Mes mille et une nuits à lire
Blog d'un lecteur assidu
L es aphorismes saisis ici ou là de Wittgenstein m'ont fasciné depuis un long moment, car ils me semblaient approcher cette opacité du monde, ce que Sandra Laugier appelle "l'inquiétante étrangeté de l'ordinaire", que l'on ressent inévitablement dès qu'on...
Il est bien difficile d'imaginer écrire une biographie d'un homme qui a surtout consacré sa vie à penser et à écrire, en dehors de ses incursions secrètes dans les délices de la chair. On pense et on écrit d'abord seul. Dans un bureau, sur un canapé ou...
L a collection "raconter la vie", au Seuil, est née je crois me souvenir, d'une idée de Pierre Rosanvallon suite à son grand essai sur la communauté des égaux. Il s'agissait de donner une visibilité à la France invisible. Celle que la littérature oublie,...
Quel livre singulier, comme il en est peu. D’un ton érudit et hyper familier, argotique et grossier, parfois, et assumant l’anachronisme (ce que j’aime bien, ce sont les érudits qui enferment l’Histoire et la philosophie en les préservant de l’anachronisme...
G ame Of Thrones me donne tellement à penser, que j'ai réouvert Norbert Elias , ce génial sociologue de la construction de l'occident qui m'avait tant plu lors de mes chères études. Dans "La société de cour" il montre ce que l'Histoire a de spécieux,...
"Mon temps le plus chrétien, c'est auprès de toi que je l'ai vécu" Colette Peignot, à Georges Bataille. Ce n'est pas un roman de Sade, mais une vraie vie, que raconte Elizabeth Barillé, dans un récit très bien équilibré et fluide, psychologiquement percutant,...
Robert Linhart, l'auteur de l'"Etabli", qui fait sans doute partie des quelques livres qu'on se doit de lire si on s'intéresse au mot "travail", s'est tu à jamais, après avoir trop et mal parlé, en leader maoïste, comme le raconte sa fille dans "le jour...
La mort. Georges Bataille la fréquenta très jeune, lui l'enfant d'un père aveugle et paralytique. Et de deux parents sombrant dans la folie. Elève paresseux et étrange (il s'auto mutile), il a dix sept ans, en 1914, et il découvre que sa vocation est...
C’est un petit évènement dans le petit monde qui lit de la philosophie, plutôt que d’apprendre à parler en public ou à coder. Et il tombe à point, particulièrement en pleine crise des Gilets Jaunes en France, et alors que le printemps arabe rebondit en...
Quand j’étais étudiant en lettres supérieures, il y a fort longtemps, je m’efforçais d’accéder à Nietzsche. Et cela ne m’a jamais quitté. Il est impossible d’être nietzschéen je crois, excepté certains héros, rares. Mais sentir la foudre de sa vérité,...
Annie Lebrun avait fort bien saisi, dans son essai "du trop de réalité", cette censure par la démesure qui caractérise notre époque. Tout étant là, tout le temps, rien ne saurait se créer d'incontrôlé. Désormais elle chemine, encore, en opérant le lien...
J e connaissais Clara Zetkin, notamment parce que je me suis beaucoup intéressé à la figure unique de Rosa Luxembourg, dont elle était l'amie la plus proche (Rosa lui a bien rendu en ayant une liaison secrète avec son fils... Ah l'amour, l'amour, l'amour...)....
C e n'est pas un essai de plus qui entre dans la fameuse querelle de l'art contemporain. Mais un essai pour comprendre. Qu'est ce que l'art contemporain ? Nathalie Heinich a cru autrefois qu'il s'agissait d'un genre. Une catégorie de l'art moderne qui...
"Les œuvres complètes de Sally Mara" est un canular littéraire de Raymond Queneau, qui publia de manière séparée le prétendu journal d'une jeune irlandaise de dix huit ans, et le premier roman de cette jeune fille imaginaire. Les deux textes sont désormais...
(Dans la première partie de l'article - publiée sur le blog - nous avons que les découvertes archéologiques, l'effort d'analyse des textes extra canoniques trouvés il y a quelques décennies, avaient contribué à renouveler le regard d'Historien sur Jésus....
Adorno et Horkeimer, fondateurs de l'Ecole philosophique de Francfort, ont été biberonnés à Marx, mais aussi à Hegel et à Freud. Ils sont d'une génération qui constate la défaite de la révolution socialiste pendant la première moitié du XXème siècle,...
I l est toujours très frappant de constater le décalage temporel entre le monde des idées et celui de la politique (au sens de sphère politique spécialisée). Alors que dans le premier on en est depuis quelques années à discuter de la société d'après le...
Avons-nous besoin d'une telle inflation de lois ? Un déluge de lois. Aujourd'hui un gouvernement ne s'imagine pas sans une activité parlementaire frénétique, des lois, des lois, et encore des lois, agglutinées dans des codes, avec la volonté inexpugnable...
"Je ne suis personne d'important ni ne suis spécialement brillante" Lettre ouverte au premier Ministre Rajoy, en tant que porte parole de la plate forme des victimes des hypothèques, Ada Colau "Articuler des demandes dans lesquelles 90 % de la population...
Antoine Compagnon est un monsieur qui a décidé, d’être « au miyeu », pour reprendre une caricature de François Bayrou. Sa référence c’est Montaigne, d'ailleurs proche d'Henri de Navarre dont l'ancien Ministre se pense la résurrection, donc il incline...
(Suite du premier article sur "les mots et les choses" de Michel Foucault) Du primat de la représentation à celui de l’Histoire : notre modernité Mais un second tournant met fin à l’âge classique. C’est l’Histoire qui devient le principe premier de la...
"La phénoménologie de l'Esprit" de Hegel est un des livres les moins accessibles qui soient mais aussi un des plus influents sur la philosophie moderne (la colonne vertébrale de Marx en particulier). Pour ma part je n'ai pas tenté, j'ai préféré, jeune,...
Sade est fol et génial. Il a le génie des fous (dans son cas au sens où la folie est asociale, nous ne parlons pas de pathologie), dans sa part de lucidité unique (qui n’empêche pas qu’il soit aveugle ailleurs). A un certain degré de lucidité, la vie...
"La tentation de Saint Antoine " est une oeuvre de jeunesse de Flaubert, qui ne laisse pas d'étonner. Elle narre un épisode souvent évoqué par l'art, Bosch par exemple, les hallucinations d'Antoine, érmite chrétien en Egypte, qui vécut au moment où Constantin...
« Flamme, annonce-nous, éclaire-nous, montre-nous le chemin où il n’y a plus de retour » Martin Heidegger, discours lors d’un autodafé, 1933. Promenez-vous dans une librairie au rayon philo. Vous y verrez des livres qui confirment la complicité nazie...
Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).
D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.
Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.
Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk.
Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.
De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».
J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.
Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.
Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…
Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.
Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.
Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.
Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.
J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.
Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.
Jérôme Bonnemaison,
Toulouse.