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29 mai 2011 7 29 /05 /mai /2011 08:43

 

435px-combat_de_chevaliers_.jpg Il y aurait tant à écrire sur les chemins qui nous mènent à un livre. Ce serait cartographier un monde intérieur.

 

Pour le dernier livre que j'ai lu, qui date des années 70, "Argiles et cendres"(tome 1) de Zoe Oldenbourg, c'est... François Mitterrand lui-même (et oui, rien que ça !) qui m'a donné l'idée. Je regardais sur le site de l'INA un "Apostrophes" exclusivement consacré à celui qui était alors seulement chef du Parti Socialiste. Il y parlait de ses lectures, de son rapport à l'écriture, avec ce charme irrésistible qui le caractérisait. Bernard Pivot, loin d'être un homme de gauche, était hypnotisé. Et les Critiques chargés de l'interroger, parmi lesquels quelques réactionnaires, étonnaient par leur déférence et leur incapacité à masquer leur admiration.

 

A un moment de l'émission, Mitterrand explique tel un oenologue qu'il y a "des livres de rencontre", c'est à dire de belles surprises. Et il cite l'exemple récent d'"Argile et cendres". Je me suis alors souvenu du "Bûcher de Montségur", que j'avais lu il y a vingt ans dans cette collection superbe : "les journées qui ont fait la France" chez Gallimard. Collection qui ne me déçoit jamais. Cet ouvrage d'histoire m'avait beaucoup plu par sa densité simple. Mais je n'avais pas goûté aux oeuvres littéraires de Mme Oldenbourg. Chose désormais réparée grâce à la suggestion du grand homme. Merci Monsieur le Président.

 

Le roman médiéval n'est pas un genre particulièrement prisé par les meilleurs talents littéraires. Souvent, il s'agit de dépayser un Polar ou de creuser la veine fantastique, quand on ne sombre pas dans le roman dit "historique", forme d'exotisme sans grand intérêt.

 

"Argile et cendres" n'est pas de ce bois là. Il s'agit d'une chronique familiale ambitieuse, réaliste et rigoureuse, appuyée sur une parfaite connaissance du Moyen-âge, et qui ne sombre jamais dans l'anachronisme.

 

On y évoque la vie quotidienne et les pensées d'un couple de petits seigneurs du douzième siècle en terre de Champagne. On y suit les faits et pensées intimes d'Ansiau et d'Aalais, mariés dès l'adolescence, de leurs proches et de leurs enfants, en un siècle marqué par les croisades.

 

Pour qui veut découvrir l'humanité médiévale sans passer forcément par des travaux universitaires, "Argiles et cendres" est absolument à découvrir. On comprend pourquoi l'historienne a eu besoin de se muer en romancière : c'était indispensable pour entrer dans la pensée des êtres de cette époque, pour explorer leurs espoirs, leurs frayeurs, leurs rêves, leurs représentations. "Argile et Cendres", écrit dans une langue qui flirte parfois avec la poésie, est un roman psychologique avant tout. Un roman qui prend le temps d'installer les personnages et de les fouiller, de restituer leur destin dans le temps long. Et pour ma part je n'avais pas encore lu de telle fresque située dans ce contexte. C'est donc une oeuvre singulière qui mérite le détour.

 

Comment donner un sens à sa vie dans une telle époque ? C'est ce que semblent se demander sans cesse les personnages, petits nobles sans fortune ni relief. Le moindre déplacement est un sacrifice inouï, le danger de mort est omniprésent, la communication est difficile. La religion est omniprésente, mais se mélange grandement à la superstition. Et l'on comprend que les croisades ont d'abord pour motif que les hommes s'ennuient, et qu'ils ont soif de découvrir l'ailleurs.

 

C'est une époque où rien ne semble vraiment cristallisé. La Justice existe certes, mais sans un périmètre vraiment défini ; la violence n'est pas encore monopolisée par la puissance publique, et l'on se protège grâce au système de la seigneurie.

 

La famille est un principe solide, mais à géométrie variable selon les intérêts et les moments.

 

Le raffinement se mêle à la porcherie, les grands sentiments à la légèreté, l'amour courtois à la domination implacable de l'homme sur la femme, les principes moraux les plus fermes aux écarts de comportements.

 

Les gens cherchent un sens à la vie en donnant descendance, et pourtant la mortalité infantile est si forte que l'on ne doit pas trop s'attacher aux enfants, qui naissent nombreux, rivant les femmes à leurs multiples grossesses.

 

L'idée de progrès est totalement absente, à un moment où les découvertes techniques sont peu nombreuses, et l'accumulation d'un capital n'est pas à l'ordre du jour.

 

Dans ce monde culturellement pauvre, où le loisir n'existe pas de manière autonome, le moindre évènement social déclenche de fortes émotions.

 

C'est un monde puritain et où en même temps l'intimité n'existe pas vraiment.

 

Il y est bien difficile de séparer la folie meurtière du comportement courant.

 

L'éducation n'est pas organisée, et pourtant l'enfance ne doit être qu'un très court passage.

 

C'est donc un monde incertain et passionnant, plus complexe qu'il n'y paraît. Un monde froid, rude et obscur, mais illuminé par un regard enchanté, et où autrui peut s'avérer réconfortant et infiniment précieux.

 

Le souci de Zoe Oldenbourg, c'est de nous montrer que ces hommes et femmes, bien qu'ignorants de ce qui se passe au delà de leur région, et dont l'horizon est bien étroit, ont une vie intérieure, sont parfois déchirés, amoureux, confus, déprimés même. Cette Histoire médiévale comporte une dimension subjective qu'il convenait de tirer de l'obscurité. L'auteur y parvient tout à fait.

 

La littérature accomplit ici parfaitement sa mission : nous donner à vivre ce que nous ne pourrions espérer de connaître.

 

Allez-donc vous payer quelques tranches de vie dans un château du douzième siècle.

 


 


 

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25 mai 2011 3 25 /05 /mai /2011 00:00

baba_bobo.jpgLe poète portuguais Fernando Pessoa n'a écrit qu'une seule fiction : un petit dialogue intitulé "Le Banquier anarchiste".

 

Mais quel texte !

Si la poésie est le domaine privilégié des extra-lucides, Pessoa transpose ce rare talent dans cette confession d'un banquier, parue en 1922. Pessoa n'avait sans doute pas idée de la portée de son texte, de ce qu'il entrevoyait.  La marque du génie.

 

Un banquier fortuné explique longuement à un convive comment il est devenu anarchiste. Et pourquoi il l'est plus que jamais, servant la cause au mieux.  La meilleure façon de servir la liberté, selon lui, ce n'est pas l'action collective qui dégénère inéluctablement en tyrannie, c'est bien de se libérer soi-même. En prenant le contrôle de l'argent, le Banquier s'est délivré de toute aliénation sociale. En outre, le Banquier n'a pas rajouté une once d'oppression dans le monde, puisque de toute manière, qu'il devienne personnellement riche ou pas, le système économique est là et bien là.

 

Conclusion : en attendant que chacun se libère individuellement, et qu'ensemble nous puissions détruire l'ordre établi d'un seul coup, il convient de s'occuper de sa propre liberté.

 

L'interprétation classique du "Banquier anarchiste" est qu'il s'agit d'une démonstration par l'absurde de l'hypocrisie bourgeoise, couplée à une dénonciation clairvoyante des risques de tyrannie inhérents à toute révolution...

 

... Oui, c'est cela, mais plus encore. Car ce que Pessoa a perçu avec des décennies d'avance, c'est la capacité du capitalisme à absorber ses contestations, à retourner à son profit les critiques qui lui sont adressées . Le capitalisme est destructeur, mais s'il survit c'est notamment par sa capacité étonnante à se jouer des idéologies, des représentations et des cultures.

 

Quelques décennies après mai 68, on voit nettement comment le capitalisme s'est servi des contestations libertaires d'alors pour asseoir sa prédominance et en finir avec la concurrence du modèle soviétique. A la revendication individualiste il a répondu "banco" ... D'accord pour se délester des vieilles traditions conservatrices si cela permet à la société de consommation de prospérer, d'inventer de nouveaux débouchés sans cesse, des besoins artificiels. Au nom du droit à l'épanouissement de  chacun.

 

Ainsi le capitalisme s'est-il mué en "libéralisme", et à l'imposant bourgeois conservateur à haut de forme a succédé le patron de Virgin : cool, en jeans, arborant cheveux longs, un peu frotté New Age...

 

La solution aux maux de l'humanité serait donc de "se changer soi-même", refrain obsédant de notre époque... L'action collective ne serait qu'un mirage dangereux. Et de fil en aiguille, c'est la politique qui n'a plus de sens. L'économie doit d'ailleurs en être délivrée. Le "marché" libre est ainsi l'aboutissement de l'aspiration libertaire, qui se retrouve totalement dévoyée.

 

En lisant Pessoa on pense facilement à toutes ces pubs qui utilisent Che Guevara ou John Lennon... Qui utilisent sans cesse le mot "révolutionnaire" (comme le patron d'Apple dans les "Guignols')

 

A la fin des années 90, un livre de sociologie majeur , intitulé "Le nouvel esprit du capitalisme" (Luc Boltanski, Eve Chiapello) a très bien décrit cette digestion des idées libertaires par le système économique, afin d'ouvrir de nouveaux champs de développement, mais aussi de dissoudre la contestation qui enflait à la fin des années 60. Tout en s'appropriant le drapeau du "monde libre" : celui où l'on rêve d'aller parce que la vraie vie c'est d'aller au Macdo et d'écouter du rock.

 

L'entreprise a elle-même pleinement intégré les codes libertaires pour théoriser un nouveau management, plus efficace car concordant avec les nouvelles valeurs. Ainsi, l'externalisation a été justifiée par la prise en compte de l'individu, libéré des lourdeurs de la grande organisation. On s'est mis à travailler par "projets"... Et les salariés sont devenus des "partenaires" embauchés au coup par coup. Certains secteurs, comme la pub ou la communication, les NTIC, ont porté ces modèles à l'extrême. On  s'éclate, on se tutoie et on filme des "Lipdub... Mais on y est impitoyable socialement. 

 

Le modèle de l'artiste bohême, voguant de "rencontre en rencontre", guidé par son seul désir, a servi de matrice à la réorganisation de l'entreprise capitaliste flexible.

 

 Le livre de Boltanski/Chiapello, qui je pense a ouvert les yeux de nombreux intellectuels sur les nouveaux visages de l'oppression économique, pourrait être dédié à Fernando Pessoa.

 

La littérature elle-même a su se faire l'écho de ce grand tournant vers le libéralisme libertaire. L'oeuvre de Michel Houellebecq le décrit sous différents aspects.


Bien entendu, le capitalisme est subtil. Il n'a pas abandonné le terrain du conservatisme non plus... il joue sur tous les tableaux. Pendant qu'une partie de ses défenseurs prospèrent sur l'hyper narcissisme et les valeurs d'un désir sans limites, d'autres se consacrent à encadrer les affolés  : il en est ainsi des "Tea parties". L'essentiel est de permettre à l'appropriation des richesses de se perpétuer. La grenouille de bénitier et l'ex baba cool qui a investi se réconcilient pour applaudir les baisses d'impôt.

 

Aujourd'hui, le capitalisme essaie d'agir de même avec la critique écologiste. Les thèmes du "capitalisme vert" sont florissants. Les labels écolos pullulent dans les rayons de nos supermarchés. Le bio est partout. Le marketing écolo s'est généralisé.

 

En ravivant sans cesse le consommateur en chacun de nous, le capital parvient à susciter l'adhésion, ou du moins à anésthésier la révolte.

 

C'est aussi ce qui explique pourquoi, malgré les injustices flagrantes, les inégalités et leur cortège de souffrances, les alternatives ont du mal à être simplement entendues.

 


 


 

 

 

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17 avril 2011 7 17 /04 /avril /2011 08:12

BAL.jpg Je l'ai lue il y a déjà deux ans, mais je ne résiste pas au désir de la partager ici : la Nouvelle explosive écrite par Irène Némirovski, sobrement titrée "Le Bal". Incontournable. Sa lecture me paraît si proche, si précieusement marquante.

 

J'aurais beaucoup à dire sur cet auteur que j'admire profondément. Sur ses oeuvres, sur sa vie, sur ce qu'elle représente, sur sa manière de travailler, sur les circonstances de son heureuse et récente redécouverte. Je l'ai déjà effleurée dans ce blog. Mais j'y reviendrai à travers les oeuvres, et ici je me concentrerai sur ce joyau : "Le Bal".

 

Un court récit qui concentre, en un style classique limpide, l'exposition impitoyable de la bêtise, de la laideur de l'orgueil, de la vulgarité bourgeoise (*), et qui vous en venge, à travers un passage à l'acte définitif, brutal, sans retour. Un bal dévastateur.

 

Un petit récit sévère, cruel même (on s'effraie à y prendre plaisir). Comme l'est manifestement Irène Némirovski dans toute son oeuvre (je n'ai pas tout lu certes, loin s'en faut. Il faut étaler le plaisir, le rédécouvrir à travers les âges). C'est une Nouvelle où l'auteur accomplit par procuration, grâce à une petite fille, une vengeance cinglante. Une purification.

 

C'est bien la narration d'une vengeance parfaite, face à l'humiliation subie par une petite fille. Vengeance qui n'aura pas besoin de mûrir longuement, de couver dans un plan machiavélique. L'occasion, évidente, surviendra. La petite fille s'y adonnera sans retenue, frappant là où ça blesse mortellement.

 

L'histoire est simple. Et comme d'habitude avec les grands écrivains, c'est la simplicité qui dit tout : le rôle crucial de l'orgueil et du regard d'autrui chez l'être humain, l'obsession de la "distinction" (Bourdieu est tout entier là) dans un monde structuré en classes, le talon d'achille de la Honte chez l'individu. Etre libre, c'est de ne point rougir de ce que l'on est, disait Nietzsche. Et bien les bourgeois défigurés par Némirovski ne sont pas libres, malgré leur fortune.

 

Un couple de nouveaux riches, grâce au boursicotage, veut traduire en reconnaissance sociale sa nouvelle situation financière. Il va organiser un bal, afin d'attirer à lui le beau monde parisien. Mais la petite fille de la maison, qui rêve à ce bal pour échapper à la froideur égotique de ses parents - notamment de sa mère hystérisée par cette nouvelle donne sociale - va apprendre qu'elle en sera exclue, afin ne pas gêner l'exercice mondain. Sa fureur en sera biblique.

 

"Le Bal" est certainement un des plus beaux textes littéraires écrits sur l'enfant réel, sur ses faiblesses et sa sensibilité exacerbée, sur son sens de l'injustice et sur la radicalité de sa colère, non encore atrophiée par la discipline éducative et le conformisme.

 

Mme Nemirovski était sans conteste misanthrope et pessimiste. Ce qui l'inclinait d'ailleurs à fréquenter des milieux plutôt conservateurs. Sans plus de conviction que cela. Mais dans tous ses livres, il y a un personnage , un acte parfois isolé - même ambigu - qui traduit une lueur d'espoir, un hommage à la justice. Par exemple le couple d'employés parisiens dans le très grandiose "Suite française", simplement digne dans la débâcle de juin 40. Dans "le bal", c'est l'enfant, qui est le bras de la justice.

 

Pour une femme issue d'une famille et d'un milieu décadent de "russes blancs" exilés, plutôt délaissée dans sa jeunesse, vivant dans le climat malsain des années 30 et subissant la pression montante de l'antisémitisme, l'optimisme n'était certes pas de rigueur.

 

Irène Nemirovski n'appréciait  sans doute pas ses contemporains, tels qu'ils étaient. Mais elle aimait sans doute ce qu'ils pouvaient devenir, parmi tant de potentialités.

 

Une position tenable. Indubitablement.

 

(*) "j'appelle bourgeois quiconque pense bassement" - Flaubert

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13 avril 2011 3 13 /04 /avril /2011 08:00

 

le-cimetiere-de-prague-d-umberto-eco_large.jpg Umberto Eco est sans doute un grand intellectuel. Mais ce n'est pas vraiment un immense romancier. Un bon romancier certes. Un romancier plaisant oui. Mais ce n'est pas un romancier profond. 

 

Chez Eco, j'aime le picaresque, l'érudit terre-à terre, le savant épicurien, le féru de loufoque, l'homme qui pleure ses lectures d'enfance en les sublimant, le "coquin" aussi qui perce sous l'intellectuel. Ou tout simplement l'italien qui parle parfaitement français, avec cet accent merveilleux.  J'aime aussi ses essais, ses chroniques. Ses "Histoires" illustrées de la Beauté et de la Laideur.

 

Il n'est pas un très grand romancier, malheureusement.

"Le nom de la Rose" est son roman, bien entendu, le plus réussi. Je vous conseille aussi de lire le petit texte "Apostille au nom de la Rose" où il explique comment il a écrit ce livre. C'est le plus réussi, car il s'articule autour d'une intrigue solide, et d'une quête philosophique : qu'est-ce que le rire ? Et pourquoi le dogme n'y résiste pas. C'est aussi une histoire policière prenante, une plongée convaincante dans le moyen-âge, l'Inquisition , les hérésies et les ordres monastiques. Et il y a aussi un autre niveau de lecture, peu connu ce me semble : le roman peut être compris comme une parabole sur les "années de plomb" en Italie... où l'on doit se demander à qui profite le crime...

 

Donc, j'aime Umberto Eco. Et je ne manque jamais d'acheter ses romans - même moyens - dès qu'ils sortent (et même avant grâce à Internet). "Le pendule de Foucault", son deuxième récit, est aussi une  belle réussite, plus chaotique. Il traite, déjà, de la question du faux, et de la paranoïa dans l'histoire, en la revisitant  tout en nous promenant du Brésil Vaudou aux manifestations italiennes des années 70.

 

J'ai moins aimé "l'Ile du jour d'avant" publié vers 1995. Je trouve qu'après le début, assez encourageant (il s'agit d'un Siège d'une cité italienne, mais je ne me souviens plus laquelle) on tombe dans une certaine confusion, et les lourdes explications techniques m'ont harassé. Dans "Baudolino" publié vers 2002, où l'on suit quelques personnages médiévaux à la poursuite du royaume mythique du Prêtre Jean, et où l'on s'aperçoit que c'est toujours mieux ailleurs, j'aime l'inventivité et le roman d'apprentissage. Mais tout cela est un peu tiré par les cheveux. On a du mal à y croire.

 

J'ai plus aimé, contrairement aux critiques qui l'ont pulvérisé, "la mystérieuse flamme de la reine Loana" sorti il y a cinq ou six ans. Hommage aux lectures d'enfance, aux histoires de pirates, de grottes, de bandit masqué, de savants maléfiques. Eco y exprime sa nostalgie, et j'y ai retrouvé la mienne : celle des comics Marvel et autres BD.

 

Dans son dernier roman, que je viens de lire : "Le cimetière de Prague", Eco creuse encore le sillon de la théorie du complot, et de la question du faux dans l'Histoire, déjà abordés dans "le pendule..." (je l'ai vu en vrai, le pendule, car il fût décentralisé pendant quelques semaines à la cathédrale St-Etienne de Toulouse il y a une quinzaine d'années. Et c'est vrai que c'est fascinant. Si l'on reste quelques minutes, on voit la Terre tourner).

 

Dans son précédent roman, Eco exprimait sa mélancolie pour les lectures d'enfance. Eco approche les 80 printemps, en pleine forme. Comment ne pas être en proie à la nostalgie ? Et dans "le cimetière..." ce sont ses lectures de pré adolescent qui sont célébrées : Dumas et Sue principalement, le feuilleton 19ème siècle. Un genre abattu par une loi du Second Empire qui obligea les journaux publiant des feuilletons subversifs à payer une taxe insoutenable (Sue finira exilé, miséreux, diffamé, après avoir été le roi des Dandys parisiens. Un Dandy... socialiste, fidèle à ses idées jusqu'au bout - voir l'excellente et méconnue biographie du non moins excellent Jean-Louis Bory).

 

La référence de ce nouveau roman, c'est clairement "les mystères de Paris". Et nous avons ainsi droit à des illustrations savamment distillées tout au long des chapitres.

 

Le roman est tout aussi foisonnant que ses prédécesseurs. Et évidemment c'est plaisant. On passe un bon moment, c'est certain. C'est écrit d'une plume brillante, avec cet humour omniprésent qui est la marque de fabrique d'Eco. Mais Eco reste un philosophe et un sémiologue qui se lance dans la littérature. Foncièrement, ce n'est pas un romancier mais un amoureux et un connaisseur sans pareil des romans. Et les descriptions, notamment, sont sommaires. Les personnages restent sans relief, ce qui est mortel pour un roman. Eco est plus à son aise dans le monde des idées. Et c'est sur ce terrain qu'il excelle, y compris dans ses romans.

 

Dans celui-ci, nous allons suivre les souvenirs d'une sacrée ordure. Un fabricant de faux. Un atrabilaire cynique et sans vergogne. Un vendu à toutes les barbouzeries de l'époque, qui n'avaient rien à envier à celles de notre temps.

 

Une manière de revenir aux sources de l'antisémitisme moderne. Le capitaine Simonini - c'est lui le faussaire - est antisémite. Mais ce n'est qu'une expression de sa Haine fondamentale pour tout ce qui est humain. Il déteste les femmes, les prêtres, les ouvriers, les français, les anglais, les maçons, et bien entendu les Juifs. Mais l'antisémitisme, c'est un chemin  court et efficace pour la Haine, qui aime à se partager, et à prospérer.

 

Eco montre bien comment la Haine articule un discours -il le faut bien -. Mais elle ne s'embarrasse ni de cohérence, ni de crédibilité. Et tous les moyens sont bons pour qu'elle s'exprime. Ainsi de la phrase "les juifs sont de plus en plus nombreux"... Phrase destinée à signaler une pseudo invasion, mais pourtant d'une terrible banalité. Car il est normal qu'une communauté quelconque soit plus nombreuse au 19ème siècle que deux mille ans auparavant... La haine est le moteur des développements les plus délirants : on redécouvre ainsi les analyses racialistes écoeurantes et étourdissantes de stupidité qui firent florès à l'époque.

 

Délire, folie et Haine sont liés. Simonini est ainsi porté à la schizophrénie. Et nombre de ses acolytes sont sujets à des pathologies mentales. On entend ainsi parler des prémisses de la psychiatrie moderne. Et on croise le jeune Freud, Charcot.

 

Le roman est aussi intéressant dans la dénonciation de la grossièreté de l'antisémitisme : recours à des faux recyclés sans cesse, instrumentalisation à grosse ficelle pour déserrer l'étau autour de régimes en perdition, comme la russie tsariste.

 

Dans le "cimetière de Prague", les antisémites sont présentés comme ils le méritent : des fripouilles, des détraqués, des pervers, des stipendiés. Et il est intéressant de saisir l'abjection raciste dans sa constance : le sous-titre de la "France juive" de Drumont était déjà : "la France aux français"...

 

J'ai lu qu'en Italie, et un peu aussi en France, on critiquait Eco pour avoir joué dangereusement avec l'antisémitisme. C'est vraiment outrageant et injuste pour l'auteur. Quand on referme ce roman, on ne peut que conclure à la folie de la prétention antisémite, et être porté à se méfier de toute théorie du complot un peu trop élaborée...

 

On a aussi critiqué Eco pour avoir mélangé le vrai et le faux. En effet, il mêle Simonini à des faits réels, il le conduit à cotôyer des êtres qui ont vraiment existé : Garibaldi, Freud, ou encore Dumas. Mais cela, c'est l'objet même du romanesque. Il tire sa matière du réel pour le réinventer et lui faire dire des choses nouvelles. Et puis on ne peut nier que l'Histoire, celle de Garibaldi par exemple, recèle sa part de mystère. Pourquoi le roman ne pourrait-il pas s'y engouffrer ?

 

Certes, à certains moments, sur la fin du roman, Eco mord la ligne jaune. Par exemple quand Eco prête à son personnage principal un rôle central dans l'affaire Dreyfus (il est présenté comme le véritable rédacteur du faux Bordereau qui incrimine le Capitaine Dreyfus). Eco s'amuse, certes. Mais évidemment il nous plonge dans une certaine confusion. On ne s'y retrouve plus entre le faux et le vrai, et l'on est tenté de reprendre un manuel d'histoire pour s'y retrouver un peu. Et finalement, Eco risque de nous inciter à une posture nihiliste, concluant que tout est faux...même si Eco nous avertit en disant d'emblée que Simonini n'a pas existé.

 

Surtout, le reproche que j'émettrais pour ma part est plus littéraire. Il a trait à la faiblesse de l'intrigue. Au bout d'un moment, la bobine du complot se dévide, et on voit arriver à pas bruyants la suite du roman. On sent que Simonini va jouer un rôle sous la Commune, puis Panama, puis l'affaire Dreyfus comme un passage obligé. Pour finir par les "protocoles des Sages de Sion", Faux et ignoble document, mais qui résiste à l'épreuve de la vérité et du temps. 

 

Prévisible et Eco tombe dans l'ornière. La surprise que le feuilleton mystérieux nous promet, n'est plus au rendez-vous. Et c'est en cela qu'Eco déçoit. Ne tient pas la distance.

 

Si Jean-Michel Larqué lisait "le cimetière de prague", il commenterait à juste titre : "c'est téléphoné mon cher Umberto".

 

 

 

 

 

 

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10 avril 2011 7 10 /04 /avril /2011 08:59

 

saint-just-18863065be.jpg Exigeant, sans doute, ce tout petit roman si dense de Pierre Michon : "les Onze"(folio). Surtout le début ; puis après les premières pentes, on est récompensé, comme en montagne. C'est d'ailleurs de "Montagne" qu'il s'agit. Celle de la Révolution Française.

 

Qui aura renâclé à la lecture de Yourcenar ou de Gracq passera sans doute son chemin. Dommage. Il est vrai que le style est sophistiqué, ciselé, sélectif. Il est certain que le texte, pour être compris, suppose une connaissance sérieuse de la période.

 

C'est un projet étrange. Commencé il y a quinze ans, alors que l'auteur regrettait que du bicentenaire on ne retînt que 89. On oublia 93, et la parole de Clémenceau : "la Révolution est un bloc"... Elle est à assumer avec ses furies et ses excès.

 

Car 93 est l'aboutissement logique, nécessaire, de la rupture incommensurable de 89. Si on ne veut pas de rues Robespierre ou St-Just, alors on est plus ou moins émigré à Londres, ou embusqué dans une forêt Vendéenne. N'en déplaise à celui qui a donné le ton de la doctrine officielle sur cette époque, le fielleux François Furet, ex stalinien reconverti en libéral - toujours au service de l'unique Vérité, implacable...

 

Un roman de pur faussaire de génie, puisque tout, ou beaucoup, y est faux. En tout cas les chemins pour arriver à la réalité de cette époque. Mais on doit vérifier tellement on s'y laisse prendre.

 

Michon invente un peintre, François Elie Corentin. Chargé d'une oeuvre de commande, passée à la postérité, chef d'oeuvre d'inspiration vénitienne, conservée au Louvre où elle couvre de son ombre la secondaire Joconde. Ce tableau représente les "Onze" : les membres du Comité de Salut Public sous la dite "Terreur".

 

L'auteur, d'abord, décrit la jeunesse de ce peintre, son ascendance. En quelques pages, fulgurantes, il parvient, par la description de la vie près d'Orléans, à nous faire goûter l'essence de ce temps. Les rapports de classe, la féminité, et la couleur de la France de l'époque.

 

Puis nous retrouvons Corentin à Paris, en 93, peintre au service de la République. On lui passe commande de ce tableau, avec la consigne suivante : insister sur la grandeur de Robespierre et de ses proches dans le Comité, et garder le silence.

 

Car "les Onze", c'est ce me semble, la prescience du rôle que joueront l'art, la représentation, l'image, dans l'histoire contemporaine. Qui a passé la commande ? Les adversaires pour l'instant putatifs de Robespierre, qui ne savent comment la situation peut évoluer. Ils cacheront le tableau, et en changeront la destination politique selon le besoin : il sera utilisé si nécessaire  à la gloire d'un Maximilien vainqueur, si besoin pour dénoncer sa dérive autocratique. Si le passé vous gêne, changez-le tout simplement.

 

Les pages sur le temps de la terreur sont  vibrantes et magnifiques. Elles me paraissent en somme "hégeliennes", comme si chacun - Danton, Desmoulins, Hebert, Robespierre, étaient nécessaires pour que le monde avance. Ils sont ainsi tous sauvés.

 

" Les Onze" constitue aussi et peut-être surtout un hommage au Michelet auteur presque halluciné de l'Histoire de la Révolution Française (j'ai eu la chance d'entendre Denis Podalydès lire du Michelet, un passage sur Danton- dans une Eglise. toulousaine Je m'en souviendrai longtemps). Michon invente même de fausses pages de Michelet, dans sa grande oeuvre, sur Corentin et sur la scène où on lui confie la commande.

 

Roman étrange, oui. Fantasme historique prétexte à recréer une époque à coups de pinceaux rapides. Impressionnant et certes intimidant, Pierre Michon.

 

Pour finir, la lecture de ce livre m'a conduit à ce constat sans doute à discuter : les révolutions, me semble t-il, ne produisent pas de grand courant culturel. Où sont les grands romanciers et les grands peintres de la période révolutionnaire ?

 

Les grands artistes du 19ème viendront après, dans des moments moins épiques. Dans l'amertume des défaites, tel Hugo. Tel Stendhal. Tel Baudelaire. Tel Rimbaud. Plus tard, le surréalisme naîtra sur les ruines de la grande guerre.  Les grandes oeuvres sont sans doute celles d'opposants, de retirés ou repliés, de gens arrivés trop tard. A voir...

 

(p.s : je profite de cette recension sur Robespierre et ses amis pour souhaiter une belle vie de bébé au petit Maximilien qui vient de nous rejoindre)

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6 avril 2011 3 06 /04 /avril /2011 08:25

bonbardement.jpg Avez-vous pris part ou assisté à des scènes réelles de violence ? C'est à vomir.

 

Dans notre société, la violence est partout.

Soit elle est euphémisée, filtrée, banalisée. Le moment culminant en a été la première guerre du Golfe, avec ces images de jeux vidéo qui masquaient la mort de dizaines de milliers de personnes.

Soit elle est obsédante et hypnotique, comme dans la fiction ou dans les images du 11 septembre 2001. Jusqu'à en être esthétisante, comme dans le cinéma d'arts martiaux ou celui de Tarantino. Celui-ci, excédé devant la récurrence des questions reçues sur ce sujet, a coupé court et déclaré un jour : "le cinéma a été inventé pour la violence", et il a (malheureusement  ?) raison. Certains soirs, zappez, et vous ne tomberez que sur des émissions moins de 10, 12, 16 ans. L'image et la violence ont parties liées.

 

Difficile, donc, de s'y retrouver. Qu'est- ce qui est réel, et qu'est ce que le réel, n'est-ce pas Monsieur Kubrik et vos Oranges Mécaniques ? Nos soldats se battent en Afghanistan, depuis de longues années, et qui s'en soucie, sinon pour en faire un sujet de débat géo-politique plus que légitime ? Mais je veux dire  ici : qui prend la mesure de la violence dispensée et subie par ces soldats et les civils ? Personne, sauf les familles et les psychologues qui "gèrent" les suites. Pendant les cantonales, la France était en guerre en Lybie. En guerre. Elle l'est toujours. Vous a t-il semblé que ce sujet ait été central ? Non, et d'ailleurs le Premier Ministre a t-il pris la peine de réunir le Parlement pour acter l'entrée en guerre ?

 

Oui, la violence est partout. Le moindre fait divers ultra-violent est étalé car il fait vendre de la pub et du papier. Mais une fois l'émotion passée, la peur installée -arrière pensées politiques à la clé - qu'en retire t-on ? Rien.

 

C'est encore autre chose que de rencontrer  physiquement la violence. D'être agressé par exemple. Alors la violence prend toute sa dimension, et tout change. Ian Mc Ewan a écrit sur ce thème du retour du réel, un roman admirable : "Samedi". Sur fond de guerre en Irak, un neurochirurgien sceptique va par hasard rencontrer la violence dans les rues de Londres et involontairement la ramener dans sa famille. Et son regard sur le monde ne pourra plus être le même.

 

Je pense que rencontrer la violence, c'est, d'une manière ou d'une autre, ce qui a du arriver à Laurent Mauvignier, un des auteurs français les plus brillants de notre temps. Ce qu'il poursuit de sa plume, c'est la violence humaine. La portée de la violence.

 

Il a d'abord écrit "Dans la foule", récit de la catastrophe du stade du Heysel. A mon sens un des romans français les plus marquants de ce début de siècle.

 

Puis parut "Les Hommes", où à travers un incident de rien du tout, va resurgir toute la violence, enfouie sous le tapis, de la guerre d'Algérie.

 

Je viens de lire un troisième texte où l'auteur continue ce travail. "Ce que j'appelle oubli" est un texte frappant de moins de 100 pages, inspiré par un fait divers récent. En 2009, à Lyon, un homme de 25 ans un peu paumé a saisi une canette de bière dans un supermarché. Parce qu'il avait la gorge sèche, il l'a bue tout de suite. Les vigiles l'ont attrapé, l'ont mené dans la réserve, et l'on lynché, s'entraînant les uns les autres. Le jeune homme est mort, sous le témoignage des caméras de surveillance. Les vigiles ont bien essayé d'expliquer qu'ils ne voulaient pas le tuer, et d'inventer des circonstances atténuantes... Mais la vérité est crûe, l'homme est mort pour une canette de bière.

 

Le fait divers peut servir, on le sait grâce au roman policier, à ouvrir une brêche profonde pour explorer la société. Et Laurent Mauvignier aurait pu foncer dans cette voie, et nous offrir une belle oeuvre de portée sociologique. Ce n'est pas ce qui l'intéresse, même si l'état maladif d'une société où ces drames peuvent survenir est là, en filigrane. Mauvignier, ce qu'il veut comprendre, c'est l'effet de la violence, immédiat et à long terme, sur celui qui la subit et sur ses proches. En cela, même si les styles n'ont rien de semblable, Mauvignier est un cousin du Mc Ewan de "saturday".

 

Mais les deux, en réalité, sont plus politiques qu'il n'y paraît. Mc Ewan dénonce sans slogans un occident déresponsabilisé et indésireux de comprendre l'impact des décisions de ses dirigeants. Mauvignier dévoile la violence inoüie enfouie sous la fausse banalité du quotidien, et qui perce parfois, comme ce jour là dans un centre commercial.

 

" Ce que j'appelle oubli" est, dans la verve des textes publiés par les "Editions de minuit", audacieux sur le plan formel. Il est écrit d'une seule phrase. Comme pour souligner le fatalisme de cet évènement. Sa logique infernale et tragique. Personne ne s'arrête parmi les brutes pour dire : "eh les mecs, qu'est-ce qu'on fout là, on tue un mec pour une cannette, on fout nos vies et nos familles en l'air". Une phrase unique, comme pour montrer aussi ce qui disparaît quand on meurt : une succession ininterrompue de moments et de souvenirs (ce qu'on oublie).

 

L'auteur, quelqu'un supposé connaître la victime, s'adresse non pas à elle mais à son frère. Le récit parle de la manière dont la mort approche, subjectivement. Ce n'est qu'hypothèse, puisque par nature personne ne pourrait nous en fournir le témoignage. La littérature va où personne ne peut jouer le rôle de reporter. Il montre aussi comment la mort d'un homme ne le concerne pas plus que ça, elle est avant tout une atteinte aux survivants, elle ouvre un espace de dialogue entre le défunt et ceux qui restent. Quant aux assassins, ils ne sont pas très intéressants  pour l'auteur. Ils sont saisis par un mécanisme qui ne demandait qu'à se mettre en place. Il en était de même pour les hooligans du Heysel.

 

La mort est absurde, révoltante. Il est inouï qu'on puisse la provoquer. Cette idée, Mauvignier semble disposé à nous l'expliquer sans cesse, et à y consacrer une oeuvre. Déjà magnifique.

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3 avril 2011 7 03 /04 /avril /2011 09:06

 

gauguin.jpg J'ai été si impressionné par ma lecture de "la fête au bouc" de Mario Vargas Llosa ( La fin d'un bouc septuagénaire, vicieux et sanglant, sur fond de merengue ) que j'ai filé m'acheter d'autres épais volumes de l'auteur, dont la matière privilégiée est décidément l'Histoire. La vraie.

 

Dans "Le Paradis... un peu plus loin", l'Histoire, c'est celle de ce 19ème siècle français à la fois sombre, brutal et rayonnant de promesses.

 

Le siècle où la Bourgeoisie, devant la puissance montante de la classe ouvrière, se métamorphose très vite, mutant du statut de force révolutionnaire à celui de classe dominante, vite réconciliée avec l'Eglise à la table de l'ordre établi. 

 

En ce siècle, se lèveront des sémaphores. Des hommes et des femmes en éclaireurs, mais condamnés à l'échec, à l'indignité et à la souffrance, car les conditions ne sont pas encore en place pour le triomphe ou l'influence désisive de leurs idées. Ce qui explique qu'on les qualifiera, à juste titre, d'"infantiles". Des hommes et des femmes luttant pour la liberté, et qui face à la résistance du monde, en seront parfois conduits à imaginer des mirages, des constructions abstraites assez irréalistes. Ces êtres partis en reconnaissance, dans la politique comme dans l'art, et dont nos écoles portent aujourd'hui les noms...

   ... Mais sans ces idées folles, rien n'aurait été possible. Que serait la culture contemporaine sans le renversement des tables de la Loi opéré par les impressionnistes, personnages flirtant avec l'extrême ? Et nos réformistes n'aurait rien accompli sans le sillon tracé par les premiers organisateurs du monde ouvrier, qui dénotent par leurs conceptions de sociétés idéales parfois délirantes...

 

Parmi ces défricheurs coléreux, l'on compte Flora Tristan, révolutionnaire et féministe, et son petit-fils Paul Gauguin, peintre dynamiteur de l'histoire de l'art. Deux révolutionnaires. Deux êtres en quête de l'absolu. Deux aventures à la recherche d'une utopie, d'un paradis... toujours un peu plus loin, qui se dérobe.

FloraTristan_th.jpg Vargas Llosa nous raconte leurs vies, sur la base d'une structure en alternance entre les deux personnages . Deux trajectoires frappantes par leur similitude. Bien que Paul - "Koke" en maori - n'ait jamais connu Florita l'Andalouse.

 

Flora naît au début du siècle, au moment où l'ouragan de la Grande Révolution s'apaise, et Paul meurt à la fin du siècle, au moment où le cycle utopique se clôt. Le temps des guerres et des révolutions va s'ouvrir, mais les réalistes y règneront, ainsi que les prétentions scientifiques à régir le monde.

 

Les vies de Mamie Flora et du petit-fils Gauguin sont abordées au moment où elles entament une dernière phase. Le départ décisif pour la Polynésie en ce qui concerne l'artiste. Le tour de France de Flora Tristan, à la rencontre des travailleurs, pour fonder "l'Unité ouvrière". Cette idée qui resurgira dans la Première Internationale, Association des Travailleurs du monde entier. Leurs buts communs sera, rien de moins, d'établir le bonheur sur terre, et de ne point se contenter de la promesse de la félicité après la vie, sous condition d'accepter son sort dans ce monde.

 

Ceci permet à Vargas Llosa d'investir le monde intérieur de ces deux personnages, de les saisir dans leurs souvenirs et la conscience de leur devenir.

 

Comme dans "la fête au bouc", on peut apprécier de manière éclatante la "plus-value" de l'approche littéraire. Elle permet, au delà du seul récit biographique (le roman est aussi documenté que les plus précises des biographies), de s'immiscer au coeur des subjectivités de Flora et Paul. Elle est le moyen pour l'auteur d'instaurer avec eux un rapport d'intimité, les tutoyant, les interpellant, les questionnant, tout au long du livre.

 

Ce sont des destins flamboyants, mais aussi deux fuites, deux échecs dans la poursuite de l'impossible. Flora se heurte sans cesse à la répression et à la Loi patriarcale, cousue sur mesure pour le riche ; à la peur du salarié sans droit ; à la soumission inscrite dans les âmes ; aux pesanteurs culturelles ; à l'inertie des masses abruties par le travail et l'alcool - et déjà, à l'embourgoisement des chefs ouvriers et à leurs attitudes boutiquières... Elle voit trop loin, trop clair, trop vite.

 

Paul veut retrouver une terre primitive. Il l'espère dans la Bretagne profonde, rêtive à la modernisation. Puis à travers le monde, jusqu'à Thaïti et les  îles Marquises. Mais il est déjà trop tard et la "civilisation" est déjà là. Paul recherche la terre où survit l'âge d'or : là où on pourrait vivre en tendant le bras vers le fruit... et vouer toute sa vie à l'art. Mais c'est impossible, et partout il faut bêcher. Partout on est rattrapé par le réel, par son corps aussi. L'absolu n'est pas de notre monde.

 

Deux vies qui interrogent aussi le caractère ambivalent de la religion. Les deux personnages ayant entretenu des rapports extraordinairement contrastés avec l'institution officielle de l'Absolu. Et il est évident qu'un auteur latino-américain, né sur une terre où l'Eglise fut aux côtés de tous - des massacreurs, des révolutionnaires, des libérateurs, des Dictateurs - ne peut qu'être sensible à cette thématique.

 

Flora dit lutter pour le "vrai christianisme", celui qui est fidèle au message de Jesus. Et cela la rend à la fois sans concession avec le catholicisme de son temps, et candide : car partout où elle passe, elle tente de convaincre, sans succès, et conflit à la clé, les curés du coin.

 

Paul Gauguin oscille entre l'ardeur protestante, la tentation récurrente du retour à un catholicisme idéalisé - par exemple en Bretagne - et à la fascination pour le panthéïsme primitif, qu'il ne trouvera pas dans les forêts autour de Papeete.

 

Mais les deux sont insultés par l'Eglise et  traqués par l'appareil de répression au services des bonnes moeurs, car aussi scandaleux l'un que l'autre : Flora par son projet politique et sa vie libre bien que marquée par le puritanisme hérité d'un traumatisme. Paul par son mode de vie, par sa fascination étalée pour l'érotisme, censé entrouvrir d'autres plans de perception.

 

L'Eglise triomphera encore un temps des prétentions à la la liberté.

 

A travers le roman, nous rencontrerons d'autres individus à la recherche de l'Absolu. Van Gogh ou St-Simon. Etienne Cabet ou Fourier. Et je ne savais pas, pour ma part, que le socialisme utopique avait autant essaimé dans le pays. Il y avait des cercles fouriéristes ou St-Simoniens dans toutes les villes que Flora a écumées, même à Agen... Engels avait raison : le "socialisme utopique" a bel et bien été une étape - à prendre au sérieux- de la maturation du monde ouvrier. Pas seulement un délire de quelques marginaux.

 

Flora et Paul ont donc été comme ces gens, sur la place Tahir, qui ont pris les devant. Les balles sont pour eux. Ils ne font pas long feu. Ce sont les caractères les plus ardents. Jusqu'à la démesure. Jusqu'à s'immoler.

 

Enfin, comment ne pas être frappé par l'intérêt immense qu'un auteur comme Vargas Llosa voue à la France, à ses provinces, au détail de sa vie politique, à son milieu artistique ?

 

La France a été et reste encore une lumière pour tous ceux qui songent à la liberté. Et il est déplorable de voir qu'on saccage cette vocation unique. Notre pays est bien singulier, et aimer la France c'est assumer cela. Cheminer dans cette continuité serait être fidèle à Flora Tristan et à Paul Gauguin. Qui méritent mieux que leurs seuls noms sur nos établissements recevant du public.

 

 

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27 mars 2011 7 27 /03 /mars /2011 09:07

 

  grizzly.jpg Ces jours ci, on reçoit le monde en pleine figure. Sans cesse. Comme hypnotisés par l'horreur inconcevable venue du Japon et de Lybie. Il en est ainsi dans notre village planétaire.

 

La solitude, le retrait du monde, la "déconnexion" - ce n'est pas un hasard - sont revenus comme des thèmes importants du cinéma ("Into the Wild" de Sean Penn par exemple) mais aussi de la littérature : "la route" de Mc Carthy, plus récemment "Les chaussures italiennes" d'Henning Mankell. La retraite dans les recoins du monde, toutes lucarnes bouchées, constitue t-elle la dernière étrangeté ? Et une tentation. Robinson est de retour.

 

"Sukkwan Island" de David Vann est l'histoire d'un homme et de son fils de treize ans, qui décident, à la demande du père, d'aller vivre  quelque temps dans une île perdue de l'Alaska, sans âme qui vive. Un milieu isolé, hostile, dangereux, franchement "roots"... On comprend vite que le père, Jim, manifestement très dépressif, essaie de rebondir après des échecs successifs, en se rapprochant d'un fils qu'il connaît mal.

 

Une trame toute simple, servie par une écriture très sobre mais précise, "manuelle" même (car il faut être sacrément débrouillard de ses mains pour survivre dans cette île. Moi, je tiens pas une semaine. Je laisse le sac de nourritures ouvert et je finis dévoré par un ours).

 

Dès le début on pressent que "ça va mal finir". Mais on ne sait pas comment (comme dans "le projet Blair Witch"...) et l'angoisse s'installe, efficace. Le pressentiment se vérifiera, mais ce récit nous saisira avec un art du contrepied inédit, digne de Maradona... "Sukkwan Island" est tout simplement déroutant.

 

En nous transportant en Alaska face à la nature, là où nous pouvons nous dépouiller de l'anecdotique, David Vann nous confronte, en héritier légitime de Cormac Mac Carthy, à des questions essentielles : la nature ambigue de la filiation/paternité, le mystère du suicide et du passage à l'acte, la vulnérabilité de l'être humain face à la culpabilité, la dureté de la vie qui affleure sous les fins oripeaux de la civlisation.

 

L'Alaska, c'est l'insondable en nous.

 

Tout cela avec une maîtrise et un dépouillement qui laissent pantois quand on pense qu'il s'agit du premier roman de David Vann , jeune auteur américain qui a reçu le Médicis du roman étranger pour cette oeuvre marquante.

 

Un grand auteur est peut-être apparu.

A ne pas manquer mes amis !


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23 mars 2011 3 23 /03 /mars /2011 08:16

areva-nucleaire-ludovic_large.jpg

Je n'aurais pas pu trouver de lecture plus à propos que ce premier roman d'Elisabeth Filhol, paru il y a un an chez P.O.L. "La Centrale" évoque le sort de ces milliers de travailleurs français du nucléaire, et plus particulièrement de ces intérimaires qui sillonnent la France pour effectuer, mettant gravement leur santé en péril, la maintenance des Réacteurs. Dans notre beau pays drogué au nucléaire civil.

 

Et l'on est stupéfait par la prescience de ce roman. Ce qui se passe au Japon est pressenti dans ses pages, non pas par des prédictions "à la Nostradamus", mais sous la forme d'une perception tout à fait remarquable de ce que signifie la présence du nucléaire civil pour une société, et que les salariés de la filière ont tout en fait en tête, jusqu'à en être rongés.

 

Ce n'est pas un livre brulôt. Ce n'est pas un livre qui "en fait des tonnes". Il est parfaitement contenu. Mais c'est justement dans cette contention qu'on ressent tout un potentiel immense de danger. L'inconcevable est souligné, en creux, par ces descriptions anxiogènes. Par exemple celles qui montrent ces chapes de béton entourées d'un calme anormal, surmontées d'un petit chapelet de vapeur, et dans lesquelles s'engouffrent des hommes parfaitement conscients de ce qui se joue, et subissant une violence psychique qui est mise en parralèle, avec habileté littéraire, avec la fission de l'atome.

 

A travers des descriptions habiles et documentées (l'auteur a une formation industrielle) de ce que vivent les intérimaires dédiés à la maintenance (notamment de ces fameuses piscines à refroidissement de combustible), c'est toute une France biberonnée à l'atomique qui est interrogée.

 

Le sort de ces salariés est sidérant... Je concède que si je savais que "l'externalisation" avait aussi touché ce secteur, je n'en touchais pas du doigt tout le sens. C'est ce que permet l'approche littéraire, incomparablement, par l'identification aux personnages.

 

Nous les suivons d'une centrale à une autre, de Chinon au Blayais. En se mettant constamment en danger, les yeux rivés sur leur dosimètre, ils fournissent à notre pays 80 % de son électricité. La moindre défaillance de détail peut entraîner des conséquences incalculables. La moindre perte de temps induit une augmentation de la dose de radiation inéluctablement absorbée et si l'on approche le seuil maximum annuel, on ne peut plus travailler jusqu'à l'année prochaine. On reste dans sa caravane à attendre le retour des copains.  

 

Le nucléaire organise une sorte de solidarité morbide dans un collectif de travail, puisqu'il s'agit lors d'une intervention de se partager une "dose collectivement admissible". Si l'un craque et sort, les autres seront plus exposés. Cette situation rapproche les salariés qui savent ce que le collègue subit, mais les sépare en même temps, inexorablement. Une surexposition, qui peut arriver très fortuitement, par exemple en entrant en contact avec une petite pièce de métal égarée, peut vous mettre directement dans le rouge pour l'année, avec des effets sanitaires immédiats (on prend cinq ans d'un coup).

 

Tout cela pour des clopinettes, sans aucune garantie d'avenir, dans l'obligation de traverser la France sans cesse, de louer un mobil-home à plusieurs mecs (presque pas de femmes) sur un terrain de ciment glauque. Tandis qu'Areva et EDF prospèrent.

 

Pas besoin de slogans... On sort de ce livre convaincu de la nécessité, d'une manière ou d'une autre, de débarasser l'humanité de cette alchimie d'acrobate suicidaire. Un passage, parfaitement neutre et clinique, sur le déroulement diaboliquement banal de la catastrophe de Tchernobyl, y suffit presque à lui-même.

 

Elisabeth Filhol illustre admirablement ce courant renaissant d'une littérature "matérialiste" au sens philosophique et non culturel du terme, qui comprend que la vie des hommes se joue dans leur rapport au monde, et notamment à la production, mais sans sombrer dans un didactisme grossier, tel que les staliniens l'avaient théorisé. Un réalisme moderne, intelligent, ayant tiré les leçons du passé.

 

Loin de l'auto-fiction onaniste donc, dans le souci de l'homme réel, à travers ses conditions de survie contemporaines, différentes de celles de "Germinal" mais parfois aussi dures et de plus pernicieuses. Dans ce blog, nous avons déjà rencontré une autre représentante de cette verve littéraire qui s'exprime heureusement, lorsque nous avons évoqué "Naissance d'un pont" de Maylis de Kerangal  Working heroes

 

Une littérature à la conquête du réel. Providentielle.

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16 mars 2011 3 16 /03 /mars /2011 08:05

 

 

montpellier_place.jpg

Encensé par la critique branchouille, voici un roman du dit "prometteur" Pierric Bailly, intitulé "Michael Jackson"(P.O.L), alors qu'il n' y est nullement sujet du roi de la pop.

 

Michael Jackson n'est cité que pour le symbole qu'offre sa mort. La fin d'une période. La fin de la jeunesse. Celle des deux personnages principaux du roman, Luc et Maud. Trois jeunesses vécues dans des mondes parallèles, à 18, 22, 26 ans. Toujours à Montpellier. Des personnages falôts qu'on va suivre pas à pas dans les rues de cette ville, accompagner dans leurs loisirs, leur intimité. Le roman est conçu comme un espèce de journal de de Luc, dont on partage les sentiments, les impressions souvent brutes, et les doutes.

 

Encensé par la critique... Mouais...

 

La jeunesse s'étire, comme celle de MJ et de Peter Pan. Elle est devenue un long tunnel. Elle est sans balises et incertaine. Soit.

 

Mais la jeunesse, si l'on suit Bailly, c'est le nihilisme. Le néant meublé par l'omniprésence de l'alcool et de l'érotisme. Mais un érotisme glauque et déjà fatigué. Un érotisme qui se noie d'emblée dans un porno sordide et cheap. Une jeunesse peuplée de monades, agglutinées à quatre ou cinq dans de petits apparts en ville. Ne se disant pas grand chose. N'ambitionnant pas grand chose. Collés à leurs nombrils. Des jeunes qui s'emmerdent à la fac, qui n'en tirent rien. Pour qui le politique (ne parlons même pas de l'engagement) est comme Pluton sur une carte de la Galaxie. Des jeunes qui ont de quoi se payer à boire, mais on ne sait même pas comment.

 

Ce fut peut-être la jeunesse de Pierric Bailly, mais pas la mienne, tout juste quelques années auparavant. Et pas celle que je connais.

 

Pour moi et tant d'autres, la jeunesse fut certes longue, l'entrée dans l'âge adulte progressive et incertaine. Parfois douloureuse et angoissante tant il est difficile de casser le plafond de verre qui enferme cette jeunesse. Et c'est vrai que les années avançant, on a l'impression de glisser dans un entonnoir, de s'enfoncer dans l'irréversible.

 

Mais ces années universitaires furent illuminées. Elles m'ont élevé. Elles m'ont passionné. Et même si le système ne  m'attirait que des sarcasmes et des critiques, j'en ai tiré tout le profit que je pouvais pour m'affirmer en tant qu'individu. Je ne me souviens pas d'une communauté de monades autistes, mais au contraire d'un temps où l'on est ensemble pour grandir. De solidarité, de fraternité et de rire. De vitalité aussi : quelle richesse !  Moi, j'ai profité de tout ce temps pour expérimenter, pour m'enivrer de choses et d'autres, pour me gorger d'apprentissages, pour penser, pour militer surtout. Et je me souviens que le soir où j'ai fêté mon diplôme, j'avais conscience qu'une page se tournait. Jusque là, je m'étais occupé de moi. J'en avais profité. Même avec pas grand chose sur son compte en banque, c'est une chance magnifique de ne se préoccuper que de soi. On ne la revoit pas passer.

 

"Michael Jackson" de l'étoile montante Pierric Bailly, c'est Bret Easton Ellis sans l'humour, sans le vertige métaphysique. Il n'en reste que les péripéties sans intérêt. De la complaisance pour  l'ivrognerie et le cradingue. La relève présumée de notre littérature qui se vautre dans les travers connus d'une partie de notre cinéma hexagonal.

 

Sans doute aurais-je du plutôt lire une biographie de Michael Jackson, tant qu'à y être. Lui au moins c'était un dieu du funk. Et il nous a fait vibrer. Pour moi, c'était dès mes dix ans.

 

Alors pourquoi les critiques encensent -ils un roman comme celui-ci ?

 

Peut-être parce qu'il est de bon ton de salir notre jeunesse, dans ce pays, même quand on a des idées "avancées". Et l'on est d'autant plus crédible pour le faire qu'on vient de sortir de la jeunesse, qu'on porte une casquette comme Pierric Bailly. La jeunesse n'est jamais à sa place. Elle est "moins bien" qu'en 68, qu'en 86, qu'en 95, que pendant le CPE. Elle est à plaindre ou elle est décevante. Elle est qualifiée de "ridicule" quand elle participe aux nanifestations contre la casse des retraites. Tout ça doit légitimer qu'on la traite comme une loque. Ce qui est son cas... dans le logement, l'emploi, les budgets, les équipements de nos villes, les Partis politiques.

 

Et personne ne s'offusque quand une Ministre de l'Enseignement Supérieur annonce qu'elle va instaurer... une autorisation administrative préalable aux soirées étudiantes et y interdire la distribution gratuite d'alcool !!! Pourquoi pas un Décret sur l'interdiction des mini shorts dans ces soirées, tant qu'on y est ? La jeunesse, turbulente, sert toujours de galop d'essai pour tester la résistance du corps social à des intrusions de plus en plus osées dans nos vies privées, de la part d'un Etat qui cherche à faire oublier son impuissance économique en investissant le bio politique.

 

Pierric Bailly est bien sûr très loin de tout cela. Mais son regard glauque sur la jeunesse est symptomatique de ce que l'on veut imprimer sur cette génération.

 

Pour ma part, je suis un ancien jeune. Un ancien étudiant. J'en éprouve de la nostalgie. Et tout cela n'avait rien de crapoteux. 

 

Bon, sur le coup, je me suis bien fait berner par la critique...

 

 

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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