ce qu'annonçaient ce pacifisme, cet individualisme, ce pessimisme absolus. Les germes de la dérive fasciste de Céline étaient déjà dans "le voyage", derrière la façade anarchiste. Mais cela, on ne peut le comprendre qu'avec le recul historique. Car au moment où Céline écrit "le Voyage...", les courants qui agitent l'Europe sont tumultueux et n'ont pas toujours pris une forme nette. Le pacifisme sera le nid du meilleur et du pire : des Résistants et de l'infâme Doriot. De René Char le maquisard et de Céline le salaud.

Céline l'écrivain, c'est son oeuvre écrite, dans son intégralité. Et l'on ne saurait écarter, au nom du sacre du style, les monceaux d'ordure que cette boule de haine vivante a crachés. Ce serait comme admirer Hitler et Mussolini pour leurs talents oratoires.

Il faut donc lire Céline. Le disséquer et le comprendre, sans aucune complaisance. Je suis pour ma part favorable à ce qu'on publie Mein Kampf ou les pamphlets antisémites, mais munis d'un solide dispositif critique et historique accompagnant les pages, ne serait-ce que pour empêcher les fascistes de se victimiser ou de se mythifier. La morale et l'interdit ne peuvent pas suffire à nous prémunir. Il faut lutter par les armes de l'argumentation. Il faut se confronter aux monstres. Il faut étaler aux yeux de tous leur ignominie.

Mais défendre Céline, et encore plus le "célébrer" nationalement, c'est absoudre sa complicité fondamentale avec le crime. Car il n'y a pas de schisme entre l'homme haïssable et l'écrivain Céline. C'est avec sa plume qu'il a préparé, attisé, légitimé, justifié, la folie génocidaire.

On ne juge pas une oeuvre à partir de critères moraux relatifs à la vie de  l'auteur. Mais utiliser cet argument là pour Céline, qui s'est engagé tout entier dans la fange, y nourissant sa plume, c'est être cynique et ignoble.

Je suis effaré de lire, dans les tribunes qui sortent ces derniers jours, tout un tas de snobs défendre Céline en pourfendant "la censure". Ils ne méritent que mépris, ces intellectuels qui se pincent le nez pour pouvoir déguster le style célinien, afin de ne point humer les vapeurs insupportables de ses pages. J'y vois un signe du nihilisme dans lequel s'enfonce notre temps. On nous enjoint sans cesse à être "sans tabous" pour être dans le vrai. Sale époque.

Il s'agissait donc d'inclure Céline dans la liste des "célébrations nationales".

A dire vrai, je n'ai jamais goûté "les Célébrations" de tous types. Ni le concept de Mémoire. Ni le traitement du passé par l'émotion, le recueillement, la minute de silence, la repentance spectacle. Je préfère la nécessité d'Histoire, la noblesse du politique, l'acharnement à comprendre, à chercher, à expliquer. Le nazisme par exemple n'a rien d'un phénomène surnaturel, c'est un fait politique et historique. Qu'il convient d'analyser, et dont on doit dévoiler les causes, les circonstances.

Les Célébrations ressemblent trop à des récitations expiatoires commandées au confessionnal, ou encore à l'achat d'Indulgences. Comme si on célébrait pour éviter d'être réellement fidèle. Dans ma région, par exemple, on rend tout le temps hommage à Jean Jaurès, on le cite sans cesse, on l'imprime sur les cartes de voeux. J'y ai cédé moi-même.
Mais qui le lit ?
Qui réfléchit à son parcours ?
Qui l'imite ?
Qui aurait quitté, comme lui, le confort du nid républicain, pour aller rejoindre un mouvement ouvrier balbutiant et divisé, alors que tous les honneurs lui étaient promis ?
Qui se hisse à son niveau d'exigence intellectuelle ?
Qui a son souci de cohérence entre les mots, les actes, le comportement individuel ?
Sommes-nous un instant dignes de nous réclamer de Jean Jaurès ? Telle est la question qui devrait se poser.

La Célébration force le respect, le silence. Elle empêche l'expression du Dissensus. Elle est ainsi le territoire de la confusion, là où s'épanouissent les hypocrites. L'épisode détestable de la manipulation de la lettre de Guy Môquet nous l'a bien montré.

Et comme l'ont osé une fois les jeunes surréalistes, quand un notable fâné rend un hommage à Arthur Rimbaud, il mériterait qu'on lui rappelle crûment que ce sont des types comme lui qui l'ont convaincu de fuir en Abyssinie.

 

Célébrons un peu moins. Soyons inspirés. Et ne nous contentons pas de donner des noms d'écrivains à des places publiques. Lisons-les. Pour le pire et le meilleur.

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31 décembre 2010 5 31 /12 /décembre /2010 18:11

Napoleons_retreat_from_moscow.jpg Quel petit garçon (d'un temps que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître) n'a frémi devant une vitrine de magasin de jouets présentant des soldats de plomb de "la grande Armée" napoléonienne ?

Je suis allé quatre fois en Corse par bateau depuis Marseille ou Toulon, étant enfant. J'en ai peu de souvenirs : la soute, comme le ventre d'une baleine pleine de voitures dévorées ; les montagnes d'écume soulevées par l'hélice géante, et les vitrines décorant les couloirs de ce bateau ( qui s'appelait le Napoléon ou le Bonaparte sans doute) reproduisant telle bataille avec des dizaines de figurines. J'y vois encore les grenadiers,  les Dragons, les  anachroniques Mamelouks, les Uhlans, et l'Empereur lui-même. J'étais émerveillé. Cependant, les seules épées que j'ai rencontrées en Corse sont les épines d'un oursin, qui a impitoyablement vaincu ma voûte plantaire.

Patrick Rambaud, qui s'illustre aujourd'hui par ses successives et piquantes "Chroniques du règne de Nicolas 1er", a du beaucoup rêver d'Austerlitz ou du Pont de Lodi.

Pour tous ceux qui voudraient en savoir plus sur cette époque brève et dense, où l'ambition d'un homme adopta une forme tout à fait extraordinaire, il  n'est pas obligé d'en passer par les sommes historiques d'un Jean Tulard. Les petits romans en poche de Patrick Rambaud suffisent déjà pour se plonger, avec plaisir, dans cette Europe en proie à des bouleversements gigantesques, aux côtés des grognards.

- Il y a son meilleur livre, "La Bataille", qui relate la confrontation avec les autrichiens à Essling, à deux pas de Vienne. On y apprendra ce qu'était la guerre (40 000 morts pour rien). Cette bataille a ceci d'intéressant qu'il n'en ressort aucun vainqueur. Ou aucun vaincu. A l'instar, peut-être du résultat ultime de toutes les guerres. Les seuls vaincus, ce sont ceux qui restent sur le champ, les mutilés et leurs familles. Et les peuples qui financent l'effort de guerre.
essling.jpg - Il y a "Il neigeait", qui conte la retraite de la Bérezina, après l'incendie de Moscou. On gèle avec les soldats et on vit de l'intérieur l'écroulement dantesque de l'armée française.

- Il y a le moins tumultueux "Le chat botté" qui porte sur le moment où Bonaparte sauve le Directoire grâce à quelques canons et rencontre Joséphine. Le tremplin qu'il ne fallait pas manquer. La chance sourit aux audacieux. Ce livre a pour intérêt de jeter la lumière sur une époque méconnue, et sur ces fripouilles acoquinées aux royalistes qui alors s'emparèrent du pouvoir, abattant Robespierre et se grimant en libérateurs.

- Il y a "L'absent", qui cible cet épisode loufoque (parmi tant et tant d'incroyables) de l'exil à l'Ile d'Elbe et de la préparation du retour au pouvoir - inconcevable mais réel -  d'un homme fort de son seul prestige et de son culot. Sa seule apparition suffisant à abattre un régime.

Arrivee-Napoleon9 Je ne suis pas bonapartiste pour un sou. Je sais ce que signifie cette formule politique, tour de passe-passe pour tout changer pour que rien ne change. Je n'ai nulle sympathie pour cet homme qui était un opportuniste et un mégalomane meurtrier. Même s'il a préservé des acquis de la Révolution. Et même s'il en a enraciné des principes essentiels (le Code Civil), qu'il a répandu en Europe comme une semence qui rejaillira violemment en 1848.

Mais cette épopée qui court sur quinze années stupéfiantes ne peut que nous passionner.

Dans un style tout aussi alerte, aisé à lire mais diablement efficace, il y a les quatre tomes du "Napoléon" de Max Gallo, écrit sur le mode du récit historique. Comme un roman vrai.

Gallo a du écrire ce livre à un moment où il devait flotter entre souverainisme républicain et nationalisme assumé, avant de sombrer dans cette dernière ornière. Son admiration pour la geste napoléonienne est trop perceptible. Et si on le suit, Napoléon n'avait pas le choix de mettre à sang toute l'Europe... pauvre France impériale menacée de tous bords... Ca m'ennuie ainsi de le dire, mais ce livre est vraiment réussi, de bout en bout. On y vibre dans le maquis Corse. On suit pas à pas le jeune apprenti officier jusqu'au faîte de l'Europe et on mesure sa déchéance vertigineuse.

Gallo, malgré sa productivité suspecte, tous ses défauts d'intellectuel systématique et les sottises politiques qu'il profère sur les plateaux télévisés, est un bon écrivain populaire. Son "Grand Jaurès" est excellent, et sa biographie de Rosa Luxembourg ne démérite pas. Rambaud et Gallo sont brillamment "élitaires pour tous".

Tant que vous y êtes, allez visiter les salons Empire au Louvre. Pour vous en imprégner. Et regardez Napoléon du point de vue Russe, avec Tolstoï.

rosa2.jpg

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25 décembre 2010 6 25 /12 /décembre /2010 19:32

   photocatilina.jpg Un type s'avère aigri et ambitieux.


Il veut prendre le pouvoir. A cette fin, il cherche à rassembler tous ceux qui ont une raison quelconque d'en vouloir aux chefs en place : les perdants, les fainéants, les oubliés, les envieux, les cupides, les ulcéreux. Il les agite et entretient leur animosité.

Partout où ils sont, il suscite leur fiel, leur fournit de l'espoir pour l'avenir, leur explique qu'il est un fier à bras et qu'au moment voulu il ne se dégonflera pas - lui - pour chasser ces chefs qui leur pourissent la vie...

Vient un jour où tous se rencontrent et c'est très tendu. On est à deux doigts d'en venir aux mains.  Mais ça se calme. Ce n'est que partie remise.  Les critiques et sarcasmes reprennent de plus belle. Chacun rivalise de phrases venimeuses et de menaces contre les chefs. Des incidents éclatent. On sent que le dénouement est proche.

Comme les envieux veulent s'assurer de réussir, ils prennent contact avec de nouveaux alliés potentiels. Ceux-ci finassent, tergiversent, mais finissent par se laisser séduire. Un jour, l'un de ces nouveaux comploteurs se fait piquer en train de médire sur les chefs. On lui explique qu'il peut se blanchir en dénonçant les vrais méchants, les fomenteurs de la trahison, en aidant à leur tendre un piège.

A la suite de quoi les traîtres sont confondus et corrigés un par un.

Pendant ce temps, le leader de la contestation s'est mis au vert par prudence. Il apprend que ses amis ont été percés à jour, mais il veut penser que c'est le signal de la révolte. Alors il rue dans les brancards et se retrouve seul et acculé. Il disparaît de la vie de la communauté...

... Après ça, on causera beaucoup pour dire que cet incident a révélé la sale ambiance qui régnait. Et les problèmes futurs seront lus au regard de cette ancienne crise.

C'est arrivé dans votre association, votre club d'escrime, votre syndicat, votre troupe de théâtre, votre boîte de com' ou votre promotion de prépa HEC ? Sans doute, et rien de plus normal.

Mais sachez que c'est aussi le propos de "La conjuration de Catilina" de Salluste, grand texte historique romain, référence pour ceux qui perpétuèrent la pratique de l'Histoire à travers les siècles.
 

Un court récit écrit au cours du premier siècle avant JC, et qui raconte un complot déjoué par Cicéron à Rome, annonciateur de l'agonie de la République.

 

Catilina, furieux de ne point parvenir à être élu Consul, essaya de cristalliser tous les mécontentements dans une Rome paradoxalement affaiblie et corrompue par ses succès et l'immensité de ses conquêtes. 

 

Cicéron, le fameux maître en rhétorique, le mit en échec en retournant ses alliés gaullois et en les transformant en taupes au sein du complot. Catilina tenta le coup pour le coup et prit les armes. Il fut écrasé et mourut le glaive à la main, dans un sursaut de dignité. La République s'en sortit, mais vécut ses dernières heures, comme Cicéron. Le Césarisme était déjà là.

Ce petit texte est intéressant à lire, tant il montre que la politique suit finalement les mêmes schémas depuis fort longtemps. Les guéguerres de clans, tout ce qui agite le landernau, ce ne sont que péripéties bien répétitives. L'essentiel n'est sans doute pas là. Pour comprendre le monde sans doute faut-il regarder ailleurs, au plus profond et durable.


La politique, vraiment, c'est du déjà vu.


.braudel Alors délaissez si vous le pouvez les Dépêches AFP et leurs innombrables retranscriptions pavloviennes, les rubriques "en hausse/en baisse" des hebdomadaires. Préférez "la Dynamique du capitalisme" de Fernand Braudel (petit ouvrage lumineux sur l'histoire de ce mode de production) aux éditoriaux des économistes et "spectateurs engagés" en vogue, qui se sont toujours trompés mais continuent à arborer la même suffisance.

 

Comme "la Conjuration de Catilina"est publiée en "bilingue", vous pourrez ressentir un brin d'émotion en vous souvenant de vos cours de latin en 4ème.

P.S : la grande hélléniste Jacqueline de Romilly nous a quittés. J'ai lu son "Alcibiade" il y a dix ans. Edifiant. Encore un personnage qui a montré, il y a si longtemps à Athènes ou en se vendant aux ennemis de la Cité, la nature de la politique. Celle qui se déploie chaque jour devant nous. La politique, c'est l'art de conquérir le pouvoir. Et tout est presque dit.

alcibiade.jpg

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


ete2010-035.jpg

 

 

D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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