Maya Angelou, aujourd'hui une vieille Dame, est une figure des Lettres américaines, mais aussi du mouvement pour la libération des afro américains.
Collaboratrice de Martin Luther King (elle coordonna son mouvement pour tout le nord des Etats-Unis, rien que ça), avant de se radicaliser et de se rapprocher du nationalisme noir et du tardif
Malcom X, elle poursuit aujourd'hui le récit de sa vie libre et tumultueuse en publiant "Un billet d'avion pour
l'Afrique".
Maya Angelou, à la fin des années 60, fut de ceux qui tentèrent le retour aux sources, l'installation en Afrique.
Dans ce tome (le dernier paru, j'aime bien lire à l'envers), où elle approche les 40 ans, elle narre son expérience au Ghana, pays choisi car considéré comme le plus progressiste du continent et le plus ouvertement solidaire envers les frères d'outre atlantique. Le très âgé Web Du Bois, pionnier du mouvement de libération américain, s'y est lui-même installé.
C'est le moment où Malcom X, dégagé de la Nation of Islam et de ce petit pervers d'Elijah Mohammed, essaie de donner à la lutte pour la libération des noirs américains une dimension internationale. Pour porter le sujet à l'ONU, à l'instar de ce qui a été le cas pour l'Apartheid, il a besoin de se rapprocher des Etats naissants sur le continent africain. Et Malcom X, bien isolé, parvient par son charisme et son pouvoir de conviction à enregistrer certains succès en la matière, étant peu à peu reconnu comme un interlocuteur, accueilli dans des réunions diplomatiques. Malcom X vient au Ghana et Maya Angelou lui sert de chauffeur. Elle assiste à cette fameuse scène où Malcom X tombe par hasard sur son ami Mohammed Ali, qui refuse de lui parler sur ordre des black muslims. Scène déchirante entre deux immenses personnalités.
Au Ghana, une petite communauté de militants noirs, assez radicalisés, se sont installés. Personne ne les attend et ils ont du mal à trouver leur place, alors qu'ils voudraient apporter leur savoir (la plupart sont des intellectuels) à leur terre d'origine.
Maya est de ceux là, même si elle n'a pas le parcours d'une diplômée. Mais elle est rapidement connue et respectée par son sens de la répartie, sa forte personnalité, ses talents de comédienne et de chanteuse. Elle vit en écrivant des articles et en travaillant ici ou là, notamment à l'université sur des tâches administratives.
C'est un beau récit de vie. Celui de retrouvailles ambigues, frustrantes mais marquantes avec l'Afrique. Maya Angelou y cherche des traces d'elle-même, de ses parents. Elle les débusque parfois, car on reconnaît en elle une africaine, parfois sous des formes mystérieuses. Elle comprend peu à peu qu'elle n'est pas africaine, elle est noire et américaine : elle a envie de cracher sur le drapeau étoilé et en même temps de le posséder.
Le livre est une belle méditation, par effet de contraste avec le peuple ghanéen, sur l'identité des noirs américains. Les ghanéens sont en pleine conquête, l'indépendance a été acquise et il s'agit d'un peuple fier et sûr de lui-même. Les noirs américains gardent les stigmates de leur parcours, de tous les réflexes qu'ils ont du acquérir pour survivre.
C'est un récit charnel, imagé et écrit d'une plume libre comme l'auteur. L'Afrique est belle, et Maya Angelou y est reçue comme une soeur, se lovant dans l'esprit communautaire d'une société très intégrée. Mais elle se sent inévitablement autre, et on ne peut pas effacer les résultats de l'effroyable voyage des esclaves. Maya Angelou va comprendre en fin de compte qu'elle doit rentrer en Amérique pour lutter. Mais elle rentre sans déception. Elle a saisi ce qui vivait d'Afrique en elle, et tel était l'essentiel.
Au moment où Maya Angelou se confronte à la grande source maternelle africaine, son propre fils arrive à l'âge adulte, et elle vit le déchirement du départ. Le livre bascule sans cesse entre ce double tiraillement, entre l'ascendance et la descendance, et s'avère poignant.
Un passage, à lui seul, suffirait à justifier qu'on lise le livre. Maya Angelou accepte de partir en tournée théâtrale avec une troupe américaine. Elle passe par Berlin et se retrouve au gré du hasard dans un foyer berlinois où elle est invitée à déjeuner en présence d'un autre acteur juif allemand. La famille accueillante a sans doute eu partie liée avec le nazisme. S'ensuit une scène ahurissante où chacun va raconter une blague de son cru. Derrière la paix de l'époque et l'équilibre retrouvé, la vieille haine tenace va montrer ses crocs. Une scène d'une rare intensité.