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3 août 2011 3 03 /08 /août /2011 08:47

 

montaigne.jpg Je n'ai pas lu toute son oeuvre, mais je l'ai assez parcourue pour saisir que le "Montaigne" de Stefan Zweig (PUF-Quadrige, 125 pages), le dernier de ses écrits avant qu'il ne se suicide au Brésil, est un de ses plus personnels, intenses, essentiels et épurés.

 

Je viens de le lire, en parallèle avec une anthologie en français moderne des Essais du philosophe de la Renaissance (250 pages rassemblées sous le titre "Le meilleur des Essais", parue en poche chez Arléa). Pas le courage de me plonger dans l'intégrale...

 

Brisé moralement par l'exil et la fuite de l'Europe où déferlent les colonnes hitlériennes, accablé par la vision de ce monde qui sombre dans la violence, loin de cette Europe de l'esprit qu'il aima et incarna, désormais livrée à la monstruosité nazie, Stefan Sweig cherche refuge chez Montaigne.

 

Zweig nous livre encore là une des biographies dont il est friand, très axée sur la psychologie du personnage (on lira aussi avec intérêt ses Marie Stuart, Marie-Antoinette, ou Fouché, sans forcément partager cette grille de lecture intimiste).

 

Mais au su de la vie de Zweig, l'écriture de la biographie n'est ici qu'une conséquence d'un besoin impérieux : chercher ressource et consolation, en ses heures si éprouvantes et finalement fatales, dans l'oeuvre d'un vieux compagnon de route de l'écrivain. Dans cette oeuvre où Montaigne explique la nécessité de se bâtir, en digne héritier des stoïciens qu'il réconcilie avec Epicure, une "citadelle intérieure" pour se protéger des tumultes d'un monde qui tourne au cauchemar.

 

Zweig le tolérant, celui à qui "rien d'humain n'est étranger" ne parvient pas à supporter cette guerre qu'il pressent encore plus meurtière que la précédente. Et celui qui dans ses romans (qu'on relise "Amok" ou "Le joueur d'échecs") vibre si facilement à la musique intérieure des hommes, ressent comme un coup de couteau chaque nouvelle d'une ville bombardée ou d'un navire qui coule.

 

C'est dans les constats de Montaigne que Zweig cherche remède, mais aussi dans l'expérience vécue d'un homme qui se trouva dans une situation proche de la sienne.

L'identification joue à fond entre l'Humaniste de la Renaissance exposé aux Guerres de Religion les plus sanglantes de l'Histoire, et celui du vingtième siècle saisi dans le conflit le plus meurtrier depuis que le monde existe. Entre d'un côté Montaigne jeté dans une époque où tout vacille, où le monde devient plus large et étrange avec la découverte du Nouveau Monde et de l'Imprimerie, et où l'Homme va s'interroger sur sa place en son sein (et au plus haut point à travers les Essais, première oeuvre d'introspection de l'Histoire) ;  et de l'autre Zweig l'intellectuel qui voit le progrès technique, la mécanisation, se retourner subitement contre leurs créateurs pour les ensevelir.

 

Ce processus d'identification apparaît de manière absolument poignante à la fin du livre. Zweig semble y annoncer son suicide, en filigrane. Il évoque la liaison tardive de Montaigne, juste avant sa mort, avec la jeune Marie de Gournay qui vient comme une lueur inespérée. C'est aussi ce qui arrive à Zweig qui vient de se remarier avec la jeune Lotte (pour ceux qui sont intéressés par le détail, on peut lire le récent récit de Laurent Seksik "Les derniers jours de Stephan Zweig" que j'ai trouvé cependant très moyen). Comme si l'intellectuel autrichien saluait sa compagne une dernière fois, par cet hommage littéraire.

 

Mais revenons à Montaigne.

Zweig évoque assez précisément un aspect très intéressant de sa biographie, à savoir l'éducation expérimentale et audacieuse que son père a voulu lui donner : envoyé jusqu'à trois ans dans une famille du peuple, afin de garder à l'esprit le sort de ces gens, Montaigne est élevé dans un climat libertaire totalement inédit à l'époque. Cependant, on lui choisit le Latin comme langue maternelle, ce qui le conduira à incarner plus que tout autre ce retour aux sources qui est l'étincelle de la Renaissance. Si quelqu'un s'interroge encore sur la force de l'Education, il lira utilement le récit de la vie de l'ancien Maire de Bordeaux.

 

Montaigne est, à l'instar de Sénèque, de Marc Aurèle ou d'Epictète, utile à qui cherche à renforcer en lui les antidotes au découragement, à l'auto complaisance, à l'abattement, à la douleur aussi.

Si Montaigne abandonne à trente huit ans toute charge et se retire en sa maison pour parvenir à se comprendre, ce qui débouchera sur la rédaction des Essais, c'est aussi parce qu'il est travaillé sans cesse par la "gravelle" (coliques néphrétiques). Ce qui explique sa propension à voyager beaucoup : il n'y a qu'à cheval que la souffrance s'apaise (c'est un peu le point de départ de l'essai de Jean Lacouture, "Montaigne à cheval", lu il y a dix ans mais qui m'avait semblé une bonne et alerte introduction à l'esprit de cette philosophie, fidèle à cette pensée qui justement considère que s'instruire et s'assagir vont nécessairement de pair avec le plaisir).

 

En son seizième siècle finissant, livré aux fanatismes religieux, à la folie meutrière (la Saint-Bathélémy), Montaigne le petit clerc devint certes respecté de tous. Mais sa circonspection, son scepticisme (certaines phrases laissent penser qu'il inclinait à l'irréligion sans pouvoir le clamer franchement) sa profonde tolérance, sa liberté d'esprit et son indépendance précieusement préservée, ne pouvaient guère être mises à profit, même s'il joua à l'occasion le rôle de médiateur.

 

Cependant, il semble que sa Sagesse ait été une seule fois -mais ce ne fut pas un coup pour rien ! - utilisée à excellent escient par ses contemporains. Ami du futur Henr IV, c'est lui qui sur la fin de sa vie, semble t-il, négocia avec le Parti Catholique (il l'était officiellement) la conversion du futur Roi de France. On sait que ce geste d'Henri mit fin à la guerre civile, et en permettant l'accès au trône du Navarrais déboucha sur l'Edit de Nantes, ce texte essentiel qui fut la première étape vers le modèle laïque français.

Montaigne n'était pas sorti de sa bibliothèque pour rien. Et la Sagesse n'est jamais vaine.

 

Et Montaigne à travers son influence semble nous adresser un clin d'oeil depuis son époque où les Inquisitions prospèrent : si comme le dit Henri IV, "Paris vaut bien une messe", c'est qu'une messe ne vaut pas grand chose...

 

Les Essais de Montaigne, quand ont les lit, ressemblent fort à une oeuvre de philosophe romain ou grec. Ils sèment néanmoins les germes de la modernité : l'empirisme est déjà là (à aucun moment Montaigne ne quitte le terrain de la seule expérience pour fonder ses propos). Le relativisme, qui ne resurgira qu'au dix neuvième siècle, court tout au long de ces pages. La religion, prudemment mais sûrement, est déjà regardée comme un objet d'analyse sociologique (Blaise Pascal qui détestait Montaigne, ne s'était pas trompé d'ennemi).

Et à nos nationalistes et chantres de l'identité nationale, nous citerons ce que disait celui qui est la gloire de la philosophie française depuis quatre siècles :

 

"j'estime tous les hommes nos compatriotes et embrasse un Polonais comme un Français, postposant cette liaison nationale à l'universelle et commune"

 

Mais la philosophie avec ses arguments rationnels, si grandiose soit-elle ne suffit pas toujours à apaiser les âmes tourmentées. Cela, Zweig le savait, lui si proche de Freud qu'il en prononça l'oraison funèbre. Et d'ailleurs l'une des leçons que Montaigne ose formuler comme ses inspirateurs plus anciens, et qu'il est déconcertant de voir écrite à une telle époque où les Inquisiteurs veillent, c'est bien que la mort n'est pas à regretter, et qu'elle constitue souvent une issue fort secourable.

Retourner à Montaigne n'a pas retenu le geste de Zweig, sans doute mûrement réfléchi, pesé, comme le lui aurait conseillé son maître.

 


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12 janvier 2011 3 12 /01 /janvier /2011 11:07

 

taar01_21022002.jpg J'ai reçu quelques mails et des commentaires me reprochant, certes poliment, de m'en prendre au charismatique Michel Onfray.

 

Je vais donc développer ma pensée à ce sujet. Une deuxième couche en quelque sorte. Il faut bien polémiquer un peu.

 

En préalable, je suggère à tout lecteur du piteux"Traité d'Athéologie" de lire "L'avenir d'une illusion" de Sigmund Freud, immense livre sur le fondement de la religion (que "le Monde" vient de republier à vil prix dans sa collection sur les livres qui ont changé le monde).

 

-D'un côté, chez Onfray, un fatras verbeux de poncifs et de considérations mélangées sur les textes dits saints, sur l'histoire et la pratique des Eglises, sur les monothéïsmes pris comme un bloc, sur des évènements historiques datés liés à des sociétés théocratiques, sur le terrorisme islamique, sur la psychologie supposée hystérique des mystiques ou de Saint Paul... Tout cela comme une macédoine indigeste nageant en pleine confusion entre atheïsme, laïcité, intolérances ciblées. En outre écrit à toute vitesse, ce qui se voit (Onfray a écrit... une soixantaine de livres ! Et il est encore bien jeune).

 

Ce Traité, ce sont des propos de bouffeurs de curés au digestif. Avec une ignorance volontaire des contradictions et fractures qui caractérisent les religions et les églises :

Jesus, c'est la fraternité et le glaive.

Moïse, c'est "tu ne tueras point" et les plaies de l'Egypte.

Le christianisme, c'est l'égalité et la dignité humaine, et en même temps l'Ordre Moral et le ciment des despotismes.

L'Eglise catholique, c'est le Concile de Trente, les réseaux d'exliltration des nazis, mais aussi la Théologie de la Libération et la solidarité en France avec les sans-papiers et les Roms. 

Le Protestantisme en tant que pensée, c'est la libération des moeurs mais aussi la justification du "struggle for life".

L'Islam et la politique, c'est l'Andalousie en avant garde des Lumières, et c'est aussi Khomeïny.

La culture dite Islamique, c'est la beauté érotisante des "Mille et une nuits" et le port de la Burka.

La pratique de l'Islam, c'est le Soufisme et le jeune qui fait un peu le Ramadan par tradition...

 

Tirer des citations du Coran ou des deux Testaments pour en conclure que les monothéïsmes sont "bellicistes", c'est un peut court. Ces textes disent tout et son contraire, et bien encore. On y trouve la loi du talion et l'exaltation de l'amour.  Comme le disait le groupe IAM dans un vieux morceau, "chaque livre saint se comprend entre les lignes". C'est l'interprétation qui est déterminante, comme le montrent les litanies de schismes et d'hérésies qui jalonnent l'Histoire. Ce qu'un jeune groupe de Rap marseillais comprend, notre philosophe hertzien ne le saisirait pas ? Fichtre !

 

De plus, la grande erreur d'Onfray est d'ignorer la dimension historique des textes, leur contexte tout simplement. Ces textes ont été écrits à un moment où la violence n'avait pas le même sens qu'aujourd'hui. On doit rapporter n'importe quel texte à la civilisation dans laquelle l'auteur évolue et se forme. Ignorer la différence entre l'Antiquité, le Moyen Âge et le contemporain, c'est tomber dans la même impasse que les intégristes de tous poils.

 

Onfray semble concevoir l'histoire comme une ligne horizontale, où tout se vaut, et où l'on peut distribuer des bons et des mauvais points. Avec une telle vision, tous les citoyens romains étaient des psychopathes parce qu'ils allaient aux jeux du cirque. C'est absurde.

 

- De l'autre côté, chez Freud, dans "l'avenir d'une illusion" c'est une réflexion froide et rigoureuse quant à l'objet qu'elle étudie. Une pensée radicale mais humble et laissant sa place au doute, sans volonté de recourir à la caricature et à l'amalgame. Elle ne laisse pourtant aucune chance au phénomène religieux quand vous refermez l'ouvrage... Freud se permet même le luxe de ne pas prôner l'athéïsme, mais le lecteur s'y voit logiquement conduit. La religion apparaît comme une réaction névrotique collective, fort compréhensible, face à l'angoisse d'un monde démesuré et où la mort est la ligne d'horizon omniprésente.

 

Comparer ces deux oeuvres suffit à mesurer l'outrecuidance de Michel Onfray, quand il s'en prend à Freud, non pas en critiquant sa pensée (ce qui est légitime), mais en attaquant violemment sa personne comme un procureur. Selon la fameuse méthode Nietzschéenne pour laquelle l'homme c'est l'oeuvre... Quelle sornette ! La beauté et la magie d'une oeuvre, quelle qu'elle soit, c'est justement le dépassement. La création. 

 

Je le répète, je n'ai rien contre Onfray intellectuel engagé (il vient de publier une tribune dans le Monde sur la notion de populisme, tout à fait intéressante). Mais je maintiens que ce "philosophe" est un produit cousu sur mesure pour un public plus ou moins "rebelle" qui demande à être conforté dans ses certitudes, sans trop d'efforts (on peut même l'écouter en CD !).

 

Ce qui caractérise Onfray, c'est la posture adolescente, de celui qui est par principe "Contre". Par exemple lorsqu'il se lance (quelle modestie !) dans une "Contre histoire de la philosophie", ou dans un "Anti-manuel de philosophie". Que signifient ces notions ? Que l'histoire de la philosophie est un vaste complot écrit par des curetons et des aigris ? Ce n'est pas sérieux. Aller débusquer des philosophes méconnus permet à Onfray de dénoncer une prétendue conjuration qui aurait sciemment fait taire des milliers de Galilée. Heureusement, ils reprennent vie dans les cours de L'université Populaire de Caen. On est en plein Da Vinci Code avec Platon en Chef du complot.

 

Pourtant, en Hypokhâgne il y a vingt ans déjà, j'en ai avalé du Nietzsche...Je n'ai pas eu l'impression que l'on ne parlait que de Kant. Et encore faut-il le lire, Kant, pour se permettre de le tancer. Les philosophes du "Soupçon"... depuis Marx jusqu'à Derrida en passant par Foucault n'ont pas attendu Michel Onfray pour entrer dans les cours de philosophie. On ne parle plus que d'eux dans certaines Universités américaines. 

 

Onfray flatte un peu le paresseux qui sommeillait pendant les cours de philo en Terminale et qui s'en repent, tout en se cherchant des circonstances atténuantes ("les profs sont soporifiques, la Philo au Lycée ça parle que des vieilles badernes...").

 

L'adolescence, c'est aussi "l'hédonisme" porté au firmament. Et là, Onfray n'est que le serviteur d'un monde qu'il dit détester par ses engagements.

 

Car quelle est la valeur centrale du capitalisme consumériste, sinon justement l'hédonisme dégoulînant de nos écrans ? Soyez hédonistes ou souffrez. Soyez hédonistes ou perdez. Soyez hédonistes ou frustrés. L'hédonisme, c'est la carotte du capitalisme, et c'est la source de bien des violences chez ceux qui ne peuvent y accéder.

 

Allez, promis, dans de prochains articles, je m'en prendrai à des réacs !

 

 

 

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13 décembre 2010 1 13 /12 /décembre /2010 19:59

imposteur.jpg Je n'aime pas Michel Onfray. Je parle de l'auteur, pas de l'intellectuel engagé ni de l'homme. Ce dernier me semble tout à fait sympathique. Mais son oeuvre dite "philosophique" et sa réputation tiennent un peu de l'imposture, beaucoup d'un art consommé du marketing.

A mon sens, Michel Onfray est à l'"autre gauche" ce que BHL est au social-libéralisme : ce que dans nos romans du 19ème- début vingtième, on juge comme un "poseur" ou un "faiseur" (chez Stendhal,     Proust     ou Musil). Dommage que ces nuances aient disparu de notre langage usuel. Ces mots frappent juste. L'immense Georges Orwell nous a prévenu sur les risques de l'appauvrissement  du langage. Et  il n'est pas un jour où le spectacle du monde ne lui donne raison.

Saviez-vous que les deux "philosophes" bons clients de la télé ont le même éditeur ? Celui-ci est un roué et pense à toutes les niches. Les deux peuvent dire ou écrire des choses justes et courageuses, les deux m'exaspèrent souvent et plus.
 

Comme Jacques Attali ou Jack Lang, Michel Onfray sort plusieurs livres par an. Ce seul indice doit nous persuader de nous en vacciner. Qui a déjà écrit ne serait-ce qu'un mémoire de maîtrise  sait qu'il n'est  pas sérieux d'écrire un livre par trimestre.

 

Les titres sont toujours d'une admirable efficacité publicitaire, destinés au public friand d'hétérodoxie. A cet égard, Onfray est à la philo ce que Nothomb est  au  roman (j'ai lu le ridicule  "hygiène de l'assassin" et j'avoue ne pas comprendre comment cette dame rencontre un tel succès.). Ces titres reposent souvent sur la rencontre impromptue de mots et de significations, ce qui est une méthode vieille comme Lautréamont.

Le "nietzschéisme de gauche" d'Onfray me paraît une construction inepte et immature. Onfray aime bien intenter des procès à des "idoles" comme Freud en déterrant des citations coupées de leur contexte, en utilisant des faits d'ordre privé comme arguments à charge contre une théorie (un peu comme d'Ormesson expliquant que le marxisme ne vaut rien parce que Marx avait une liaison avec la femme de ménage). Et en plus il justifie habilement cette philosophie de paparazzi en nous expliquant que l'homme c'est l'oeuvre, salissant ainsi toute la grande tradition philosophique matérialiste.

 

Onfray est aussi brillant qu'un pigiste du "Parisien" pour savoir que le scandale fait vendre. Mais essayez-donc un instant d'appliquer ses propres procédés à Nietzsche, son héros, en allant chercher chez lui des  citations proches du discours national-socialiste. Vous y trouverez plus que nécessaire des déchaînements contre les faibles, l'égalité, les droits de l'homme. Vous y trouverez des éloges de la Brute, à foison. Cela vous suffirait à dessiner, de manière bêtement anachronique, le philosophe allemand en souteneur reconverti en criminel de guerre.

 

Le nietzschéïsme de gauche me paraît ainsi un attrape nigaud. Une formule pour jeunes adultes narcissiques qui rentreront vite dans le rang. Ces gens qui pensent que boire cinq téquilas à la fête de la promo, c'est "faire de sa vie une oeuvre d'art" comme nous y enjoint Zarathoustra.

 

Comme BHL, Onfray n'est pas un philosophe. Ils sont tous deux des "faiseurs" de dissertation plus débrouillards que les autres. Assez bons pour réussir l'agrégation. Assez débrouillards pour grenouiller dans les coulisses de la télé et dans les couloirs de l'Express et du Nouvel Obs.

La gloire d'Onfray grandit à mesure qu'il s'essaie au scandale (sur le modèle de son aîné BHL). Traiter Freud de fasciste et d'escroc, expliquer que l'oeuvre de Kant porte en germe Adolf Eichmann. Ce sont des absurdités, et pourtant ça marche.
 

Arrangeur de dissertation certes, mais qui a en outre oublié les annotations de ses profs en rouge dans la marge. Onfray pratique l'essayisme sans rigueur, et se vautre dans l'amalgame, l'analogie historique douteuse, le mélange hasardeux des registres.
 

Comme je trouvais cet homme plutôt sympathique, j'ai lu plusieurs de ses livres. Avec une déception grandissante. Le "Traité d'Athéologie" (là aussi, quel titre ronflant !) ne sert pas sa cause. C'est un livre  bâclé, qui mélange sans cesse la théologie, l'histoire des religions, l'histoire politique, les Eglises, les clergés et la Foi. Les crimes de l'inquisition au treizième siècle invalident-ils l'idée de Dieu ? J'en  doute.   Ce serait comme dire que les magouilles de Mirabeau et les abus de Marat délégitiment la démocratie. Nous servir un athéïsme grossier ne sert pas l'athéïsme. Autant se balader nu avec une lanterne dans  la rue en criant "Dieu est mort".    
     dererumnatura.jpg Dans un genre tout aussi populaire, vulgarisateur, mais bien plus rigoureux (et humble), on peut lire "L'esprit de l'athéïsme" d'André Comte Sponville. Qui s'essaie à justifier une position rationnellement athée,   tout en se demandant "pourquoi il ya de l'Etre plutôt que rien du tout ?".
Ou alors se lancer dans Feuerbach, mais bonjour le Doliprane...

Pour ma part, je préfère me délecter de l'Epicurisme poétique de Lucrèce, dans " De la nature des choses"...qui nous exhorte malicieusement non pas à penser que les Dieux n'existent pas, mais qu'ils ne se préoccupent point de nous. Nous n'avons alors qu'à les ignorer pour mener notre vie.


Quant à la théorie d'Onfray sur l'amour, si on la dépouille de son fatras de citations, elle se résume à dire : "chacun fait ce qui lui plaît, mais attention à ne pas faire du mal aux autres ! "Merci Monsieur le  grand philosophe !
 

 

Quelques mérites tout de même à son crédit : avoir reparlé des présocratiques, de Diogène le cynique, et avoir beaucoup travaillé pour l'Université Populaire. Même si j'ai peur qu'il y déverse les mêmes sottises que dans son oeuvre verbeuse et maladivement prolifique.

Michel, arrête un peu de débiter au kilomètre ! Et commence un peu à réfléchir sérieusement. Peut-être parviendras-tu un jour à faire oeuvre de philosophe, à nous offrir un concept, quelque chose qui sert à  penser le monde.

atheisme.jpg

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26 novembre 2010 5 26 /11 /novembre /2010 18:52

La Sécurité Sociale et l'Agence Nationale des Conditions de Travail devraient distribuer gratuitement les petits manuels stoïciens à la population.

 

Je ne prétends pas que cela allègerait les souffrances, mais bon, ça vaut bien un massage et c'est moins cher.

 Le stoïcisme fut un temps pensée dominante des élites sous l'Empire Romain. Cette philosophie consolatrice me semble résumée dans l'adage "Fais ce que dois, advienne que pourra".

 On n'est pas obligé d'adhérer à tout ce que prétend le Manuel d'Epictète, monument de ce mouvement, particulièrement radical, et imprégné de religiosité (paganisme).

Dans un genre radical, je préfère les Pensées à moi-même de Marc Aurèle. L'empereur philosophe. Sénèque est grand aussi, mais dans un genre plus terre à terre, plus "coach".

 

Le stoïcisme a disparu en tant que courant de pensée, . Mais vous en trouvez un cousinage dans certains aspects du bouddhisme ou des différents panthéïsmes. Vous en retrouvez une belle expression dans le poème "la mort du loup" de Vigny. Montaigne aussi en était imprégné, mais je ne le connais pas bien. Et plus récemment, le philosophe Rad-soc bizarrement dénommé "Alain", dont je vous conseille les  "propos sur le bonheur".

Les stoïciens et les Epicuriens se livraient une guerre. Avec le recul historique, ils auraient perçu qu'ils partageaient une sagesse largement commune.

 

 Lire ces auteurs ne vous dispensera pas d'haïr votre Patron, de pleurer sur vos lacets cassés, de maudire votre fournisseur Internet, et de pleurnicher sur votre sort. La fréquentation des stoïciens ne vous  permettra pas, malheureusement, de vous débarasser des pièges et ornières de votre inconscient. Mais testez : dans certaines situations désagréables, des passages vous reviennent, ou l'esprit du texte vous imprègne.     

Et la distance s'instaure.

 

Petite anecdote : un matin, je lisais Epictète dans le métro toulousain. Une dame d'âge moyen, ou plutôt moyennement âgée, lisait par dessus mon épaule. Quand je suis descendu, elle m'a demandé le nom     de l'auteur de ces quelques bribes qu'elle avait pu déchiffrer. Je l'ai vue en prendre note, la rame s'éloignant. Puissance immédiate du Verbe.

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


ete2010-035.jpg

 

 

D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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