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24 mars 2017 5 24 /03 /mars /2017 11:47
Monsieur le Président, sortez le droit d'auteur de l'héritage

Dans un mois, les français éliront, aux termes d'une constitution de "salut public" issue de la guerre d'Algérie, reflet d'une société industrielle, horizontale dépassée, un monarque présidentiel, puis, dans l'état actuel de nos institutions (on trouve encore bien de nos concitoyens pour défendre leur cristallisation, au temps d'internet, de l'horizontalité, de l'éducation comme première richesse, du travailleur cognitif...), ils seront aimablement conduits à attendre que la manne providentielle des décisions au plus haut niveau se déverse sur leurs vies et à constater que la "crise politique" continue. Au lieu d'apprendre, difficilement mais nécessairement, à délibérer en citoyens égaux pour résoudre nos problèmes périlleux et complexes, ils pourront toujours regimber, grogner, répondre à des sondages, se laisser enfermer dans la litanie des postures entre majorité et opposition, ou instrumentaliser les élections locales intermédiaires et les détourner de leur objet pour dire leur mécontentement...

 

... Pardon pour cette note grisâtre. Le reste de l'article sera plus positif. Mais il est vrai que pour tout démocrate, le théâtre de cette campagne plus ahurissante que jamais, est plutôt désolant. Comment le nier ?

 

C'est donc le temps des projets et des programmes. Même si chacun sait, au fond, que le programme ne peut que se réaliser dans le présent. Face à la matière même que l'on aborde dans le détail, les interlocuteurs que l'on rencontre, les situations qui surgissent. Ainsi, même le candidat le plus sincère ne saurait, en réalité, respecter son programme. Au grand maximum, une feuille de route. Comme tout être en proie au réel et à des responsabilités. Mais qui nous le dira ? Ce serait sans doute nous angoisser que de dire que "le capitaine verra" et qu'il n'a pas tout prévu de l'avenir.

 

Donc il est temps ici, de dire un mot politique pour la lecture. Lors de la précédente élection, j'ai vérifié, j'avais consacré ce moment à la TVA dans ce blog, aujourd'hui cette question étant pour le moment réglée, je vais émettre un nouveau souhait.

 

En tant que lecteur (et qu'auteur depuis récemment), je me permets de suggérer ici que l'on sorte les droits d'auteur de l'héritage. Je m'adresse à Monsieur le Président, non pas par sexisme, mais au vu des candidats validés à ce jour, et dont la liste est irréversible. Je ne souhaite pas m'adresser à la candidate donnée en tête par les sondages, avec laquelle je n'ai rien à partager, le refus des discriminations étant une question non négociable.

 

Je ne suis pas friand du mécanisme de l'héritage en lui-même parce qu'il me paraît contraire à cette "société des égaux" dont parle Pierre Rosanvallon, socle de toute démocratie. On ne peut pas réduire la démocratie à une procédure électorale. C'est une société. Je pense qu'il devrait être très strictement plafonné ou taxé (ce qui est la même chose). Les travaux de Thomas Piketty, que tout le monde a applaudis, mais qui n'ont pour le moment inspiré aucune politique, montrent que pendant que nous parlons sans cesse dans le débat public de revenu, l'immense partie de l'iceberg des richesses, le patrimoine, est laissé dans l'angle mort de la démocratie. Une société qui appartient à la reproduction du passé n'est pas une société véritablement démocratique. Les données de départ y sont toujours faussées, et comme l'argent va à l'argent, elles le sont de plus en plus.

 

Mais laissons cela de côté. Restons sur le seul cas du livre qui occupe ce blog.

 

Ecrire c'est créer, cela n'appartient qu'au créateur, qui ne contrôle pas la destinée de ses mots, et à son interlocuteur, le lecteur. C'est le lector in fabula qui fera vivre l'écho des mots. L'oeuvre est ouverte selon Barthes. Les mots viennent rejoindre le chant humain du monde. Ainsi les oeuvres de l'esprit appartiennent à ceux qui ouvrent les pages et qui aspirent à en ouvrir de nouvelles, et donc à rencontrer des écrivains.

Il apparaît absurde de se les approprier, par filiation génétique, alliance matrimoniale. Le talent d'écriture de grand père n' appartenait qu'à lui.  S'il a écrit, c'est pour le monde. Et d'ailleurs plus l'oeuvre est lue plus elle appartient à l'universel, et rapporte de l'argent, plus il apparaît absurde de considérer qu'elle appartient exclusivement à des ayant droits.  

 

Ce qui est compréhensible avec une maison familiale qui s'habite ne l'est pas avec des mots qui circulent et occupent les âmes.

 

Qui sont les véritables héritiers des écrivains ? Les lecteurs, et les auteurs inspirés. Sans Rimbaud point de surréalisme sans doute. Point de René Char. Ces gens n'ont jamais touchés un centime d'"ayant droit", ils ont pourtant été l'écho vivant de l'oeuvre qui les a inspirés.

 

Aussi, je ne sais pas du tout ce que ça rapporterait, j'ai cherché mais je ne l'ai point trouvé. mais certainement des sommes conséquentes au vu de la durée de soixante dix ans avant d'entrer dans le domaine public, il serait de bon aloi de supprimer la notion d'ayant droit dans le domaine culturel.

 

Bien évidemment, la mesure ne va pas totalement de soi. En voici des limites.

 

- Premièrement on peut considérer que les familles des auteurs se verraient brutalement couper des revenus sur lesquels le parent décédé, créateur, comptait pour faire vivre la famille. L'écrivain n'est pas payé tout de suite, et les familles de salariés pour leur part bénéficient de pensions de reversion. C'est un obstacle qu'on peut dépasser en fixant un délai. Pendant un temps déterminé, de quelques années, le temps de se réorganiser, la famille toucherait les droits.

 

-L'autre obstacle est qu'on lie le droit financier au droit moral. On compte sur les enfants ou les conjoints pour défendre l'oeuvre, la faire prospérer. Et il est vrai que bien des enfants mènent ce combat, en montant des projets des musées, des expositions, des projets éditoriaux, des associations des "amis de", des Instituts. C'est indéniable.

 

Mais il est aussi indéniable que nombre d'entre eux ne font rien de ce droit, et que c'est un gâchis parfois.  Donc la question s'équilibre.

 

Le cas de la soeur de F Nietzsche montre aussi comment le mécanisme de l'ayant droit peut conduire à dévoyer une oeuvre, celle-ci ayant fait du philosophe un antisémite - ce qu'il n'a jamais été un instant- et un précurseur du nazisme, par déformation du concept de "volonté de puissance", lui qui par dessus tout détestait tout ce qui relevait du ressentiment. Et qu'est ce que le nazisme sinon une explosion nucléaire de ressentiment ? 

 

Après tout, on peut aussi considérer que l'ayant droit est un prétexte bien facile pour que les pouvoirs publics, et nous tous, s'exonèrent de la responsabilité de transmettre.

 

Aussi, on pourrait tout à fait, après quelques années où la notion d'ayant droit s'appliquerait, socialiser les droits d'auteur au profit de la politique culturelle. L'oeuvre serait alors librement utilisable pour l'édition qui verserait les droits dans un fonds.  Quelques décennies ensuite, il serait libre d'utilisation gratuite.

 

A quoi consacrer ces fonds ? Et bien nous avons bien des choix possibles :

-le soutien des librairies indépendantes,

-des bibliothèques,

-ou de l'édition sous contrepartie d'une meilleure rémunération des auteurs (qui actuellement touchent souvent six pour cent des ventes, ce qui est absolument ridicule). 

 

En écrivant cela, je suis conscient du fait que cette mesure vient requestionner un point fondamental qui s'est posé au moment de la transition entre les sociétés d'ancien régime et les sociétés dites libérales. On pensera ce qu'on veut, généralement, de la propriété. Mais peut-on aussi aborder, en tant que telle, la question du sens que peut revêtir une notion, comme celle de propriété transmise des oeuvres de l'esprit ?

 

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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