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19 décembre 2016 1 19 /12 /décembre /2016 21:46
Lettre d’Asli Erdogan, depuis sa prison turque

"Chères amies, collègues, journalistes, et membres de la presse,

 

Je vous écris cette lettre depuis la prison de Bakırköy, au lendemain de l’opération policière à l’encontre du journal Cumhuriyet, un des journaux les plus anciens et voix des sociaux démocrates. Actuellement plus de 10 auteurs de ce journal sont en garde-à-vue. Quatre personnes dont Can Dündar (ex) rédacteur en chef, sont recherchées par la police. Même moi, je suis sous le choc.

 

Ceci démontre clairement que la Turquie a décidé de ne respecter aucune de ses  lois, ni le droit. En ce moment, plus de 130 journalistes sont en prison. C’est un record mondial. En deux mois, 170 journaux, magazines, radios et télés ont été fermés. Notre gouvernement actuel veut monopoliser la “vérité” et la “réalité”, et toute opinion un tant soit peu différente de celle du pouvoir est réprimée avec violence : la violence policière, des jours et des nuits de garde-à-vue (jusqu’à 30 jours)…

 

Moi, j’ai été arrêtée seulement parce que j’étais une des conseillères d’Özgür Gündem, “journal kurde”. Malgré le fait que les conseillères n’ont aucune responsabilité sur le journal, selon l’article n°11 de la Loi de la presse qui le notifie clairement, je n’ai pas été emmenée encore devant un tribunal qui écoutera mon histoire.

 

Dans ce procès kafkaïen, Necmiye Alpay, scientifique linguiste de 70 ans, est également arrêtée avec moi, et jugée pour terrorisme.

 

Cette lettre est un appel d’urgence !

La situation est très grave, terrifiante et extrêmement inquiétante. Je suis convaincue que l’existence d’un régime totalitaire en Turquie, secouerait inévitablement, d’une façon ou d’une autre, aussi l’Europe entière. L’Europe est actuellement focalisée sur la “crise de réfugiés” et semble ne pas se rendre compte des dangers de la disparition de la démocratie en Turquie. Actuellement, nous, - auteurEs, journalistes, Kurdes, AléviEs, et bien sûr les femmes - payons le prix lourd de la “crise de démocratie”. L’Europe doit prendre ses responsabilités, en revenant vers les valeurs qu’elle avait définies, après des siècles de sang versé, et qui font que “l’Europe est l’Europe” : La démocratie, les droits humains, la liberté d’opinion et d’expression…

 

Nous avons besoin de votre soutien et de solidarité. Nous vous remercions pour tout ce que vous avez fait pour nous, jusqu’à maintenant.

Cordialement."

Aslı Erdoğan
1.11.2016, Bakırköy Cezaevi, C-9"

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10 décembre 2016 6 10 /12 /décembre /2016 11:50
Non Madame le Pen, on ne fait pas la guerre civile aux enfants !  Par jérôme Bonnemaison, auteur de "La petite enfance dans la cour des grands", Dunod
Non Madame le Pen, on ne fait pas la guerre civile aux enfants !  Par jérôme Bonnemaison, auteur de "La petite enfance dans la cour des grands", Dunod

Le souvenir  des enfants d'Izieu s'est télescopé dans mon esprit avec l'horreur subie par les enfants d'Alep à cette seconde. Les enfants n'ont jamais échappé à la barbarie déchaînée par les adultes "responsables". Le droit international, chemin faisant, en essayant de sanctuariser ce qui pouvait l'être, introduisant - peut-être naïvement, oui - de la civilité dans la guerre, a parmi d'autres réalisations , comme la création de la CPI ou auparavant la proscription de la torture et des armes chimiques, tenté de protéger l'enfance autant que possible.

 

C'est ainsi qu'ont émergé les droits de l'enfant comme une catégorie particulière, la première d'ailleurs, à contrebalancer la loi absolue du marché au 19 ème siècle, lorsque le travail infantile fut dénoncé. C'est ainsi que l'enfant, dans les textes de loi internationaux déclinés dans les législations locales, a des droits en tant qu'enfant. Qu'il échappe à cette condition de sans droit radical décrite par Hannah Arendt dans un monde où l'apatride, le migrant, ne sont pas de la Cité car ils ne sont pas reconnus par la Nation.

 

Parmi ces droits, transnationaux et inconditionnels, du mineur, il y a celui d'être protégé quoi qu'il en soit, et d'avoir accès à une éducation. L'enfant échappe, dans les esprits civilisés, aux luttes sociales des adultes.

 

Il bénéficie d'une trêve ininterrompue, en vertu de son innocence. L'enfance est un pays éternellement neutre.

 

Or quand Marine Le Pen, qu'on nous dit déjà qualifiée pour le second tour des présidentielles, "propose" la fin de la gratuité de l'école pour les enfants d'adulte en situation irrégulière, elle fracasse le principe même de sanctuarisation de l'enfance. Pis elle instrumentalise l'enfant, pour mener une politique, illusoire d'ailleurs, car on fuit aujourd'hui pour ne pas mourir, de contingentement brutal de l'immigration.

 

L'enfant n'est plus ici une fin mais un moyen. En plus d'être cyniquement pris en otage électoralement.  Celui qui forme des enfants soldats, des jeunesses hitlériennes au génocide rwandais, ressemble à celui qui se comporte comme un soldat envers des enfants. Soldat politique aujourd'hui. Et quoi demain ?

 

Il a été déclaré solennellement par maints traités que tout enfant du monde avait le droit d'être préservé de la terrible violence des joutes politiques entre adultes, auxquelles il ne peut pas participer. Et qu'il a le droit à l'éducation, en tant que citoyen du monde, quel que soit l'endroit où il se trouve. Quoi qu'on pense de la politique d'immigration on doit considérer que ce n'est pas un enfant qui décide d'émigrer. Il suit. On peut déjà discuter, je le discute, le fait qu'être irrégulier soit un délit, mais il est insupportable d'en imputer la responsabilité à un enfant et de le punir de la ressource la plus précieuse à tout humain, au delà de la subsistance la plus primaire : l'éducation. A savoir le droit de comprendre simplement, le monde, afin d'y exister.

 

Le silence assourdissant qui a suivi cette "proposition" qui vise, sous le fragile vernis hypocrite du levier financier, à chasser les enfants d'adultes sans papier des écoles, ne peut que nous alerter sur la banalisation de la violence envers les enfants. Sur les glissements qui remettent en cause leur spécificité. On les sait déjà visés par le marché, cibles comme les autres du matraquage publicitaire. On les soumet par l'évaluation précoce et obsessionnelle à la compétitivité dès le plus jeune âge. On les réifie aussi malheureusement, en glissant du droit de l'enfant au droit à l'enfant dans les philosophies du droit d'inspiration consumériste.

 

La brutalité envers les enfants n'est-elle pas le signe le plus flagrant d'une tentation barbare qui agite une société en proie aux fantasmes identitaires les plus dangereux ?

 

L'enfant lie. L'enfant réconcilie, comme le montre le quotidien des structures d'accueil de la petite enfance par exemple. Et ce n'est pas un hasard si ceux qui veulent briser les liens s'attaquent aussi à lui.

 

Jérôme Bonnemaison

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7 septembre 2016 3 07 /09 /septembre /2016 18:54
Le passe pass' Matteo à 500 euros

L’habile Matteo Renzi a donc décidé d’attribuer à tous les jeunes italiens parvenant à 18 ans un chèque de 500 euros qui « doit être dépensé dans la culture ». L’argument de ce « Pacte d’humanité » est noble : il ne faut pas combattre la barbarie post moderne que par les armes, mais aussi par la lutte contre l’ignorance et l’obscurantisme.

 

Qui pourrait le contester ? Sans doute personne, même si nous devons pas être naïfs : il n’y a pas que des incultes chez les gens radicalisés et violents. Il y avait de grands intellectuels dans le terrorisme d’extrême gauche et des gens cultivés chez les nazis, comme Arno Breker par exemple, et il y a des « têtes » chez les islamo fascistes. Des théoriciens, des stratèges, des gens instruits. Al Qaida a recruté dans les prestigieuses universités londoniennes. Parfois justement frustrés de par leur culture sans perspective, cherchant un débouché absolu, des esprits nourris et alertes sont attirés par la violence, et leur propension pour l’abstraction les aide en ce sens.

 

Mais on sait aussi que la manipulation et l’emprise peuvent profiter d’esprits ignorants, que la violence vient à celui qui manque d’imagination et souffre ainsi de manque d’empathie. La culture cultive la sensibilité, indéniablement. La soldatesque de Daesh ne ressemble pas à son état-major et de l’aveu de policiers qui ont arrêté des terroristes, ça ne planait pas toujours très haut... Il est fréquent que certains prétendants au djihad ne sachent pas citer les cinq piliers de l’Islam.

 

Cependant, cette mesure, qui coûte tout de même 250 millions d’euros, peut et doit être discutée sur le fond. Une politique culturelle peut-elle constituer en la diffusion d’argent « à dépenser dans le domaine culturel » ? Un proche de Renzi explique que « pour une fois, il ne faudra pas passer par la bureaucratie». Cela nous conduit tout droit au cœur du débat.

 

La méthode est indéniablement tournée vers la communication politique. Augmenter le budget de la culture ne permet pas de marquer les esprits. Cela rapporte politiquement une ligne en bas d’un quotidien un peu exigeant. En terme de communication politique, recevoir individuellement un chèque de cette importance est un « cadeau » dont on se souviendra - néanmoins financé par les italiens eux-mêmes, ne l’oublions pas, et non relevant d’une bonté du monarque –. Matteo a fait quelque chose pour moi, pour moi tout seul, et c’est tangible. De plus il flatte le désir consumériste. Est-ce bien « culturel », d’ailleurs, que de flatter ce désir-là ? Le principal ennemi de la culture n’est-il pas, justement, le consumérisme ?

 

Le mot culture est terriblement polysémique. Il s’agit parfois des mœurs, parfois des connaissances, et/ou des créations et/ou du patrimoine labellisés comme « culturel », par des instances officielles de légitimation. Il peut s’agir des fruits de l’art, lui-même soumis à des filtres et des instances publiques ou privées de légitimités.

 

Le marché a tendance à tout aplanir et ne parle plus que de « contenus ».

 

C’est un premier problème. Cet argent donnera accès à des « contenus ». On pourra sans doute gaver son lecteur numérique de musiques qu’on n’écoutera jamais. Ou de l’intégrale des saisons de la pire émission de télé réalité. Sans verser un instant dans le conservatisme à la Finkielkraut qui cryogénise la culture, on sait tout de même qu’au sein des « contenus », des distinctions s’imposent, parfois explicitement d’ailleurs. Fort Boyard ne prétend pas être La Traviata.

 

Sans imposer une vision étatiste de la culture, qui dirait ce qui est culturel ou pas, on aurait pu songer à une politique de consensus, associant les acteurs culturels, et limitant le champ de la dépense. Peut-être à une démarche de labélisation concertée des lieux où réaliser cette dépense. On pourrait favoriser les librairies indépendantes par exemple, les théâtres, les initiatives remplissant un certain nombre d’exigences. Cela s’imposera peut-être d’ailleurs, car enfin il faudra bien trouver un périmètre qui exclura certaines dépenses. Dans la confusion philosophique régnante, « tout » peut devenir « culturel ». On a proposé d’inscrire la gastronomie française au patrimoine mondial de l’humanité. Pourquoi ne pas s’acheter des jambons avec le chèque de Matteo ?

 

L’accès à la culture, si on la considère plus restrictivement que par la notion de « contenu », mais peut-être, comme j’aime le faire, comme la rencontre d’une démarche artistique authentique (non dictée par « la demande » au sens marketing mais par la geste artistique) et un public, se confronte-t-elle à des barrières financières ?

 

Oui en partie, certes. On sait d’expérience que les initiatives de gratuité des musées ont attiré un public plus nombreux. Mais on sait aussi que ce sont souvent les mêmes qui ont déjà auparavant visité les lieux culturels qui aiment à y revenir. On sait aussi que des tas de gens ne lisent jamais, malgré le coût très modique d’un livre de poche d’occasion. On sait que des gens sont disposés à s’endetter pour aller voir une prestation scénique lamentable d’un chanteur mythique sénile, mais ne se rendraient pas à la comédie française gratuitement. Les obstacles à la culture sont divers, s’entremêlent, comportement des enjeux de distinction, reposent sur des préalables éducatifs. Ils s’expliquent aussi par des barrières structurelles, telles que les conditions de diffusion dans le cinéma, l’aménagement du territoire. Le critère financier est un point parmi beaucoup d’autres. Si la gratuité était la clé, les bibliothèques publiques déborderaient de demandes de prêts. Ce n’est pas le cas.

 

Dans la culture on parle aujourd’hui de « public empêché », avec cette manie de l’euphémisme qui frappe les cadres. Ils ne sont pas empêchés que par l’argent, loin s’en faut. Il y a ce film de Woody Allen où il campe un type un peu crapuleux, dans un couple déjà âgé, enrichi contre toute attente par une recette de cookies de sa femme. A aucun moment ils n’arrivent à s’intégrer à leur nouveau milieu, sont manipulés, et se ruinent en dépenses clinquantes. Ils finissent, déçus et déprimés, par revenir à leurs appétences, et à se remettre au poker enfumé avec les copains.

 

Ces sommes allouées aux individus-électeurs sont considérables. Elles auraient pu servir à déployer des politiques culturelles. Le cinéma italien, en mauvais état, pleurant son passé glorieux, aurait gagné à un soutien public, qui a permis à la France de défendre son cinéma. L’éducation artistique aurait pu être renforcée. Les médias publics consolidés dans une capacité à présenter des programmes culturels capables de concurrencer les shoots de sucre de la sale télévision berlusconienne. Les équipements culturels auraient pu bénéficier de leviers à l’investissement. Bref, pour que la culture trouve son public, il convient qu’une offre aille à sa rencontre, qu’elle survive. Le statut de l’intermittence par exemple est un de ces moyens, car il est besoin d’artistes pour le créer, ce spectacle offert par Matteo.

 

Le statut de l’intermittence, la commission d’avance sur recettes, le financement d’Arte, les règles de quotas… Tout cela dessine une politique de contingentement du marché. La décision de Matteo Renzi, pour sa part, sous couvert de générosité, se livre au marché.

 

Le marché, contrairement à ce qu’il prétend, façonne la demande, c’est le rôle du « producteur » culturel. Ainsi le choix de s’en remettre au marché, en flattant la liberté du consommateur culturel, n’est pas neutre sur le visage même de la culture qui ressortira de cette aventure. Visage tellement abîmé par le berlusconisme. Matteo Renzi donne un visage légèrement keynésien au berlusconisme, finalement.

 

Sous couvert de volontarisme public, c’est un magot considérable qui est donné au marché, et ignore tout soutien à la création et à la diffusion de la culture. Or, sur le marché des biens culturels, accessibles à la consommation individuelle, qui domine ? A qui va donc ce cadeau ? A des oligopoles qui lient les médias et les productions culturelles. Et Matteo part à leur conquête politique pour conserver le pouvoir. Les 500 euros de Matteo alimentent une forme particulièrement habile du social libéralisme culturel.

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2 septembre 2016 5 02 /09 /septembre /2016 10:50
Océans sous les phrases, petite réflexion sur le sous-texte

Il y a des Atlandide sous les phrases. Une phrase à destination pr​écise peut ​mener à des champs incommensurables, et finalement il est de peu d'impor​tance en littérature de savoir si l'auteur a disposé du sous-texte ou si notre imaginaire l'a déployé. La place des inconscients y est au premier rang. Le texte n'appartient, une fois publié, qu'à celui qui le lit.

 

Evidemment, c'est en poésie, dont l'objet même est d'élargir les océans, que ce phénomène peut être le mieux possible constaté et vécu. ​

 

Voici un petit exemple avec un poème "à destination", de Louis Aragon, sur Federico Garcia Llorca.

 

"Les guitares jouent des sérénades
Que j'entends sonner comme un tocsin
Mais jamais je n'atteindrai Grenade
"Bien que j'en sache le chemin"

(...)


Il n'y a plus de prince dans la ville
Pour rêver tout haut
Depuis le jour où la guardia civil
T'a mis au cachot (....)


Dure est la pierre et froide la campagne
Garde les yeux clos
De noirs taureaux font mugir la montagne
Garde les yeux clos "

 

Deux vers illuminent ma pensée dans ce poème sublime. Et me mènent loin de l'hommage à Llorca, pour m​'y ramen​er ensuite. Après une boucle gigantesque. La boucle qui lie le particulier au sens universel.

 

"ll n'y a plus de prince dans la ville", que je percute ici, comme dans la chanson de Ferrat, avec "garde les yeux clos", est une phrase à destination. Il n'y a plus le génie du poète assassiné à Grenade, c'est triste, et l'ombre s'est étendue sur l'Espagne. Il vaut mieux détourner le regard parfois, tellement cette longue tyrannie est écœurante. Que le poète repose en paix.

 

Mais mon imaginaire me conduit à y voir une proclamation politique et philosophique immense, un désespoir, celui d'Aragon vieillissant d'ailleurs, mais aussi celui de notre temps devant la politique. Plus les souvenirs de ces vers me reviennent, plus leur halo s'épaissit.

 

Il n'y a plus de politique. Le Prince l'incarne. Le premier traité de politique stratégique se nomme "le prince". Nous ne croyons plus aux religions enchanteresses de salut terrestre ni aux épopées bolivariennes. Il n'y a donc plus de prince dans la ville. Et que dit Sénèque ? Quand la vie publique est insupportable, replie toi. Garde donc les yeux clos. Comme la statue d'un autre stoïcien, Marc Aurèle, illustrant cet article. Ce vers est donc un condensé possible d'une défaite. Celle de la révolution à laquelle aspiraient Louis et Federico. Celle de la transformation politique par des hommes conscients. La fin du socialisme. Mais au delà, la fin de la politique telle qu'elle a été définie, comme projet conscient, explicite, assemblant autour d'une inspiration et de leader​s. Aragon, prévient, et nous dit " garde les yeux clos", ou bien ils brûleront. Comme les ailes d'Icare.

 

L'autre vers - je fusionne- est celui-ci : "jamais je n'atteindrai Grenade, bien que j'en sache le chemin". Explicitement, cela évoque à la fois le parcours brutalement interrompu de Federico, tué près de la ville. Et aussi le dégoût de celui qui pendant que Franco est là, ne peut se résigner à aller sur place. Le "je " est ambivalent. Le Sujet est double. Louis et Federico.

 

Mais j'y vois plus. J'y vois la signification historique de Grenade. La tolérance andalouse, la coexistence des religions. La sagesse. Devant notre époque, au XXIème siècle, nous pouvons penser que Grenade est inatteignable, qu'elle est menacée comme une Palmyre spirituelle, car les conflits identitaires, qui sont de même nature perverse que le nationalisme qui tua le poète, occupent la scène. Néanmoins, nous savons ''le chemin". Nos savons que la concorde peut exister, car en vérité elle existe dans les âmes de tant d'hommes et de femmes et dans les vies. Ils sont les plus nombreux à vivre ainsi. Mais les croisés eux, occupent la scène.

 

Le sous-texte est ainsi loin de se résumer à une cachette explicite, celle du "roman à clés" par exemple. Le sous-texte c'est une énergie propre qui surgit de la lecture.. Cette qualité combustible de la littérature est iremplaçable. C'est une des joies qu'on y rencontre chemin lisant, et que se nouent des liens entre les textes, les pensées, les énoncés. Nous nageons dans l'océan, nous sommes comme le disent Deleuze et Guattari, "des machines désirantes", nous n'avons jamais pied. Nous devons assumer cette liberté de lecteur. L'éducation aux lettres doit l'admettre, autant que possible. Car la littérature a besoin d'être désirée et pas seulement étudiée. Voila, jeunes gens, ce que vous dénicherez sous des textes. D'immenses océans. Les vôtres, en communication magique avec un écrivain.


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3 août 2016 3 03 /08 /août /2016 19:12
Hum... l'auteur de ce blog sort un livre sur la petite enfance le 24 août...

L'auteur de ce blog de lecteur, qui est aussi un cadre supérieur "dans le social et l'éducatif" pour faire vite, fait paraître un livre sur la petite enfance aux Editions Dunod, le must de l'édition sociale. Aucun rapport avec ce dont on traite ici d'habitude, de prime abord, certes, mais bon...

 

C'est un livre. Ca peut tout de même intéresser certains de mes interlocuteurs ici. Et on me pardonnera de parler de mon livre sur mon blog, sans doute... 

 

Contrairement à une opinion répandue, l’accueil de la petite enfance n’est pas seulement un « service à la population ». Il ne suffit pas de construire un bâtiment, d’y placer des diplômés en puériculture, pour que la vie y suive son cours tranquille. Les professionnels ne sont pas des « nounous » qui réalisent des missions prosaïques : nourrir, changer, jouer. Ce livre démontre tout le contraire de cette vision archaïque de la « petite enfance ».

Les crèches sont des lieux névralgiques du lien social ; elles jouent un rôle très important dans l’éducation, dans la construction des identités parentales, et dans une économie où les femmes aspirent à concilier emploi et vie familiale. Autour de ce lieu privilégié, bassin de paix et de confiance dans les quartiers, peut émerger une nouvelle dynamique du social pour peu qu’on le veuille.

 

" La petite enfance dans la cour des grands " est un livre dit "professionnel", mais il s'approche de l'essai, dans la mesure où il propose une'approche pour ériger la petite enfance comme politique publique de premier rang, et non simple prestation locale. Ainsi il ne sera disponible que dans les librairies qui pointent ces catégories : l'édition sociale, sanitaire, médico-sociale, le droit public, les collectivités...mais on le trouve évidemment sur les sites de commande de livres sur le web, dont celui-ci :

 

 

http://livre.fnac.com/a9832320/J-Bonnemaison-La-petite-enfance-dans-la-cour-des-grands

 

 

 

 

 

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19 juillet 2016 2 19 /07 /juillet /2016 12:25
Monsieur Molins, merci pour le langage

Dans cet ouragan d'après Nice où l'on voit la bêtise, telle Méduse, agiter hystériquement ses multiples têtes mortelles. La bêtise politicienne, la bêtise de l'inculte. La bêtise de l'intellectuel châtré, la bêtise de la bonne conscience suicidaire, la bêtise de l'Identité, la bêtise des fausses logiques paresseuses, la bêtise binaire, la bêtise humaine dans toutes ses facettes ; un homme, un agent public, sauve l'honneur.
 

Il s'agit du Procureur Molins.

 

Je suis certain de n'être pas seul à le sentir, car on perçoit le respect autour de ses interventions.

 

Monsieur Molins ne demande rien. Il garde la tête froide.

Il utilise un langage administratif dans son versant lumineux, c'est-à dire précis.

Il use de logique, implacablement.

Il est capable d'articuler des pensées nuancées, c'est à dire intelligentes.

La nuance, s'il vous plaît, n'exclut pas la radicalité. Ni de l'action, car Monsieur Molins agit et place en garde à vue, met en détention, en examen, fait interroger ou interroge, ni de la pensée. Il y a des cimeterres ciselés, dans les batailles cruelles.

 

Monsieur Molins parle un français précis, dénué de sentimentalisme inutile, de narcissisme et de démagogie. Il expose des faits et en tire des conclusions, il offre cette intelligence à tous, et d'ailleurs il suffit d'en entendre les synthèses pour mesurer la différence entre la probité intellectuelle du magistrat et celle des vendeurs de papier et de temps d'écran.

 

Il prend soin de sa grammaire car elle a un sens, la grammaire. Un conditionnel est un conditionnel. Il ne verse pas dans un nominalisme vulgaire qu'on voit partout, mais définit les termes qu'il emploie.

 

Sa syntaxe est pesée et porteuse, toujours d'un sens. Il sait de quoi il parle, se réfère. Il renvoie ce qu'il voit à ce qui est tangible, à savoir l'état du droit dont nous disposons.

 

Monsieur Molins ne parle pas pour rien. Il ne parle pas n'importe quand. Il sauve le langage.

 

Monsieur Molins est une butte témoin de ce que ce pays a été capable de produire de mieux, et continuera à produire on peut l’espérer.

 

Quand j'entends les points presse de Monsieur Molins je les écoute jusqu'au bout. Ils sont, paradoxalement, comme une bulle d'oxygène dans cette pollution d'expressions généralisées qui encrassent le système nerveux.

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22 juin 2016 3 22 /06 /juin /2016 09:31
Marathonien pourquoi ne sèmes- tu ? - quelques remarques d'un toulousain sur le marathon des mots

 

Le Marathon des mots, manifestation littéraire de début d'été - cette semaine même-, est installé depuis, je crois, 2006, à Toulouse.

 

Il est porté depuis le début par le "bon client" Olivier Poivre d'Arvor et une petite équipe stable, forte de ses réseaux semble t-il liés aux centres culturels français à l'étranger. La Métropole lui alloue un beau budget, marketing territorial métropolitain oblige, pour une "société de la connaissance", etc...

Je vous passe le laïus convenu.

 

Cette année, dans la ville ou je suis né et j'habite, le Marathon des mots toulousain présente, un programme peut-être encore plus éblouissant que d'habitude, centré autour de l'Afrique et de la négritude à l'échelle mondiale.

 

Tout cela, c'est très beau, sur le papier, quand on télécharge le programme. On y aperçoit des visages d'auteurs attirants qu'on n'a pas encore eu l'occasion de lire mais qu'on avait repérés, et des références intimes. Ils viennent lire, promouvoir leur travail, débattre. Ils s'y mêlent à des comédiens.

 

http://www.lemarathondesmots.com/

 

Le programme de cette année fait écho à mes passions, et pourtant, encore une fois, avec cette manifestation, où je ne suis allé qu'au compte goutte, voir Denis Podalydès lire du Michelet dans une église par exemple, ou Mme Bouquet lire du Eco, je n'accroche pas.

 

Je laisse de côté le débat sur l'"élitisme", l'ouverture aux "publics empêchés" comme dit la nouvelle novlangue. Je pense que les organisateurs, je ne les insulterai pas ni ne les sous-estimerai, se posent ces questions et il n'est pas du tout aisé d'y répondre. 

 

Car le souci de la démocratie culturelle, ce n'est pas , loin s'en faut, que le tarif ou "la proximité" comme le disent les éditos de nos édiles, c'est aussi que la démocratie culturelle a besoin de citoyens désirants. Nous sommes dans une civilisation qui travaille contre la littérature, à maints égards. Et les acteurs culturels luttent contre le tsunami de la société de consommation. On s'endette pour suivre la tournée de Johnny mais aller à une conférence gratuite sur la littérature Haïtienne n'est pas une démarche forcément évidente. Que celui qui a la recette pour changer cela se lève !

 

Les polémiques, comme celles agitées un temps par Pascal Dessaint, sympathique au demeurant, sur la participation des "auteurs locaux", me laissent froid. La notion de littérature locale, je m'en fiche totalement à vrai dire. Je ne comprends même pas ce que cela signifie.

 

Non. Ma réticence n'est pas là. D'abord c'est un rapport à la littérature qui est en question, ce me semble, dans ce manque d'appétit que je déplore en moi.

 

Je reste dubitatif sur les approches collectives de la littérature, en général, même si je ne puis évidemment contester la nécessité de salons, d'opérations de promotion, de moments de rencontres entre les acteurs de la chaîne du livre. Je suis déjà allé au salon du livre à Paris, et j'ai juste eu le sentiment de me retrouver dans une immense librairie, rien de plus.

 

Mais pour moi, et ce blog je pense en témoigne, la littérature ça reste un rapport entre une conscience et un texte, je ne m'en éloigne pas.

 

Je ne suis pas convaincu par cette notion de "lectures" à voix haute devant un parterre attentif et respectueux, même par de grands interprètes comme Dominique Blanc. Je ne suis pas sur qu'un texte soit fait pour être lu à voix haute devant un public.

 

Dominique Blanc, je rêve de la voir rejouer Phèdre. Mais pas de la voir me lire un livre avec ses lunettes.

 

Un texte de roman, de récit, d'essai, n'est pas du théâtre.

Le théâtre est dramatique, il n'est pas littéraire seulement.

La littérature a une temporalité unique, qui s'inscrit dans un flux de conscience intime, d'une mobilité unique dans la syntaxe. Je lis en ce moment même une biographie de Mme Yourcenar. Son théâtre n'a pas eu le succès de ses romans, et on l'impute souvent à sa difficulté à sortir, justement, du littéraire.

 

 

Et puis il y a ce débarquement d'auteurs, de comédiens, qui descendent le temps d'un jour ou d'un week-end sur cette ville. Certes on trouve là des gens fascinants. Il y a Annie Ernaux cette année, et c'est un auteur qui compte beaucoup pour moi comme pour beaucoup.

 

Ils repartent après leur prestation. Ils pourraient être à Chicago ou à Leeds, qu'est ce que ça changerait ? Je lis "toulouse au centre de la littérature africaine"... C'est un slogan. Il en faut. Mais je ne suis pas tenu de croire ce qu'on me dit.

 

Qu'est ce que ça crée, tout cela, même si je n'adhère nullement à la tyrannie de l'évaluation ?

 

Est-ce un aboutissement de quelque dynamique endogène à part du boulot, certes impressionnant, des organisateurs ? Où est, après tant d'années, le début de fusion entre la vie d'une ville et cette manifestation ?

 

Le marathonien passe, mais où laisse t-il des graines ? Il passe, comme dans un Marathon, et nous sommes là, à le regarder depuis le trottoir.

 

Cette conception, désolé d'être dur avec des gens qui partagent ma passion et la défendent avec acharnement, relève tout de même de la consommation passive de prestations. Des prestations qui ne demandent pas, reconnaissons-le, un immense travail de préparation ni de création. Un type lit, il est connu, enfin dans ces milieux, et il lit. Bon.

 

Sans doute certains s'imprègnent-ils de l'oeuvre, pour que leur voix porte au mieux. Mais cela reste une diction. Talentueuse, peut-être, oui.

 

Il y a certes durant le Marathon des créations originales, comme l'an dernier celle de Marie Modiano sur Patti Smith que j'avais eu le plaisir de voir, mais c'est marginal. La création se borne souvent à l'organisation de rencontres inédites entre des individualités, auquel le public assiste, appelé sans doute à poser ses trois questions à la fin. L'inédit n'est pas création. La création c'est cher, certes.

 

Je n'ai donc pas d'appétit, malheureusement, devant ce beau gâteau, mais je ne saurais pas forcément quoi proposer à la place...

 

... Sinon une problématique : essaimer. Semer. S'ancrer. Se territorialiser, s'evertuer à relier la pratique de lecture et d'écriture "de masse" et le milieu littéraire. Si le désir est partagé, évidemment.

 

Les écoles travaillent-elles avec le Marathon ? Les crèches ? Ca a du se faire, oui, à la marge. La note sociale.

 

Le Marathon a certes une mini réplique dans l'année, mais qui relève du même état d'esprit unilatéral,

 

Il se trouve que je suis expérimenté en politiques publiques, et je sais que cela ne s'improvise pas. Mais je note aussi que le Marathon a dix ans. On peut donc légitimement l'interroger.

 

Et je n'ai pas envie, simplement, d'aller écouter sur une chaise. Si cela ne me fait pas envie, à moi, dont la préoccupation principale est de savoir quel livre suivra, alors qui ça brasse vraiment ?

 

Mais je suis infiniment casanier.

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18 juin 2016 6 18 /06 /juin /2016 12:37
Au sommet on se retourne sur le parcours,"Il est avantageux d'avoir où aller", Emmanuel Carrère, article paru dans la Quinzaine littéraire

Ceux qui ont vécu une psychanalyse ou une psychothérapie plus ou moins d'inspiration freudienne partageront sans doute ce constat : ils reconnaissent vite ceux qui sont passés par là. Dans l’œuvre d'Emmanuel Carrère (est-il en passe de devenir notre grantékrivain ?) l'auteur évoque fréquemment ses thérapies, mais toute sa vision globale du monde en semble marquée. Pour aller vite, Carrère est constamment en train de lutter contre "les résistances" en lui. C'est ce qui le rend si attachant, déconcertant. Drôle, de cet humour grinçant qui cohabite de manière étonnante avec son sens suraigu de l'empathie.

 

Il est parvenu à un sommet avec "Le Royaume", qui évoquait de manière inédite la vie des premiers apôtres, et de Luc en particulier, en les abordant comme de simples quidams sans auréole. Du Renan "ultra"...

 

L'auteur a l'impression, il le dit dans "Le Royaume", d'avoir ainsi conclu un cycle. Celui de la "non fiction" indéfinissable, à la recherche d'une sagesse vivable. L'épais recueil de textes publiés ça et là sous formes de préfaces, de lettres ouvertes, d'articles, depuis 1990, doté du titre " Il est avantageux d'avoir où aller", dessine une autobiographie d'Emmanuel Carrère. Tous ses livres le sont explicitement, mais celui-ci est une découpe au long cours. Au sommet d'une étape, on se retourne sur le parcours. En l’occurrence sur une profusion d'écrits : souvent des prolégomènes, d'ailleurs, aux ouvrages que l'on connaît. C'est le cas pour l'"adversaire" ou "Limonov".

 

Quel auteur attachant que celui-ci ! Qui en connaît de plus décidé à la lucidité ? Effort qui le conduit fréquemment à de sceptiques conclusions, à douter de la réalité elle-même, ou du concept même de réalité. Propension cristallisée par une passion précoce pour Philip K Dick, qu'il considère comme égal à Dostoïevski, non sans motifs valables.

Monsieur Carrère ne joue pas sa vie aux dés comme ces "dicemen" sur lesquels il enquête et écrit (une des chroniques les plus passionnantes du recueil), mais on le sait adepte du Yi King, qui lui a sans doute été suggéré par "Le maître du haut-château" de son auteur fétiche. Il s'en remet à l'ouvrage chinois face aux carrefours des choix, comme Rahan se fiait à son coutelas (là j'ose une comparaison drolatique, typiquement à la Carrère, enfin je veux le croire).

 

Ce n'est cependant pas le Yi King qui semble le guider, mais sa curiosité totale, sincère, pour l'altérité. Le goût des autres. On croise rarement de tels boulimiques du "rien de ce qui est humain ne m'est étranger". Dans tous ses livres et ses articles, traversant les univers sociaux les plus éclectiques, de Davos qu'il dépeint en repaire de déconnectés New Age à des bleds russes dignes de figurer dans la classification de Dante, sans oublier ses plongées littéraires dans Balzac ou De Foe ; il semble chercher à répondre aux même questions qu'il sait plus ou moins insolubles.

 

" Il est avantageux d'avoir où aller" (et non de "savoir", ce qui imprimerait un sens bien différent, quasi téléologique), est un titre- aveu de sagesse, finalement : le chemin est le but (phrase rabâchée mais difficilement contredite d'Antonio Machado). Le but est la confrontation à l'altérité. Souvent, ce sont des gens qui ont souffert, souffrent encore, mais survivent. Des figures de résilience. L'auteur est troublé, lui qui a connu les limbes, par les capacités à continuer de marcher. En Russie, il est gâté, on ne manque pas d'exemples, et ce n'est pas que l'héritage familial qui l'y conduit fréquemment, mais aussi l'attirance pour les enfants du chaos, qui le mène aussi sur les traces de Julie la toxicomane séropositive qui se voit confisquer tous ses enfants à leur naissance, aux Etats-Unis.

 

L'effort de lucidité d'Emmanuel Carrère va de pair avec une sincérité désarmante, un sens aigu de l'auto dérision (un article raconte comment il a raté un interview de Catherine Deneuve, et il n'hésite pas à se présenter en crétin, quand c'est nécessaire). Une auto dérision qui est le parallélisme de forme de jugements acides mais surtout libres sur autrui.

 

C'est qu'Emmanuel Carrère se pose sans cesse des questions éthiques, se demande s'il est dans son bon droit, s'interroge, en référence et opposition au Truman Capote du "De sang-froid", sur la modification des situations par celui qui l'observe pour la narrer, ce qui le conduit à assumer et à rendre visible sa propre présence dans ses récits.

 

L'honnêteté va jusqu'à la cruauté, comme quand l'auteur assume ses rejets "de classe" (il ne cesse de se qualifier de bobo, concept contestable, mais qui pour lui signifie sans doute petit bourgeois cultivé et esthète) tout en prenant conscience de ces réflexes. Alors sa grammaire en témoigne. Par exemple il parle des dernières activités de son ami Sébastien Japrisot, qui écrivait des choses "comme les enfants du marais, qui nous semblent le parangon des spectacles pour blaireaux". C'est le "nous" qui est important ici. Cette cruauté n'est pas antagoniste avec l'affection, pour les mêmes. Emmanuel Carrère ne donne pas dans la compassion aux forceps, son empathie vient saisir, autant que possible, les différents versants d'un individu.

 

Sur le plan stylistique, il est cohérent avec son regard sur le monde. Il ne pose jamais. Il semble ne jamais vouloir "faire littéraire". Je parierais même qu'il trouve cela ridicule et un peu dégoûtant. Il puise des métaphores dans la trash culture assez naturellement. Il ne fabrique pas sa statue de "grand écrivain".

 

Il est à la fois obscène, comme quand il sabote sa chronique régulière dans un journal italien, en multipliant les excès pornographiques, et infiniment délicat. Cet homme de paradoxes observe tout ce qui lui permettrait de vivre un peu plus heureux, en portraitisant ses semblables. Il peut être très indulgent, comme il l'est dans une lettre à Renaud Camus, et terriblement coupant et lapidaire, comme il l'est dans la même lettre.

 

On prend donc grand plaisir de cette intelligence tissée de paradoxes, qui se présente dans les atours les plus simples. S'applique à l'écriture d'Emmanuel Carrère, à certains moments, ce que dit la théoricienne littéraire Judith Schlanger : " c'est quand la pénurie s'impose dans la rayonnante simplicité qu'on peut évoquer le sublime" ("trop dire ou trop peu, la densité littéraire").

 

Le lecteur sera impressionné d'un tel appétit de recherche dans les expériences humaines, qui se concrétise dans les voyages, la boulimie de culture, l'exploration de soi-même, le questionnement permanent. J'en reviens ainsi à ce qui introduit cet article : une règle du jeu freudien, c'est dit prosaïquement, de "ne pas se la raconter" si possible. Emmanuel Carrère raconte mais "ne se la raconte pas".

 

On considère parfois son "d'autres vies que la mienne" comme son plus grand livre. Je trouve "Le Royaume" encore au dessus, mais le premier titre cité est un bon résumé de la quête au long cours de cette œuvre. Les autres vies ont tant à dire pour nous, même si malheureusement on ne saurait transposer les bonnes recettes à sa propre trajectoire. Emmanuel Carrère n'a pas renoncé à mieux vivre, à protéger son bonheur, qu'il a doucement reconquis, ni à comprendre autrui. Un meurtrier, comme dans ses chroniques judiciaires, ou le patron de Total, un patron de boites de nuit à Moscou.

 

Parfois c'est opaque, alors que fait-on ? On y revient. Ce qui est difficile, c'est lorsqu'on ne comprend rien, comme en Roumanie, après la chute du communisme. "Qui sont ces gens ?" se demande l'auteur, devant un peuple impénétrable. Alors le sentiment de réalité vacille et le souvenir de K Dick frappe à la porte. C'est peut-être pour éviter d'en rester là qu'il faut continuer à écrire, ouvrir de nouveaux cycles.

 

 

 

 

 

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23 avril 2016 6 23 /04 /avril /2016 14:18
Ecrire, dit-il

-Celui qui écrit trace le plan d'un labyrinthe inédit dans un pénitencier. Un pénitencier dont on ne peut s'echapper. La langue.

les tunnels se croisent sans cesse dans l'intertextualite.

 

- Mais il y a des Mains levées à cette incarration. La musique. L'amour et le sexe. La danse. La pure contemplation. L'intuition. La libre association. La mort. On a retrouvé des squelettes dans les tunnels : les aphasiques et psychotiques. Et des portes dérobees dont on soupconne les rhéteurs. Il y a d'admirables coups de grisou. Rimbaud par exemple.

 

- A propos de ce que l'on écrit, il est certes frustrant, dans une anthropologie consumériste, la nôtre, d'accepter que le jugement soit externe et collégial. En outre que ce jugement n'a rien de commun avec la démocratie. Il ne se mesure pas seulement a l'aune de la quantité mais aussi de la densité du lectorat qui juge. Densité nécessairement arbitraire bien que constituée partiellement du matériau des légitimités sociales

 

- Même oligarchique, truquée, autiste, démagogue, auto référencée, nécrosée par le snobisme, même si l'offre crée sa demande par le marketing, l'édition est nécessaire et indépassable. En tant que sanction. Car le lecteur est le souverain. On ne choisit pas d'être écrivain. C'est l'édition et le lecteur qui vous choisissent écrivain. 

 

- Ecrire est une activité solitaire mais hétéronome. Ecrire n'a semble t-il que peu de rapport avec la liberté.

 

- Bien écrire ce n'est pas se faire du bien d'écrire, ce n'est pas écrire pour se faire du bien. C'est le lecteur et lui seul qui est légitime. Mais les lecteurs ne sont pas égaux. L'arbitraire existe. C'est une dimension de la vie qu'on ne saurait chasser. Tout ne relève pas de l'esprit démocratique.

 

- La littérature n'est pas démocratique. Elle a un versant politique, par son contenu mais surtout par son existence même, car la littérature est transgressive en tant qu'elle marche contre le cours de la totalité du monde, c'est à dire de la valeur d'échange comme principe organisateur, mais elle n'a nul devoir démocratique. La liberté d'expression n'a aucun rapport avec le droit à être reconnu écrivain. Tocqueville  serait tout sourire en voyant ces blogs d'écrivains autoproclamés. Symptomatiques des revers de médaille de l'esprit démocratique.

 

-  Il n'y a aucun droit, philosophiquement tenable, à se proclamer écrivain, ou bien l'on prend ses risques. Comme il n'y a aucun droit à l'enfant. Mais là on reporte le risque. La prétention de l'écrivain non encore édité est du moins noble. Il s'expose. Seul.

 

- Ce blog est un blog critique.  Ce n'est pas fortuit. La critique est légitime car le lecteur est souverain. 

 

- Ainsi, qui s'annonce écrivain, poète, peintre ou je ne sais quoi dans l'identite créative doit bien peser ses risques. S'il échoue on aura raison de le considérer comme un jean foutre.

 

-Quand on me dit "je pense que je vais écrire" je songe, pardon, au pathos de robespierre a la tribune de thermidor.

A son "je demande la parole !" ad lib.

Ecrire ne s'annonce pas.

 

-Ecrire c'est comme dire " je t'aime", c'est performatif.

C'est cause et conséquence mêlées.

Qui annoncerait "attention je vais te dire je t'aime" ? Sinon les yeux du pervers.

 

-Ecrire ne saurait être un moyen. Ou un objectif intermédiaire.

Ou bien on écrit mal. On peut etre loué, célebré certes.

Mais on écrit des vêtilles.

 

-Ecrire réellement ce ne peut etre que précipiter sa narcisse dans le feu. Sans en attendre rien que de l'énergie de vie.

 

-Ecrire ne se conjugue.pas a l'impératif.

 

- Celui qui veut écrire. Sérieusement. Pas pour "faire" mais pour arracher des terres a la nuit. Celui la doit etre disposé a dire la vérité.

 

- Ecrire est une névrose. Ecrire est nécessairement conflictuel. Ecrire est une insurrection contre la condition métaphysique de l'Humain. Contre le temps et l'oubli. Contre le vide de sens.

Ecrire ce n'est pas normal.

 

- Pour ces motifs on peut douter de l'écriture comme thérapeutique. La sublimation n'est pas une thérapie. 

 

- Qui prend le temps de lire est bien prétentieux d'écrire. C'est- à-dire de proposer au monde de lui attribuer du temps de lecture disponible. Quelle arrogance. 

 

 

 

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25 mars 2016 5 25 /03 /mars /2016 09:04
Juste une citation entre deux attentats

 

 

"Il s'agit simplement d'être fidèle à la règle du combat. Cette pensée peut suffire à nourrir un esprit : elle a soutenu et soutient des civilisations entières. On ne nie pas la guerre. Il faut en mourir ou en vivre. Ainsi de l'absurde : il s'agit de respirer avec lui ; de reconnaître ses leçons et de retrouver leur chair. A cet égard, la joie absurde par excellence, c'est la création."

 

Albert Camus

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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