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29 mai 2017 1 29 /05 /mai /2017 17:58
Si loin ils parlent aussi de nous – «  La plus vieille religion », Jean Bottéro

 

Nous pensions que Dieu était mort. Mais il s’agite sacrément. Peut-être sous des formes zombies, c’est à discuter. Son « reboot » est peut-être un dernier sursaut de réaction face à la modernisation qui finira par avoir raison d’elle. Peut-être qu’elle ne pourra plus rien féconder en termes de civilisation. Qu’elle ne pourra seulement, par des élans fanatiques réactifs, que détruire. A cet égard on voit que l’élan révolutionnaire iranien, tout radical qu’il ait été, semble ne pas résister, fondamentalement, à une érosion sans spectaculaire mais bien réelle, comme sapée dans le cœur même de la société.

 

Il n’est donc pas inutile d’aller vers le passé, d’interroger, ici et là, ce qui rend si puissant le besoin de religion. C’est ainsi que j’ai eu la curiosité de lire Jean Bottéro, et son livre « La plus vieille religion », portant sur le premier système religieux historique, c’est-à dire nous offrant un témoignage écrit – puisqu’il prend forme dans la société même qui invente l’écriture. La religion mésopotamienne, née sur cette terre aujourd’hui on ne peut plus meurtrie et dévastée, depuis quinze ans, l’Irak. L’observer en dit long sur les caractéristiques de toute religion.

 

La religion mésopotamienne est comme toute religion un phénomène sociologique. Elle vient nouer des liens sociaux. Mais l’Historien a le soin de ne pas opposer social et individuel. La religion s’ancre aussi dans la foi de chacun, dans les pratiques individuelles. Il convient donc de distinguer les structures apparentes d’une religion et « le sentiment religieux ». Toute religion se lit aussi à travers des récits, dont s’emparent ensemble les croyants : des mythologies.

 

Nous sommes 4000 ans avant notre ère… Tout de même. C’est par la rencontre, n’en déplaise à nos identitaires, que se produit l’évènement. La Mésopotamie, si elle connait des « ennemis », ne connaît pas du tout le racisme. Ce qui au passage nous dit que ce n’est pas une fatalité. Le croisement des sumériens et des akkadiens qui vivaient déjà là, sémites , sera décisif. A ce carrefour culturel s’ajoute la découverte de l’irrigation artificielle, qui conduit les cités Etats à se confédérer. La religion apparaît ainsi à la fois comme superstructure du politique et donc de l’économique, on le verra, elle est clairement un outil de fortification du pouvoir royal, et un résultat de dynamiques culturelles qui créent du nouveau.

 

Parler de religion, c’est donc parler de fonctionnement du social, et parler d’énergie du politique. Même si la sphère religieuse a sa vie, autonome, propre, elle est d’abord un reflet. C’est ce que l’étude dépassionnée d’une religion ancienne, sans enjeu présent, démontre.

 

Le grand nouveau, c’est l’écriture, qu’on pense inventée vers l’an 3200. Elle naît elle aussi comme superstructure, puisqu’elle est au départ une « auxiliaire de la comptabilité ». Sans doute inventée par les sumériens, elle aura un bel avenir… mais pas les sumériens, dont on ne trouve plus trace spécifique, après le troisième millénaire. Merci et adieu. Très vite les hommes sortent l’écriture de la comptabilité cependant, et se mettent à utiliser les glissements de sens, bref à faire de la poésie, qu’ils mettront grandement au service de leur travail inlassable de séduction des dieux. C’est d’abord le cunéiforme qui s’installe, l’alphabet, venant de Syrie, apparaissant vers 1500. Les phénomènes se superposent, comme on a gardé un peu le minitel… Le dernier document cunéiforme trouvé date tout de même du premier siècle après JC.

 

On dispose de nombreuses sources, mais en même temps elles ne couvrent pas toute la vie sociale. Ce qui apparaît nettement c’est que la religion est omniprésente. C’est une société très différente de la nôtre. J’ai songé au « Médée » de Pasolini, et à la rencontre ente Jason et la société archaïque où il va dérober la toison d’or. Le sentiment d’étrangeté qui règne dans le film. Ces gens si loin dans le temps paraissent parfois si intelligents, si fins, si proches de nous aussi (bien que nous ne soyons pas toujours très brillants…), mais on ne doit pas mésestimer le fait qu’ils vivent dans une cosmologie très différente. La transcendance n’est pas pour eux un vain mot. L’Historien doit donc garder en tête « l’énorme hiatus » entre eux et nous tout en nous permettant de les comprendre.

 

Ce n’est pas une religion mystique, mais qui reconnaît l’omnipotence des dieux, avant tout. Dans l’épopée de Gilgamesh, on lit « Aucun dieu n’est passé près de moi ? Alors pourquoi suis-je pris de panique ? ». Les dieux sont puissants, on doit louer leur autorité. Mais ils sont aussi indulgents envers les hommes (sinon la vie serait désespérante). L’idée est absente, d’une divinité intérieure à l’Homme. Cela viendra plus tard dans l’histoire de l’humanité. Pour le moment les dieux sont quelque part dans le ciel, ils sont des Seigneurs surpuissants. C’est une religion anthropomorphique (pas de symboles animaux). Les dieux ont des corps. Ils se marient et ont des enfants, fondent des dynasties (le modèle dynastique est ainsi naturalisé). Ces dieux ressemblent bien souvent aux dirigeants politiques…

 

Cette religion frappe par son pragmatisme. Elle est quasiment « hénothéïste ». Cela signifie que dans le cadre polythéïste, chacun a son ou ses dieux de prédilection, qui renferment de fait toute la divinité. Cette religion accumule les dieux. Quand de nouveaux dieux arrivent, portés par exemple de l’extérieur, elle les agrège. Si un Dieu devient plus puissant, on ne supprime pas l’ancien dominant, on « cumule ». La mésopotamie a ainsi créé un immense panthéon où l’on a plus décompté jusqu’à deux mille noms, mais les versions varient. Les dieux mésopotamiens sont dieux de tous les hommes. Mais les panthéons étrangers ne sont pas illégitimes. Les étrangers ont leurs dieux, c’est un fait, et on le reconnaît aisément. Tout se passe comme s’il y avait des fonctions divines, le changement de nom n’est pas un drame du tout.

 

Ce panthéon est, comme la société, hiérarchisé strictement (et ainsi légitime la hiérarchie terrestre, dont il est la projection évidente). Il y a évidemment les dieux les plus importants, comme Anu, Enlil, Marduk. Ce dernier, au fil du temps, deviendra le plus important, mais sans porter atteinte à Anu.

 

Ces dieux sont immortels… Sauf qu’ils peuvent mourir si c’est une histoire entre dieux qui les font mourir.

 

Il y a des démons, mais pour ne pas salir les dieux, ce qui est trop anxiogène, on les caractérise comme une catégorie intermédiaire entre les dieux et les hommes. Ils réclament des exorcismes.

 

Comme plus tard, dans les mythologies grecque et romaine, les dieux sont faillibles. Ils ressemblent de ce point de vue aux humains. Ils jouent de mauvais tours, ils ont des envies, etc… Ainsi en est-il de cette déesse qui a sans doute influencé Aphrodite, « Istar », déesse de l’amour libre. Séductrice incorrigible.

 

Où sont les dieux ? Les mésopotamiens semblent conscients de cette difficulté à les localiser. Alors ils sont pragmatiques encore, et souples. Les dieux sont au ciel, dans les temples aussi, on les rattache à un secteur de l’existence (l’agriculture par exemple) ou plus tard à des étoiles et des constellations.

 

Ces dieux, qui ont décidé de créer l’homme, pour les honorer et travailler pour eux, sont très interventionnistes dans le monde. Ils conçoivent des plans, que l’on peut essayer d’interpréter (d’où la fonction des devins, qui permettent de lutter contre l’angoisse de l’incertitude face à ces planifications de l’avenir). La religion semble bien s’ancrer dans la condition humaine tissée d’angoisse, car devant se coltiner une conscience du passé et de l’avenir. Il y a la divination inspirée, les dieux choisissant un vecteur pour annoncer. Par exemple un délire verbal, et la divination déductive, d’étude, qui met en relation des événements passés et ce qu’ils ont annoncé, et qui tient lieu ainsi d’immense jurisprudence. On consulte ainsi des spécialistes de cette divination qui établissent aussi d’immenses listes. Apparaîtra ainsi l’astrologie. Les souverains en feront grand usage.

 

Ces dieux ont un prix. Il faut s’occuper d’eux. On leur voue des temples considérables, telle la fameuse tour de Babel à Babylone. Qui magnifient les villes. On leur offre des victuailles, des chars…. (qui disparaissent, les prêtres ne disant pas ce qu’ils deviennent). Il y a une prêtrise, mixte d’ailleurs, mais pas tour à fait professionnelle à cent pour cent. Il y a un calendrier liturgique fourni, notamment par les mariages divins. Ces fêtes sont d’étonnantes célébrations de l’amour, assez éloignées du caractère puritain des religions contemporaines. Voici un extrait d’un chant de mariage divin :

«  Je voudrais, mon lion que tu m’emportes en ta chambre !

Laisse-moi te donner mes caresses, ô mon chéri

Mon doux chéri, je voudrais être abluée de ton miel

Dans la chambrette, emplie de suavité

Jouissons de ta beauté merveilleuse »

 

La religion mésopotamienne n’impose pas de morale. C’est une invention de Moïse. La morale de chacun s’inscrit dans un entrelacs d’obligations sociales qui ne sont pas connectées à un dogme religieux. La morale s’appuie plutôt sur la prudence, sur des valeurs, disons, d’un peuple de commerce.

 

Cette religion s’appauvrira, le nombre des dieux se restreignant. Et puis, au fil des conquêtes politiques, de la marginalisation de Babylone, des arrivées des perses, d’Alexandre, elle disparaîtra. La langue qui portait cette civilisation, l’araméen, reculera. Elle aura influencé, sans nul doute, le judaïsme le plus ancien, par la circulation des populations sémites. Dans la bible, la création du monde découle, comme chez les mésopotamiens, d’un combat avec la mer. Le Dieu unique, non anthropomorphe (il y a bien des différences fondamentales entre la religion mésopotamienne et le judaïsme) créera aussi l’homme à partir de l’argile, comme Marduk. L’astrologie constituera un héritage durable de la religion mésopotamienne.

 

La chute de la civilisation qui inventa l’écriture et nous parle, par écrit, d’une religion qui inaugure l’Histoire, mais qui puise dans un passé dont on ne sait pas vraiment les origines, sinon à travers des traces archéologiques bien moins parlantes, suscitera une véritable explosion religieuse, pendant longtemps. Jusqu’à ce que les monothéismes, lentement, reconstituent un paysage plus homogène. Pas certain qu’ils aient jusqu’ici été aussi « ouvertes et raisonnables » que ce polythéisme mésopotamien ancien, qui comme plus tard celui des romains, aura évolué peu à peu vers une teneur plus consciemment mythologique. Donc, allégorique, peu ou prou. Tout près de la liberté.

 

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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