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13 mars 2011 7 13 /03 /mars /2011 09:16

liebhnecht.png La révolution allemande (1918-1919) est dans la mémoire historique européenne comme un secret de famille honteux.

 

Et pour cause... Car beaucoup tiennent à l'oublier. Pensez donc : une révolution ouvrière qui a été à deux doigts de réussir dans un pays industriel avancé, que dis-je dans le pays le plus développé de son époque... Et qui a échoué parce que les chefs SPD du Parti de Marx et d'Engels..., grignotés de l'intérieur par le crétinisme parlementaire, ont passé un accord de pouvoir avec ceux-là mêmes qui allaient les envoyer à Dachau une quinzaine d'années plus tard. Jusqu'à se charger eux-mêmes du sale boulot habituellement confié à des généraux réactionnaires : noyer la révolution dans le sang.

 

Et puis penser la Révolution allemande, ce serait se confronter à une autre question : celle de la première guerre mondiale, de l'"Union sacrée" qui déshonora les dirigeants républicains et les socialistes à quelques glorieuses exceptions. Un passé occulté, enfoui.  

 

Souvenons-nous de Lionel Jospin qui avait rendu à l'Assemblée, seul, hommage aux mutins de 1917, surmontant un siècle de lâcheté. Sous les horions de la droite et en particulier de Philippe Seguin le supposé "grand républicain".  Ce dernier ne savait-il pas que cette République de 1914 nous mena à une guerre à 10 millions de morts, qui n'a servi à préparer que la suivante, quatre fois plus meurtrière... On peut penser ce qu'on veut de Jospin... mais ce jour là il fut bien courageux et seul, car autour de lui bien peu étaient même capables de comprendre de quoi il s'agissait vraiment...

 

Avez-vous remarqué comment on parle de la Première Guerre Mondiale en France (par exemple dans le cinéma) ? On en parle comme d'un drame humain, celui des "poilus" dans les tranchées. On pointe du doigt les généraux inhumains, qui envoyaient les foules à l'abattoir. Mais point d'analyse politique. Une guerre tombée du ciel, sortie toute habillée et casquée de la tête folle des hommes... Une guerre dont on veut oublier les causes et les responsables.

 

Ce qui s'est passé en Allemagne en 1918 est pourtant d'une ampleur inouïe. Mais qui le sait ?

 

Alfred Döblin, un romancier surtout connu pour un seul livre (que je n'ai pas lu - "Berlin Alexanderplatz") a écrit un grand roman d'un point de vue omniscient sur cette Révolution qui si elle avait triomphé, aurait changé le cours de l'histoire. L'Union Soviétique n'aurait plus été isolée et conduite à des contradictions intenables. Le centre névralgique de la Révolution se serait déplacé à Berlin. La voie vers le fascisme aurait été singulièrement plus difficile. Et peut-être l'humanité aurait-elle évité le deuxième conflit mondial...

 

"Novembre 1918 -une révolution allemande"(Agone) est un vaste roman heureusement republié,  injustement méconnu, s'étirant sur quatre tomes ("Bourgeois et soldats/ Peuple trahi/Retour du Front/ Karl et Rosa"). Sur le principe éprouvé par Léon Tolstoï, il chevauche la période et le chaos en accompagnant divers protagonistes, imaginaires ou réels, de ces évènements. Le roman commence avec la capitulation de l'Allemagne en novembre 1918 et s'achève avec l'écrasement de l'insurrection spartakiste. Les chapitres consacrés aux personnages alternent avec des survols de la situation dans une région, au sein d'une classe sociale, et des envolées plus théoriques.

 

Comme je suis désordonné et impatient, j'ai commencé avec le dernier tome, qui constitue au delà de ses qualités littéraires un document précieux sur cette période peu étudiée, (sinon par des approches utiles mais axées sur les aspects très politiques, comme celle de Pierre Broué) et dont l'auteur connaît parfaitement chaque seconde. On y vit la Révolution rue par rue, on y suit Luxembourg et Liebknecht épuisés lorsqu'ils changent de cache chaque soir et se querellent au sujet de la stratégie à suivre. J'ai poursuivi avec le premier tome qui nous permet de plonger dans ces quelques journées, ignorées, où l'Alsace-Lorraine flotte entre le départ des allemands et l'arrivée des français, et où se dénouent tant de destins dans une région occupée depuis cinquante ans. On y accompagne les soldats allemands rentrant en allemagne, se dispersant, arrivant dans un Berlin en Révolution, où la situation est confuse..

 

Heureusement il me reste les deux volumes centraux à lire...

 

Alfred Döblin est en totale empathie avec les révolutionnaires, dont il mesure cependant les faiblesses, ce qui rend le roman d'autant plus poignant. Au moment où l'auteur écrit (pendant la deuxième guerre mondiale) il a assez de recul pour comprendre toute la portée dramatique de l'échec de la révolution des Conseils. Et il vit une conversion au catholicisme. Ce qui donne au roman une dimension d'interrogation mystique assez détonnante, alors qu'il s'agit de suivre une révolution prolétarienne (issue mystique projetée de manière étonnante sur le personnage de Rosa Luxembourg). Autre curiosité : une certaine influence, ponctuelle mais très originale, du surréalisme. On voit le chancelier Ebert se transformer en toupie dans son bureau, sous le coup de la tension... Un mélange singulier d'approche réaliste et d'évocation fantastique...(la nuit, les statues deviennent vivantes dans Berlin).

 

C'est un formidable roman sur la Révolution comme accélérateur de l'histoire, où les hommes se jettent et se transforment à grands pas. Périodes indécises, où tout semble se jouer à peu de choses, à quelques décisions, à quelques retards pour délivrer des consignes, même si en investigant au tréfonds du monde social, on comprend que les évènements répondent à une logique profonde. Indécis était le destin de cette révolution allemande, appuyée sur un mouvement populaire puissant et décidé. Indécis, comme les choix de ces soldats revenus du front, au moment où le Reich s'écroule et où il n'y a plus de repère, et qui sont aussi prêts à se jeter dans la Révolution que de s'engager dans les corps-francs chargés de la liquider.

 

A quoi un être humain est-il confronté quand tout vacille ? C'est ce que ce roman nous permet de visiter, à travers de multiples trajectoires.

 

Il y aura de tels romans à écrire sur les révolutions arabes. Au moment où elles en sont, elles nous réjouissent plus que  tout, elles nous rassurent, elles nous donnent de l'optimisme. Mais elles sont fragiles. Elles peuvent basculer. La révolution, ça reste un saut au dessus du vide. Les révolutionnaires n'en sont que plus admirables.

 

S'intéresser à la révolution avortée et oubliée en Allemagne, c'est revenir au carrefour de cet incroyable siècle. Celui dont nous sommes les si proches héritiers.

 

Je connais mal le débat allemand sur la question. Je pense qu'il a été faussé par la guerre froide. Mais alors que le puissant SPD s'est égaré dans la "troisième voie" et le copilotage des réformes libérales que l'on nous présente comme "inéluctable" au plan européen, il serait sans doute utile de sortir cette Histoire du refoulé, là-bas aussi. Certains oublient que le Mur de Berlin est tombé pour les deux côtés.

 

En cette année exaspérée où la société française, mais aussi européenne, se polarise politiquement (ce que nous disent les sondages), les solutions radicales et fortement antagonistes étant de plus en plus tentantes pour un peuple confronté à la radicalité du réel, il est sans doute utile de réfléchir sur les leçons de cette époque où la modération n'était plus de mise.

 


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23 février 2011 3 23 /02 /février /2011 08:49

marguerite_duras.jpg Je viens de lire un roman tiré d'une haute étagère de ma bibliothèque. Un petit livre de poche acheté il y a des années, jamais ouvert, aux pages déjà comme teintées par l'argile. Un titre attirant et mystérieux : "Les petits chevaux de Tarquinia" de Marguerite Duras.

 

Celle-ci avait le génie des titres accroche-coeurs: "Moderato cantabile", 'le ravissement de Lol V Stein", "Dix heures et demie du soir en été"., "Hiroshima mon amour"... Et je suis sûr qu'un jour je lirai... "Des journées entières dans les arbres". Rien que dans ce titre, on pressent le feulement apaisant de la brise dans les feuilles et la mélancolie de l'enfance.

 

"...Tarquinia" est une oeuvre de jeunesse de MD.(1953) Son style y est fluide, moins affecté sans doute que celui qu'on se plaît à caricaturer.

 

C'est un petit livre de rien du tout. Un livre qui se contente de quelques impressions fondamentales. Mais c'est un beau livre et c'est beaucoup.

 

Sans doute le lecteur de ce Blog connaît-il des gens qui n'aiment pas les vacances, qui les craignent, par peur du vide ou de se retrouver face à soi-même. Ce sont des candidats parfaits au burn-out. Ils placent leurs congés sur un Compte Epargne Temps et se planquent derrière une montagne de travail, censée être subie. Ils ont un peu honte, car le loisir est une injonction sociale et le lieu de vacance un signe extérieur de distinction.

 

Et bien ce roman est écrit pour eux. Il évoque les vacances d'été, au final douloureuses, d'un tout petit groupe d'amis. Dans un hameau au bord de la côte italienne occidentale, coincé entre méditerranée, montagne et estuaire. A l'abri regrettable du vent et piégé par la torpeur. Des vacances languissantes et pénibles, durant lesquelles on rêve sans cesse de partir.

 

Impossible d'échapper à la chaleur qui sèche la peau du lecteur. Mais la chaleur est la double métaphore de la vie et de l'amour.

 

On aimerait faire des pauses dans la vie, mais on ne peut pas. il faut  bien se lever, manger plus ou moins la même chose, recommencer, rechercher la même gamme de plaisirs. On se baigne sans cesse mais on sèche. On ne peut pas récupérer de ces nuits de canicule épuisantes. Et on ne peut pas échapper aux apories de l'amour et du désir. On voudrait que l'amour ne puisse s'éroder, on souhaiterait programmer son exclusivité. Mais on est impuissant. Telle Sara, personnage central de ce livre qui ne peut renoncer à l'homme de sa vie mais qui rêve d'autres hommes.

 

Heureusement, il y a "l'Enfant". L'Astre qui justifie tout cela.

 

Et puis il y a l'alcool. En l'occurence les petits verres de Campari qui jalonnent presque chaque page du livre. On sait l'importance de l'alcool dans la vie et l'oeuvre de Duras (lire à ce propos la biographie écrite par Laure Adler il  y a une douzaine d'années).

 

"Moderato Cantabile" m'était apparue comme la vision d'un réel filtré par l'omniprésence du vin. "...Tarquinia" me semble un ressenti du monde qui conduit logiquement jusqu'aux terrasses du seul hôtel du village, où l'on boit exclusivement des Bitter Campari amers. 

 

Il y a l'alcool, et d'autres vaisseaux similaires pour vous alléger et vous emmener ailleurs. Pour provoquer un peu de communion aussi, car que  nous disent les très nombreux dialogues un peu abscons de Duras, sinon l'ambivalente présence d'autrui ?

 

Là ou peut-être on prendra un peu de frais, on vivra mieux ensemble. Par exemple par un saut de deux trois jours à Rome, avec escale à Tarquinia pour y voir ces fameuses petites peintures étrusques. Ailleurs toujours, "Dit-elle".

 



 


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16 février 2011 3 16 /02 /février /2011 08:43

viaduc.jpg La richesse, c'est le travail un point c'est tout.

Le travail accumulé, certes. Le travail réinvesti bien sûr. Mais le travail toujours.

 

L'idéologie économique dominante, malgré les preuves sans cesse apportées, ignore cette loi d'airain. Fait mine de la méconnaître. Pour continuer la danse de la pluie censée attirer les capitaux.

 

Et le noyau atomique du travail, c'est l'industrie. Sans industrie, point d'économie solide. Point de travail durable. Ceux qui ont laissé notre industrie à son hémorragie mortifère sont coupables devant l'Histoire.

 

C'est pourquoi le dernier et sublime roman de Maylis de Kerangal, graine quadragénaire d'un immense écrivain, m'a attiré, ne serait-ce que par son titre qui exhale le Réel : "Naissance d'un pont".

 

 

Comme la plupart de ceux qui liront ce roman, je suis un généraliste, un travailleur des méninges, un manieur de signes avant tout. On me demande d'ordonner des pensées, d'être synthétique, de discerner l'essentiel du secondaire, de "prioriser". De transmettre des informations en langue adaptée. C'est ainsi que je gagne ma vie. Même si au bout des phrases, il y a des conséquences très réelles pour tout un tas de gens.

 

A certains moments différents de ma vie professionnelle, j'ai été aspiré vers plus d'abstrait. La pure production de sens. Jusqu'à écrire des textes surtout destinés à être lus, survolés, ou entendus par des gens payés pour les lire ou les entendre. Durant ces périodes, j'ai toujours éprouvé un questionnement lancinant, un malaise, et pour tout dire un sentiment d'infériorité et d'imposture par rapport au type qui rentre chez lui le soir en se disant que la route qu'il construit a avancé de dix mètres, que demain il mettra la dernière main à une rame de tramway, ou qu'il se consacrera aux finitions du Lycée Robert Badinter.

 

On ne peut pas se contenter d'entasser des briques, je le sais bien. Mais enfin, la société peut sans doute se passer d'un fort pourcentage de tout ce qui s'écrit ou se raconte. et qui la plupart du temps se ressasse. Alors que ce sur quoi on se cogne est souvent indispensable. Et si ce n'est pas indispensable, c'est tangible. Voici le mot qui constitue une issue. Un chemin pour donner un sens à notre trajectoire individuelle.

 

C'est cette magie du tangible, qui nous permet de nous réconcilier avec le réel, à travers la réalisation d'une oeuvre, que Maylis de Kerangal célèbre dans son roman. Ses personnages fonctionnent à ce carburant. Et la fin du chantier ne peut que conduire au suivant.

 

Fascination pour le tangible, incarnée par une femme, responsable de la production de béton dans le roman. Et qui passe sa vie devant un écran tactile où l'on peut varier à l'infini les composantes et facteurs qui vont participer à la définition de la matière.

 

Les gens de pouvoir ne se rassurent que quand ils peuvent arborer des investissements, inaugurer des bâtiments. Pour agir il faut construire. Sans qu'on s'interroge toujours sur l'utilité de la réalisation. On veut les J.O, un nouveau siège pour l'institution, ou un musée... Bilbao aurait réussi grâce au Guggenheïm, Barcelone grâce à son village olympique.  Et la solution, pour les banlieues (discutable...) c'est de démolir et de reconstruire. La pierre est toujours philosophale. Ainsi pense le Maire de la ville imaginaire du roman. La grandeur du pont préfigurera le développement de la ville, nouvelle Dubaï.

 

Roman documentaire (comment cette éditrice de son état est-elle allée chercher tout ça ?), récit sous influence américaine - par ce mélange unique entre le réalisme et l'ampleur-   "Naissance d'un pont" est une ode lucide aux travailleurs. A la grandeur de leur oeuvre et à leur souffrance. Ode à la compétence incroyable du travailleur moderne, capable d'équilibrer un pont gigantesque, de bâtir dans n'importe quelle condition des tours vertigineuses, en étant obligé de risquer sa vie pour simplement être payé en fonction des heures qu'il effectue.

 

Une ode, car écrite dans un style éminemment musical. Réalisme poétique. Réalisme grand angle.

 

Plongée, à travers l'histoire d'un chantier immense dans une ville de Californie imaginaire, dans le monde du travail. Où l'on constate que l'Ingénieur et l'ouvrier, s'ils ne sont pas tenus par les mêmes intérêts, ont aussi un monde en partage, celui de la production, de la réalisation. Et sont séparés par une barrière étanche du nouveau chef, le financier. Et une histoire d'amour entre le chef du chantier et une ouvrière qui s'entasse avec sa famille dans une petite chambre de Motel, en est le symbole.

 

Il y a du Cormarc Mc Carthy en cette Maylis de Kerangal.

Qui a dit que la littérature française était à l'agonie, qu'elle étouffait dans l'autofiction et les épanchements narcissiques de la petite-bourgeoisie de plume ? Et bien non, nous avons des auteurs comme Kerangal. Et bien souvent des femmes, telle Marie N'Diaye. Les yeux braqués sur le monde. Prêtes à nous en restituer les contours.

 

 

 

 

 

 

 

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13 février 2011 7 13 /02 /février /2011 08:01

letemps.jpg Moins de cent pages pour illustrer, par le récit tout simple d'un incident de bureau, tout le tragique de la condition humaine.

 

Telle est la grandeur de "Bartleby" d'Herman Melville. 

 

En deux heures de lecture tout au plus, appâté par un style classique d'orfèvre, le lecteur passe du rire de l'absurde au pressentiment d'un drame à découvrir, et au regard final et soudain sur l'immense abîme métaphysique.

 

Un homme de loi de Wall Sreet embauche dans son étude un petit homme blâfard. dénommé Bartleby. Celui-ci ne se fait pas remarquer. Puis vient le jour où on lui demande de sortir un instant de sa routine de copiste pour donner un coup de main. Il répond alors cette phrase qui va épouser toutes les connotations au fil de la Nouvelle : "Je préfèrerais pas". Et peu à peu, cette phrase se répète, jusqu'à voir Bartleby s'enfoncer dans la passivité, l'immobilité. Jusqu'à ce que Patron constate qu'il ne mange presque pas, qu'il dort dans le bureau.

 

Si on laissait faire ses collègues, Bartleby serait rossé et jeté à la rue. Mais le Patron oscille entre colère et stupeur. Et pressent que derrière ce comportement se dissimule quelque chose d'obscur et de vertigineux. Le lecteur est  admirablement embarqué dans les tourments de cet homme charitable, qui veut se débarasser de cet individu encombrant, sans oser y toucher, comme si cet homme représentait plus que lui-même.

 

A la fin de la nouvelle, en quelques lignes qui donnent génialement tout leur sens à ce récit, le lecteur comprend à quoi Bartleby a été confronté.  Bartleby a eu le malheur de voir au delà de ce qui est possible à l'âme humaine, qui se réfugie dans les actes, dans la survie, pour oublier ce qu'il en est vraiment. Et cela est arrivé à Bartleby par hasard, car il a eu le malheur d'occuper une place absolument particulière dans la division du travail social.

 

Bartleby, à mon sens, c'est la personnification de la condition humaine. L'homme est coincé dans les rails du temps. Cette succession de présents. Et son drame est de pouvoir imaginer l'avenir et revenir sur le passé. Mesurer que tout passe. Que tout est vain.

 

On comprend alors le malaise éprouvé à entendre Bartleby dire "je préfèrerais pas". Dans ce conditionnel réside aussi toute l'incertitude qui est la nôtre. A nous, êtres de l'angoisse.


 


 


 

 

 


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5 février 2011 6 05 /02 /février /2011 08:54

MADONNA.jpg François Bégaudeau est un mec sympa et un "bogoss" pour citer Franck Ribery. J'aime bien l'écouter dans son job de critique, qui manifestement lui a permis d'échapper à l'Education Nationale. Ce type a quand même reçu la "Palme d'or" pour l'adaptation de son roman "Entre les murs" ("an amazing film" avait commenté Sean Penn). Et il a presque réussi à faire oublier cette ligne sur son CV. Il se comporte comme si ce n'était jamais arrivé. Il ne se "la pète" pas, donc. Même s'il a des avis tranchés et c'est tant mieux.

 

Né comme moi en 71 (ça il ne le sait pas), il écrit sur "nos" années ardentes. Cette décennie d'adolescence, où une année en vaut dix. Les années 80 dans notre cas. Plus particulièrement l'été 1986. Les meilleures plumes nées après 1968 arrivent à un âge où elles peuvent sans doute écrire des choses intelligentes sur leur enfance et leur adolescence.

 

Son dernier roman, au titre maladroit qui fleure le choix imposé de l'éditeur : "La blessure, la vraie" éditions Verticales), nous plonge dans la vie d'un ado, FB lui-même, qui vit ses vacances sur la côte vendéenne, avec les potes de son  village d'enfance. Et tout lecteur de ma génération y trouvera sans doute des analogies troublantes avec sa propre vie. Analogies qui titillent nos mélancolies. J'ai l'impression d'avoir bu les mêmes Tropicos et Monacos, dans des bars à baby foots identiques, en fredonnant "the final countdown".

 

On y retrouve tous les chromos de l'époque. Si  on était méchant, on dirait que Bégaudeau a essayé de transposer à la littérature ce que l'émission "les enfants de la télé" a pratiqué et les maisons de disques essayé avec les tournées des "chanteurs oubliés" : exploiter le vague à l'âme des trentenaires. Et je concède avoir redécouvert avec un plaisir proustien certains détails.

 

Les années de jeunesse, où notre personnalité se consolide comme glaise qui sèche , me semblent comme les moments chimiquement purs de nos vies. La vraie référence. La suite n'est que poursuite. Au mieux, développement. Au pire décadence. Je garde l'impression que l'on se déguise en adultes et que l'on prend des pauses, que l'on joue des rôles sociaux parce qu'on s'y résout. A vieillir pardi.  A mettre des costumes plutôt que des survêtements et des baskets Illie Nastase. Cela se ressent particulièrement chez ceux qui "sont restés bloqués en 68", mais je ressens personnellement le même sentiment à l'égard des 80's.

Je me demande néanmoins si ce roman peut intéresser un lecteur qui aurait moins de 30 ou plus de 45 ans. Sans doute non. Trop d'utilisation des souvenirs propres de ma génération (par exemple l'utilisation ad nauseam des références pop de l'époque reine du 45 tours).

 

L'idée fixe de François, à l'été 86, c'est de vivre "sa première fois". C'est le fil directeur du roman et de la vie quotidienne de cet ado. Va t-il réussir ? Je ne vous le dis pas. Est-ce un échec qui suscite la "blessure"? A vous de le lire.

 

L'autre fil directeur, c'est la politique. L'ado Bégaudeau est communiste. Du genre sans fioritures. Brut. Et ce qui est intéressant, c'est qu'il se définit avant tout comme communiste (son seul acte révolutionnaire étant d'essayer de battre un enfant de bourgeois UDF au tournoi de tennis). Mais il est déjà, dans les années 80, isolé au milieu de sa génération. Les autres, qu'il croise ou fréquente, ne se structurent pas autour de la politique. Ils n'en parlent jamais, et toutes les réflexions sur le sujet relèvent d'un monologue interne, quasi autistique. On mesure toute la différence avec des tonnes de livres d'auteurs qui nous racontent leur jeunesse dans les 70's (par exemple les romans des frères Rolin, Olivier et Jean ("l'organisation", "Tigre en papier"). Ou je pense aussi à "une adolescence dans l'après-mai" d'Olivier Assayas).

 

François Bégaudeau est donc un ado commun au milieu des siens, obsédé par l'obscur objet du désir. Mais il est aussi un marginal à l'insu de son entourage, qui rêvasse sur la société de demain ; et regarde le monde, les adultes, les filles, à travers la grille manichéenne séparant "les prolos des bourges". C'est une thématique du livre plus inédite et porteuse que le récit bâteau des tourments du puceau émotif.

 

A regretter : le style hésitant de l'auteur, de plus en plus irritant au fil des pages. On sent son envie de se lancer dans des audaces formelles, mais il ne franchit pas le cap. Il tergiverse. Du coup son style est comme atrophié. Et il n'est pas sobre non plus, comme enlisé dans le marais poitevin, pas très loin.

 

F. Bégaudeau est sympatoche, brillant, éloquent. Mais il n'est pas (encore) l'écrivain qu'il doit rêver de devenir, ce me semble.

 


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11 janvier 2011 2 11 /01 /janvier /2011 09:00

221007_Ne-touchez-pas-la-hache.jpg Je me permets de suggérer à tout lecteur passionné de conserver, dans sa file d'attente de futures lectures, quelques "classiques". Particulièrement de petits romans comme des intermèdes délicieux, des gourmandises rares que le diabétique se permet de temps en temps, car il est sain que le corps exulte.

 

Il est vrai que lire un passage de Mme de Lafayette entre deux productions contemporaines, c'est comme se permettre une omelette aux truffes entre le morceau de bon pâté nourissant et la Dinde. Je ne parle pas des boîtes de Ravioli... Personne n'est tenu de lire Christine Angot.

 

Il y a cette emphase, sur le fond et la forme, aujourd'hui obsolète ; cette richesse de la langue, dont j'avoue être mélancolique. Il y a cette manière abandonnée par la Post modernité, d'évoluer sans cesse du particulier au général, de prendre des exemples pour en tirer des vérités définitives sur "la" nature humaine, "la" Femme, etc... Ce sont parfois des bêtises, mais brillantes.

 

Par exemple, dans "La Duchesse de Langeais",  récit romantique que je viens de lire, Balzac décrit les sentiments de l'amoureux transi de la Duchesse, Armand. Et tout d'un coup l'auteur nous affirme, sentencieusement : "Mais il n'y a point de petits sentiments pour le coeur ; il  grandit tout ; il met dans les mêmes balances la chute d'un Empire de quatorze ans et la chute d'un gant de femme, et presque toujours le gant y pèse plus que l'Empire". Cela ne s'ose plus, car voyez-vous, on est revenu de tout. Et vous ne trouvez cette grandiloquence que dans les "classiques", ou les néos classiques ("Aurélien" d'Aragon, qui certes date un peu, me paraît un néo classique).

 

C'est dans le domaine psychologique que les classiques sont bien sûr indépassables. Stendhal évidemment. J'aime Lucien Leuwen particulièrement.  Stendhal, dans plusieurs de ses livres, nous offre une analyse psychologique merveilleuse de membres de ces générations perdues, nés après les tumultes révolutionnaires et napoléoniens.

 

Comment s'expliquer cette retenue de la littérature contemporaine pour la psychologie, au profit d'une écriture plus comportementaliste ? Se contentant de nous expliquer ce qui se produit, se perçoit. Est-ce parce que la psychologie, depuis le dix-neuvième siècle, s'est autonomisée en tant que discipline ? Je ne sais pas. Si vous avez un avis sur la question, je suis tout à fait preneur.

 

De même, cette écriture omnisciente, disséquant les personnages, a été abandonnée au profit de l'écriture du type "flux de pensée". Ou d'une écriture minimaliste. Ou encore d'une écriture impressionniste. C'est comme si l'écrivain ne s'arrogeait plus tous les droits sur ses personnages, car il ne se permet plus de penser la réalité sans d'infinies précautions.

 

La Duchesse de Langeais, écrite par un Balzac alors légitimiste (c'est à dire royaliste tendance dure), exprime toute sa déception envers une aristocratie qui n'est pas à la hauteur de l'Histoire de France. Une déception amoureuse en a convaincu Balzac. Langeais est une coquette. Une petite manipulatrice, même pas perverse, qui joue avec le feu, jusqu'à s'y brûler tout entière. Une tête légère comme la classe à laquelle elle appartient, confinée dans le Faubourg Saint-Germain, dont elle est un des joyaux. Balzac n'a pas compris que la décadence de la Noblesse était irréversible. Que la Révolution n'était pas un accident. Ce roman est donc une curiosité : l'expression du dépit d'un écrivain impitoyable avec les Nobles, car il en attend beaucoup, il en espère un renouveau. Les "classiques" regorgent de ces curiosités, et nous révèlent ainsi la richesse infinie du passé.

 

Le roman décrit l'évolution des sentiments d'Antoinette de Langeais et du Général Armand de Montriveau avec une profondeur qui aujourd'hui, ne tente plus les écrivains. Vous ne la retrouverez plus qu'en costume d'époque. Stockez donc quelques "classiques¨, même si vous êtes aspirés par la compréhension de votre époque.

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29 décembre 2010 3 29 /12 /décembre /2010 18:00

J'hésitais à lire Mario Vargas Llosa. Ses prises de position sur l'Amérique Latine ne m'ont jamais enchanté. Et puis j'avais essayé de lire en espagnol "Los cachorros" (les chiots) et ça m'avait déprimé (mon niveau en castillan, pas le livre).
vargasllosa.jpg Pour mon récent anniversaire, un couple d'amis m'a offert "La fête au bouc". Je viens de le lire. C'est un livre extraordinaire. Si tout Vargas Llosa est de cette facture, je comprends aisément qu'il ait reçu le Nobel.

Le roman évoque, manifestement avec un grand souci d'exactitude, la Dictature trentenaire de l'infâme "Général" Trujillo en République Dominicaine.

Une avocate de très haut niveau, dominicaine vivant aux Etats-Unis, revient à Saint-Domingue revoir son père et sa famille qu'elle a quittés à l'adolescence, les laissant sans nouvelles depuis des décennies. Son départ de l'Ile a eu lieu quelques jours avant la liquidation de Trujillo par un petit groupe de révoltés en 1961. On comprend vite que ce n'est pas un hasard.

Vargas Llosa construit un roman subtil comme une cathédrale, où l'on va suivre des fils parallèles : les derniers jours du Dictateur, dans son intimité ; l'attente des justiciers qui lui tendent une embuscade et leur devenir après l'attentat ; et les souvenirs de l'avocate - fille d'un proche du Dictateur, désormais grabataire.

Dans ce roman, on comprend beaucoup du fonctionnement d'une Dictature et de la mentalité d'un Despote. Le Dictateur tient chacun dans le doute et l'insécurité, allant jusqu'à mettre en quarantaine des collaborateurs pour éprouver leur fidélité. Il est avant tout un misanthrope, attentif aux faiblesses de chacun, qu'il utilise. Il est foncièrement paranoïaque. Il est condamné à sombrer, un jour ou l'autre, et il est radicalement seul. Il fabrique inéluctablement ses propres ennemis, et d'ailleurs les conjurés sont tous des enfants du Trujillisme. Le livre nous renseigne aussi sur cette confusion, parfois complexe, entre le public, le patrimonial et le familial, propre à tous les régimes autoritaires.
stdomingue.jpg On approche aussi la dimension sexuelle inhérente au pouvoir. Trujillo est un "bouc" au sens le plus large. Affirmer son pouvoir, le perpétuer, c'est consolider sa virilité déclinante. Trujillo souffre de la Prostate et d'énurésie, ce qui dans son cas accentue sa folie perverse.

Comment décide t-on de se révolter ? Tout simplement parce que se taire devient insupportable. Et pour l'idée même de la liberté, si fortement ancrée en nous, certains sont prêts à tous les sacrifices. Sans se poser outre mesure des questions, d'ailleurs. Il est difficile de combattre, non seulement face au risque, mais aussi parce que le système de domination vous aspire de l'intérieur. L'état normal du monde en ce temps là sur cette moitié d'île, c'est la Dictature. Et il est difficile de s'insurger contre le Réel. Le Rationnel c'est le Réel. Hegel...

On parle souvent des deux grands totalitarismes du siècle passé : nazisme et stalinisme. Mais on mésestime (ce n'est pas innocent) le caractère violent, inhumain, d'autres expériences tyranniques de notre histoire contemporaine. L'Amérique du Sud en a eu son lot, Vargas Llosa nous le rappelle crûment. Et les âmes sensibles pourront s'abstenir de ces pages où l'on torture au delà de l'imaginable, même quand la victime a déjà parlé. Les sadiques, les psychopathes, sont des experts indispensables à toute Dictature.

Le style de Vargas Llosa est éminemment classique. Limpide, dense. Sans aucune affectation. Mais ce qui m'a le plus frappé, c'est le génie de la construction de ce roman. Un livre bâti sur une alternance adroitement distillée entre le présent et les passés. Comme si le passé, justement, n'était pas passé.

Et c'est bien cela que l'on comprend tout à fait à la fin du livre. Uranita (l'avocate) considère à un moment qu'il y a dans le Saint-Domingue d'aujourd'hui quelque chose qui "flotte", venu de l'ère Trujillo. Ce qui flotte, c'est que les gens sont finalement les mêmes. Dans des conditions similaires, ils se comporteraient comme autrefois. Des affidés, des courtisans, quelques sadiques embrigadés, quelques résistants et quelques courageux pour les aider. Et des filous, comme le "Président Balaguer", un acrobate politique inamovible à son poste, sous Trujillo et après. Avec le soutien bienveillant de l'ami américain.

Une société s'arrange pour oublier, pour fermer les yeux, pour se contredire. Ceci afin, simplement, de continuer à vivre. Mais elle passe d'un régime à l'autre comme une somnambule.

Cette respiration romanesque, cette efficacité de la construction au service d'une idée au coeur du roman, on la retrouve par exemple dans "Purge" de Sofia Oksanen, roman au succès mérité cette année, et dont certains thèmes sont d'ailleurs proches de ceux de "la fête au bouc" (la transition politique, la torture, le poids du passé qu'il faut "purger").

oksasen.jpg Et je crois que c'est ce qui est pour moi le plus fascinant dans un roman (moi qui ai toujours sué pour bâtir un plan de dissertation). Parvenir à se projeter dans un déroulé cohérent, parlant en lui-même, indissociable de l'objet même du roman, avant de jeter des mots sur le papier. Et s'y tenir. C'est là un talent enviable. Et je pense ici à l'"envie" comme pêché capital.
 


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8 décembre 2010 3 08 /12 /décembre /2010 21:56

Bret Easton Ellis est très tendance. Il passe au "Grand Journal" de Canal + où la crème de la branchouille le reçoit avec vénération. Il est à la Une des INROCKS et en plus il vend bien ses livres.

Il y a de quoi se méfier d'un type pareil.

La plupart des gens qui en parlent semblent se le figurer comme un fêtard un peu cynique, nihiliste. Genre F. Beigbeder qui d'ailleurs crie qu'il l'admire. Et ne lui rend pas service.

J'ai eu la chance de lire cet auteur assez tôt, à un moment où on le découvrait en France. J'avais lu quelque part une critique d'American Psycho, son oeuvre phare, unique en son genre. Plus tard, tombant par hasard sur l'édition de poche, je me remémorai cet article qui m'avait frappé, et je découvris un écrivain que je n'allais plus lâcher. J'ai lu American Psycho au début des années 90 et je m'en souviens très précisément, ce qui pour moi est très rare. Je l'ai offert, conseillé larga manu. En général, les filles cessent de lire vers la page 120, quand le roman adopte un tournant franchement Gore.

Puis j'ai acheté les précédents ouvrages, en poche ("Moins que zéro", "Les lois de l'attraction") et j'ai toujours pisté ses rares publications, toutes passionnantes. "Lunar Park" publié vers 2004 me semble un joyau très audacieux, d'une grande créativité.

Qu'est-ce qui est si saisissant chez cet auteur ? Rien de bien explicite.

Ce ne sont ni les sujets traités, ni le style, d'ailleurs évolutif, souvent minimaliste.

En me replongeant dans mes souvenirs de lecture, il me semble qu'Ellis creuse le même filon : celui du profond malaise, pour l'être humain, à se retrouver au milieu des autres.

Le personnage principal d'American Psycho est un sociopathe sadique.

Dans "Moins que zéro" et "Les lois de l'attraction" on s'ennuie ensemble et avec la drogue on le supporte mieux.

Dans "Zombies" autrui incarne la mort. A travers le Vampire, partout présent.

Dans "Glamorama", la vie mondaine est si intenable qu'elle décompense en explosions et actes terroristes. Dans "Lunar Park", la famille est la maison de l'horreur, malgré l'amour. Et dans le récent "Suites impériales", le mal se cache sournoisement derrière toute rencontre.

 

Chacun est sans substance. L'autre est l'angoisse. Radicalement.

On pourrait affirmer qu'Ellis réhabilite le roman existentialiste.

L'altérité, Ellis en souffre. On le comprend. Et il le dit magnifiquement à travers des paraboles romancées.

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6 décembre 2010 1 06 /12 /décembre /2010 21:54

Si le fameux livre sur la comédie d'Aristote n'est jamais parvenu jusqu'à nous (cf "le nom de la Rose" d'Umberto Eco qui fantasme à ce sujet), le rire, par essence subversif, est partout dans la littérature.

Il est difficile de déclencher le rire par l'écriture, excepté à ses dépens. Car le rire a partie liée avec l'art de jouer du rythme, des contrastes, du fracas des images. Et c'est pourquoi le rire a trouvé ses meilleurs vecteurs dans le Cinéma ou la Bande Dessinée (je me souviens d'avoir ri tout seul comme une hyène en lisant Gaston Lagaffe, particulièrement lorsqu'il s'agissait des malheurs du type venu signer les contrats et qui repartait fumasse avec une bosse ou ses habits déchiquetés).

Les belles oeuvres qui font rire sont donc des prouesses. Et comme un lac n'est que plus beau lorsqu'on souffre à l'atteindre, le rire est d'autant plus appréciable que la lecture demande concentration.

Voici donc quelques livres à lire pour rire :

- Ubu Roi d'Alfred Jarry. La pièce potache, écrite il y a un siècle, recèle une portée comique inentamée. Et des pères Ubus, on en voit partout. Vous en connaissez et êtes à portée de leurs crochets.

- Les romans "policiers" du prolifique Donald Westlake. En particulier ceux dont le héros est Dorthmunder, voyou sans ambition mais filou. Sorte de petit fonctionnaire du banditisme, entouré de tire-laines encore plus dérisoires et drôles. Je vous conseille âprement "Mauvaises nouvelles", farce policière loufoque, où des petits malins essaient de tricher pour capter l'héritage d'une tribu indienne dont la lignée s'éteint.

- "O dingos, o châteaux" de Jean-Patrick Manchette, regretté admirateur de feu Westalke. Dans ce petit roman policier provincial, le père du nouveau roman noir français s'amuse à torturer de vieux Affranchis imbéciles en les lançant dans une traque malchanceuse en pleine France profonde, à la recherche d'une femme.

- Les romans de David Lodge. Rire sage mais rire tout de même.

- Don Quichotte, de Cervantès. Véritablement drôle. Le premier roman moderne est un roman comique.

 

Dans les romans russes, il y a de belles échappées comiques, acides et cruelles. Je pense aux "possédés" de Dostoïevski où l'on se gausse de ce baltringue de Fedor Fedorovitch, toujours à pleurnicher. Je pense à Gogol, à Tchekhov, ou encore à "Oblomov" de Gontcharov, qui narre le parcours d'un fainéant irrémédiable. Le "Maître et Marguerite" de Boulgakov, qui raconte les amusements de Satan dans la Moscou  stalinienne, a ses vertus comiques. Mais ce rire russe est grinçant et s'inscrit dans une perspective sombre et dramatique. C'est le rire nerveux du dépressif, qui se défend comme il peut.

 

... Et si je n'en retenais qu'un, ce serait "La conjuration des imbéciles" de Kennedy Toole, étoile filante de la littérature. Ce roman est hilarant de bout en bout, avec des passages irrésistibles. Il nous conte les agitations picaresques d'un érudit, inadapté social, goinfre, outrecuidant et emphatique, qui se heurte sans cesse à ses contemporains. C'est sans doute le livre le plus drôle qu'il m'ait été donné de lire. On le voit souvent sur les piles de livres de poche des librairies. Mais on devrait l'entourer de néons.

A vous de rire, d'en lire.


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1 décembre 2010 3 01 /12 /décembre /2010 11:18

  Yannick, lecteur de ce Blog, m'a envoyé un mail pour me dire combien il avait été secoué par la lecture de "la Route" de Cormac Mc Carthy. Ce fut aussi mon cas, et  maints lecteurs de ce roman en garderont le souvenir d'une expérience unique.

 

"La Route", roman court, sans fioritures, d'une grande ampleur métaphysique, reste une des oeuvres les plus marquantes de ce début de siècle.

 

Mon correspondant incline plutôt pour une lecture politique de "la Route". La référence écologique et l'analogie avec le sort des sans domicile fixe ont mobilisé son attention.

 

Cette lecture est légitime, mais il y a d'autres niveaux de compréhension de ce roman. Et c'est une des qualités qui caractérise d'ailleurs tout grand roman. On peut lire "Guerre et Paix" comme une oeuvre sur la guerre napoléonienne, comme une étude psychologique des jeunes aristocrates russes en attente fébrile de mariage, ou encore comme l'histoire de jeunes hommes en proie au doute sur le sens de leur vie, et qui cherchent l'issue dans l'héroïsme et la confrontation à la mort.

 

Nous pouvons donc lire et relire ces romans majeurs, à différents âges de notre vie, et les rédécouvrir. Ce n'est pas mon cas : je suis trop curieux d'aller voir ailleurs.

 

Pour ma part, j'ai une autre lecture de la "Route". C'est un roman sur la condition humaine et le sens que lui confère la filiation. Cela mon ami Yannick l'a ressenti aussi. Mais en ce qui me concerne, c'est Sigmund Freud que j'ai rencontré sur "la Route". Le Freud préoccupé par la part d'ombre en chacun de nous. Le Freud de "Malaise dans la civilisation (ou la culture selon les traductions)".

 

Dans certaines conditions, que Freud voyait se mettre en place avant la catastrophe du nazisme, l'homme peut se tourner, sans aucune limites, vers la pulsion de mort. Et devenir plus cruel que le plus sauvage des animaux. Freud n'était pas rousseauiste. Il était frappé par la permanence de la cruauté dans l'histoire de l'humanité, et pensait que les barrières nous en protégeant étaient bien minces et devaient être entretenues, telles des digues fragiles, par le travail culturel.

 

"La Route" décrit un univers dans lequel plus rien ne s'oppose à cette part d'ombre. La nécessité de survie, seule activité possible, fonde tous les comportements imaginables.  

.

Un autre roman, incroyable, de Mc Carthy, s'intitule "Méridien de sang". Il décrit le périple dense et sanglant d'un jeune cow-boy au temps du "far ouest".  A une époque où l'Etat n'avait pas encore installé son "monopole de la violence légitime". Comme une parabole de l'Histoire. Les hommes se croisent, s'allient pour survivre, se retournent les uns contre les autres, se massacrent et se violent. Et cherchent l'apaisement dans l'orgie. Sans normes et sans institutions pour les répandre et les faire respecter, les êtres humains plongent dans la folie meutrière. Ce livre est une illustration parfaite de l'argumentation de Freud dans 'malaise dans la civilisation".

 

Mais Freud n'a jamais dit que l'humanité était condamnée à la violence. Et le dénouement de "la route" nous en persuade. L'altruisme, le sentiment de solidarité humaine peut survivre et s'exprimer dans les pires conditions.

 

On rejoint alors le prisme écologique de mon correspondant Yannick. Dévaster la planète, c'est avant tout plonger l'humanité dans la régression. C'est menacer la civilisation, ce difficile et long chemin que nos aînés ont emprunté. Yannick est sans doute de ces écologistes préoccupés par le sort de la société, et non d'abord par le droit des animaux ou des pierres.

 

Mac Carthy a écrit '"la Route" à 70 ans. L'âge où l'on doit se reconcentrer, sans doute, sur l'essentiel.  D'où le caractère épuré de ce roman. Et il nous montre que si la condition humaine a un sens, c'est de continuer. De transmettre. De préparer l'avenir. C'est comme si l'auteur nous disait : "ne vous posez pas de questions, préparez la suite". Et cela vous suffira bien.

 

On peut aussi refermer ce livre sur une note métaphysique. La recherche de l'immortalité est absurde. Il faut accepter la mort. La vie se définit comme la lutte incessante pour se prolonger, y compris par l'enfantement, mais la mort l'emporte. Si elle n'était pas là, au bout, une vie n'aurait aucun sens.

 

Décidément, la vie est bien faite.

 

 

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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