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30 mai 2019 4 30 /05 /mai /2019 12:36
Echos d’une œuvre en trois petits écrins - Trois contes - Gustave Flaubert

Trois contes, pour terminer une vie d’écrivain.

 

L’Esprit Saint dans un cœur simple

 

Dans la première nouvelle, « un cœur simple » , Flaubert nous propose comme un contrepoint de Mme Bovary. Il réalise la prouesse de faire entrer un monde dans une petite vie, une petite chambre, de quelqu’un qui n’aspire à rien, sauf au bonheur de deux trois personnes dont elle s’occupe, et auxquelles elle donne son empathie. C’est une nouvelle à la fois fidèle au réalisme bien connu de l’auteur mais aussi avec quelques embardées presque surnaturelles, ce « cœur simple » étant, le narrateur omniscient le disant lui-même, naturellement ouvert au surnaturel (comme l’aimait Pasolini dans le peuple catholique rural).

 

« Les prairies étaient vides, le vent agitait la rivière ; au fond de grandes herbes s’y penchaient, comme des chevelures de cadavres flottant dans l’eau. »

 

Où est le réalisme de Flaubert ? Il est dans ce don de romancier, qui est celui de l’illusionniste. Le romancier sait retenir le cosmos en lui, et le redéployer. Ainsi il crée sans cesse des effets de réels, à travers des détails, des agencements, qui produisent une réalité consistante, charnelle. Cela demande une sensibilité toute particulière, qui n’est pas la même que celle du philosophe. Le détail, qui s'écarte sans en avoir l'air, c’est ce qui laisse croire que c’est vrai. Le lecteur consent à se laisser manipuler. Dans une fiction, c’est la tasse de café, le cendrier, qui vous permet de vous laisser aller à la fiction. Et Flaubert en la matière est un maître, un maître cosmologique. L’inutile n’est jamais inutile dans un roman ou une nouvelle, il est ce qui vous attache, en tant que lecteur.

 

On dit Flaubert ironique, il l’est, indiscutablement, et nul n’y échappe. On l’a dit nihiliste. Je ne sais pas. « Un cœur simple », qui rappelle fortement le « Une vie » de ce jeune Maupassant que Flaubert avait pris sous son aile, ne manque pas d’ironie. A l’égard des rentiers, des bourgeois inutiles, et des pauvres tout à leur servitude volontaire, de ce 19eme siècle que parcourt la vie anonyme d’une servante. Mais on est ému, malgré son pathétique, par le sort de Félicité, ce cœur simple et bon, dont on nous relate la petite vie normande de domestique, sans en faire une diablesse ni une sainte. Flaubert aurait dit « Mme Bovary c’est moi ! », mais quand il écrit cette nouvelle, il vieillit, et on peut se demander s’il ne met pas un peu de lui dans Félicité. Car finalement, après sa jeunesse, qu’a-t-il fait ? Ecrire, en Normandie. Se vouer à son œuvre et tout lui donner.

 

D’une psychologie sommaire de ce cœur simple, Flaubert tire une nouvelle psychologiquement dense. Elle n’a rien de « simple », cette nouvelle, elle est riche, travaillée comme à l’habitude par son auteur, comme on le sait un acharné du style. Rendant hommage par ses descriptions saisissantes à la simplicité enracinée de ces normands qu’il connaît bien. Au fond Flaubert nous appelle à ne pas simplifier les simples parmi les nôtres.

 

Moins l’on est exposé aux connaissances, à la circulation des gens, plus tout compte, plus tout est possiblement intense. La moindre promenade inhabituelle est une aventure. Quand Félicité se rend au port, pour dire au revoir à son neveu qui s’embarque, elle est submergée par tous ces détails qui l’entourent. On voit souvent cela dans les romans classiques, comme dans "Guerre et Paix », par exemple, où l’arrivée d’un homme dans la maison suscite les rougissements, devant trop d’émotion.

 

Félicité n’était rien (et donc tout au Royaume de Dieu, d’où son prénom), elle a été recueillie. Elle a fui, suite à une mésaventure avec un homme alcoolique et animé par la tentation de viol, et parvient à se faire embaucher comme domestique et nourrice de deux enfants chez une veuve, Mme Aubain, rentière sans gloire ni influence. Elle occupe un petit placard. Elle donne un sens à sa vie, en aimant les enfants de Mme Aubain. Dans cette famille qui semble perdue pour toujours sans figure du Pater Familias. Mais les enfants grandissent, et l’un des deux meurt. C’est atroce, mais cela la rapproche de Mme Aubain. Elle s’approprie la vie des gens qu’elle sert, et la lie avec sa petite vie. Le rapport d’exploitation est totalement submergé par l’absorption dans la vie familiale et les mécanismes subjectifs qui lient la servante aux Maîtres.

 

Félicité a un neveu qui passe de temps en temps, puis part sur la mer, et meurt lui aussi. Pour elle, les deux morts d’enfants sont liées, pas pour sa maîtresse, pour qui la souffrance n’est manifestement injuste que pour les gens de «biens », bref qui ont des biens. Félicité s’accroche alors, pathétiquement, à un perroquet, puis après l’avoir bêtement perdu, symbole de la précarité de tout, à sa version empaillée. Ce perroquet devient une sorte de totem, ou de fétiche, qui semble symboliser le lointain, ou la parole venue d’un autre monde. Cet autre monde qu’elle imagine, quand elle découvre la religion, un peu plus, en accompagnant la jeune fille de la famille Aubain au catéchisme. A Paris, pas si loin, il y a des révolutions. Mais l’impact ici est le changement de sous-préfet. Félicité imagine son neveu aux caraïbes mais ne songe nullement à Paris. Son univers mental est tissé par le peu de trajectoires personnelles qu’elle a eu à connaître. Elle sait la loi sociale, mais elle ne connaît pas l’abstraction.

 

Nous comprenons avec Flaubert comment le catholicisme a pu survivre au siècle de la révolution industrielle, dans ces provinces françaises isolées, lourdes, et obscures encore. L’usage de l’imparfait tout au long de la nouvelle semble faire traîner ce monde en longueur, alors que ce qui frappe en même temps est la brièveté et le manque de densité de cette vie d’un cœur simple.  Son rôle consolateur était incontournable. La figure de Jésus était chaleureuse, tout simplement. Et le catholicisme a été une esthétique. Une religion sensuelle. Qui dans le délire de l’agonie, aide Félicité à mourir, suivant sa maitresse, dans l’ordre naturel, qui est l’ordre social naturalisé. Ce monde est dur, impitoyable et silencieux. Il n’est qu’attente qu’on s’en aille et qu’on revienne, peut-être. Et les vies sont des chutes, comme celle d’un révolutionnaire devenu une quasi bête, vivant avec une tumeur mortelle au bord d’une rivière. Ce monde est dur, on peut prendre un coup de fouet par un cocher, au détour d’un incident sur la route, et Félicité doit affronter un taureau pour protéger la famille Aubain, comme un rappel de la tâche toujours renouvelée de devoir faire face à la nature (un rappel du Minotaure ?).

 

C’est une vie de rien que celle de Félicité, appliquée à ses tâches et ne se posant nulle question, à la fois forte de ce fait et vulnérable par sa dépendance à peu de gens, auprès desquels, même par le souvenir, elle vit par procuration. Mais Flaubert la rachète, finalement, en montrant comme l’observation, la contemplation, l’attention, que le narrateur partage en partie avec « le cœur simple », qui n’a pas de grandes préoccupations, peut rendre justice à cet environnement. Une petite chambre peut être dense d’objets chargés de mémoire et de significations s’associant, créant un monde auquel on peut se rattacher, encore, malgré le néant social dans lequel on évolue. Un cœur simple n’est pas nécessairement un cœur pauvre.

 

Pourquoi ne pas faire de Félicité une Sainte ? Parce que sans doute, la modernité, aux yeux de Flaubert, est déjà là. Le mysticisme populaire n’est pas mort, mais la Sainteté est peut-être déjà impossible. Et le monde bourgeois ne saurait reconnaître les Saintes. Il ne voit qu’une impeccable petite Bonne, qu’on « envie », à Mme Aubain, pour ses décennies de loyauté, de discrétion et d’efficacité. 

 

Œdipe avant Freud

 

La seconde nouvelle nous fait quitter le 19eme et nous conduit à l’âge médiéval. Au début de la nouvelle sur la légende de Julien l’Hospitalier, qui réinterprète un épisode de la « légende dorée » médiévale, on se retrouve chez Walter Scott, dans un moyen âge paisible et idéal. Trop paisible, même, ça finit par rouiller et s’empoussiérer, ça pourrait finir comme dans le magnifique premier chapitre du « capitaine fracasse » de Gauthier (si vous ne connaissez pas, ça vaut le coup). Les châtelains ont un fils, auquel de mystérieux émissaires promettent un destin considérable. Mais les augures (nos fantasmes) diffèrent. Celle entendue par le Père parle d’un soldat, la mère a ouï parler d’un Saint.  Le jeune Julien vit l’expérience de la cruauté, en tuant de petites bêtes, et son père l’initie à la grande chasse. Alors Flaubert nous convie dans ces chasses, où le jeune Julien use des oiseaux de proie. On imagine l’écrivain regardant longuement des enluminures ou gravures pour préparer ses descriptions. Julien pratique alors une hécatombe dans la faune du coin. Mais un jour, un miracle survint. Après un massacre, un cerf parla à Julien avant de mourir, lui prévoyant qu’il assassinerait ses parents. Un délire. Julien sombre dans la terreur. Et il manque, par hasard, en effet, de tuer ses parents par accident. Alors il fuit. Il devint un soldat, un de ces « routiers », qui écumaient les terres. Puis un grand soldat.

 

 Flaubert, dense, encore, novelliste, use ici du passé simple, accélérant le rythme par rapport à la première nouvelle. Au contraire d’un cœur simple nous avons ici un cœur tourmenté, qui cherche à se perdre dans le tumulte du monde.

 

 Pour ses services, on lui offre un « château en Espagne », et la main d’une splendide femme, dont il est passionné. Dans cet Alhambra paradisiaque, qui n’a rien de réaliste, mais de mythique, car il s’agit bien d’une légende, il s’apaise. Mais peu à peu le présage le rattrape, et il ne sait ce que ses parents sont devenus. Ils apparaissent alors, un soir, auprès de son épouse., qui les couche dans son propre lit. Pendant que Julien était retourné chasser, pour la première fois. 

 

Il passe une nuit d’hallucination, les bêtes le chassent, et il est impuissant. Il rentre, cherche sa femme, voit un homme dans son lit, avec sa femme, et tue ses parents.

 

Julien devient mendiant de par le monde, comptant sa légende. Il est délivré de toute destinée. Il essaie d’aider les autres. Un jour il parvint près d’un fleuve, et se dédie à aider les autres à traverser. Puis il est visité par un lépreux, qui lui demande de tout lui donner, et Julien accepte. Même de se blottir contre lui pour le réchauffer. Alors Julien monte au ciel, et se retrouve face à Jésus Christ. C’est le motif d’un vitrail en Normandie qui inspire Flaubert.

 

On songe à Œdipe évidemment. La même fatalité, et le même mobile.

 De quoi est chargé le destin de Julien ? A y réfléchir, la clé est peut-être au début de l’histoire. Les fantasmes parentaux s’opposent, et ne communiquent pas (chacun en garde le secret).  Julien est sans doute écartelé entre deux désirs, et jamais le sien n’existe. Il est préempté, deux fois, par deux parents différents. Il se retournera contre eux, tuant leur désir, finalement.  Et en même temps, Julien aura été le soldat grandiose, puis le Saint, il aura accompli le désir d’autres. De ses parents.  De tuer tous les animaux n’aura servi à rien pour conjurer le conflit intérieur de Julien.

 

L’art pour l’art dans l’évangile

 

Le troisième moment est antique, au moment où prêche Jésus.  Il est cité dans deux évangiles.  Peu auront rendu l’époque si vivante. Seule Yourcenar surpasse sans doute Flaubert (avec un saut de trois siècles).  Une fois encore, c’est sans doute moins le fond de l’affaire qui intéresse Flaubert que la cosmologie qu’il peut en tirer, et les sensations qui l’accompagnent. Là où les textes religieux sont édifiants, le texte flaubertien est charnel. Il y a là une sorte d’impiété, très banale aujourd’hui, où l’on voit fleurir des romans et des films réinterprétant, en offrant un regard, des parties des textes sacrés. Comme Boulgakov, Caillois ou Emmanuel-Schmidt écrivant sur Pilate. Mais à l’époque de Flaubert, ce n’était pas commun. Et il y a trente ans on organisait un attentat intégriste dans une salle projetant "La dernière tentation du Christ" de Scorcèse. Finalement, que dit Flaubert sans le dire ? Que se sont des histoires comme les autres. Que ce qui compte est la manière dont on les raconte. Il n’y a rien d’édifiant à y trouver. Et personne ne saurait en inférer la foi ou l’impiété de l’auteur.

 

Hérode Antipas, roitelet, est perché au-dessus du lac de Tibériade et il voit les troupes arabes se venger de sa répudiation de la fille de leur roi, au profit d’Hérodias ; romaine. Un mariage scandaleux, car il la substitue à son demi-frère. Mais la passion du début, même s’il s’agissait d’un mariage très politique, n’est plus là. Ils se méfient l’un de l’autre, et tentent de s’amadouer. Les romains sont là, alliés ambigus, méprisants, menaçants, à travers le proconsul de Syrie Vittelius, qui inspecte carrément les biens du Roi soumis à Rome. Il y a là, au fond d’un trou, un prophète dangereux aussi, emprisonné, dont on ne sait que faire, qui promet la dévastation puis le Royaume. Nous y reconnaissons Jean-Baptiste. Il menace Herodias. Comme un révolutionnaire.

« Le seigneur arrachera, tes pendants d'oreilles, tes robes de pourpre, tes voiles de lin,   les anneaux de tes bras,   les bagues de tes pieds,  et les petits croissants d'or qui tremblent sur ton front,  tes miroirs d'argent,  tes éventails en plumes d'autruche, les patins de nacre qui haussent ta taille,   l'orgueil de tes diamants,   les senteurs de tes cheveux, la peinture de tes ongles, tous les artifices de ta mollesse ;  et les cailloux manqueront pour lapider l'adultère ». Hérode essaie de le « refiler » aux romains dans un premier temps, comme on le fera pour Jésus.

On banquète pour l’anniversaire d’Hérodias. Et les différentes sectes juives sont représentées, et d’autres, venus de l’Est. Tout le conte est secoué par un désordre constant, une sorte de chaos de fond, qui exprime parfaitement cette époque-là, d’échauffement spirituel intense, de bouillonnement politique aussi, en Palestine. Un Jacob parle de Jésus, le Prophète, qui commet des miracles, ce qui laisse l’assemblée sceptique, mais au final, craintive. Le prophète emprisonné, ici, serait Elie, l’annonciateur. Salomé, fille d’Hérodias, est rentrée pour l’occasion. C’est une danseuse lascive, enchanteresse, elle tourne la tête d’Hérode, et réclame celle de Jean Baptiste sur un plateau, et Antipas lui donne. Mais le décapité avait dit « pour qu’il croisse, il faut que je m’amoindrisse ». Salomé, figure de séduction et de cruauté, permet ainsi à Jésus de s’affirmer comme le Messie. La légende dira que Salomé mourra en sombrant sous un lac de glace, la tête sortant de l’eau, comme posée sur un plateau. Hérode, lui, sera finalement exilé à St Bertrand de Comminges, à une heure au sud de Toulouse.

Et voici que se terminent trois contes écrits peu de temps avant la disparition de Flaubert, comme un dernier écho à Madame Bovary avec Félicité, à Saint Antoine avec Julien, à Salammbô avec Salomé. Une Trinité. De la nouvelle purement fictive, on est passé à la réinterprétation du mythe, puis à un épisode des évangiles impliquant des êtres historiquement réels. Le cœur simple voyant le Saint Esprit dans un Perroquet. Julien rencontrant Jésus. Et Jean Baptiste annonçant le Royaume de Dieu. Et ça et là, des bourgeois, c'est à dire des gens qui "pensent bassement" comme Gustave le dit ailleurs, de la patronne de Félicité au père de Julien, jusqu'à Hérode le comploteur.

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6 mars 2019 3 06 /03 /mars /2019 12:02
Déjà, la littérature et le mal - Les diaboliques - Barbey d'Aurevilly

Les chrétiens adorent parler du mal. C'est qu'il les fascine, alors qu'ils seraient censés dire au Diable de passer son chemin, comme Jésus.  Les chrétiens adorent tout ce qu'ils disent détester, bien souvent (ils ne sont pas les seuls). Ils s'y adonnent, même, et comme ils le font avec moult convulsions, ce n'est pas toujours pour le meilleur comme on le sait avec le drame des victimes des prêtres.

Sauf dans l'art. Destiné à recueillir les Fleurs du Mal.

Jules Barbey d'Aurevilly, dans "Les diaboliques", réactionnaire parenté (mais dandy revendiqué), exprime toute sa fascination de chrétien pour "le Mal", dans six longues nouvelles d'une qualité exceptionnelle. Si elles sont sublimement construites, notamment sur le principe des poupées russes des "mille et une nuits" pour certaines, mais isolées les unes des autres, il est étonnant de voir que Barbey, sur le plan du style, contrevient à tout ce qu'un professeur de "master class" d'écriture conseillerait aujourd'hui à ses élèves  (comme quoi, il n'y a pas de "bon style", et le style est d'abord relié à une anthropologie historique, jusqu'à ce qu'un nouveau venu effectue un "bond", qui lance l'esprit du temps sur un nouveau chemin, pour parler comme Hegel).

Tout d'abord, Barbey, c'est le contre exemple du behaviourisme par excellence, même s'il excelle à décrire le moindre mouvement. Un des principes admis aujourd'hui est que l'on ne doit pas nous dire qu'untel est fou, on doit le déduire de son attitude. Les faits et gestes doivent produire du psychologique qui n'a pas besoin d'être explicité. Tel est un dogme de la littérature contemporaine. La littérature est l'art de susciter, et non de régler à l'avance et de livrer. C'est le lecteur qui fabule (influence de Barthes).

A l'époque de Barbey, l'écriture sans fioritures n'existe pas vraiment. Elle affleure, tout de même, dans le réalisme français. 

Barbey, lui, est de ce 19ème où l'on ne se gêne pas d'étaler de longs développements, et de longues généralisations, sur le versant psychologique, d'expliciter les liens entre la psyché et la surface (Stendhal par exemple). Dès qu'on peut capter un systématisme, un écrivain classique est au rendez-vous pour le noter. Ils catégorisent ainsi sans cesse des types humains, qu'ils s'efforcent de cerner précisément, preuve de leur expérience et de leur sens de l'observation (ou de ceux de leurs personnages).

Notre époque hyper individualiste fonctionne beaucoup plus sur la singularité et vient après la sociologie, la psychologie, et ses propres doutes (et la littérature se dit qu'elle est là pour combler ce que science ne peut apporter), et non avant son émergence. La littérature ne se veut plus forcément sociologique, ou alors de manière parodique, en détournant les codes. Ainsi ce qui nous plaît dans le personnage de l'"Homme-dé" ou celui de "la conjuration des imbéciles", c'est leur singularité fascinante.

Mais le procédé de Barbey fonctionne (car on sait qu'on lit un classique), allié à ses longues descriptions appliquées, bourrées d'adjectifs et de métaphores, de références antiques, qui seraient indigestes si le talent n'était pas à la plume.

En réalité, ces procédés, qui aujourd'hui sont assimilées à du Mal Ecrire,  ne fabriquent pas un surplus de déjà dévoilé, un trop d'interprété, mais au contraire un voile de mystère constant, alors que nous avons devant nous, juste là, les personnages et l'énigme du mal, dont Barbey s'évertue en même temps à préciser le portrait tout en le floutant.  La narration de ces histoires fonctionne comme un mode d'accès et un mur de bruit dans le même temps. 

Ainsi nous voulons en savoir plus sur ces malsains, et l'écrivain nous ferre. Mais le mal est en partie impénétrable. C'est ici que Barbey peut-être est dandy. Le Dandy parait blasé, mais il est avide de culture, et ainsi toujours curieux, toujours en demande de nouvelles histoires et méprisant à l'égard des dogmatiques.  Ces histoires ne semblent pas simplement le conforter cyniquement dans son sentiment de savoir ce qu'il en est, mais ouvrent de nouvelles perspectives. C'est ainsi qu'à chaque nouvelle, nous sommes censés découvrir, je pense, un nouvel aspect du mal.

La première nouvelle met en scène un soldat qui revenu dans la rue même d'une mésaventure, conte à son compagnon de voyage une liaison immorale qu'il eut avec la jeune fille de la maison qui l'accueillait, celle-ci mourant dans ses bras en pleine nuit. C'est le mensonge et la trahison de la confiance.

La seconde voit un héritier lointain de Don Juan narrer que le plus bel amour qu'il inspira toucha la petite jeune fille de son amante, qui s'imagina enceinte de la seule chaleur de sa présence. Ici, le mal est la contamination des âmes par le vice qui les entoure et se transmet.

La troisième histoire raconte l'extravagant complot de deux êtres pour s'aimer, une femme de la noblesse, maîtresse d'armes, se transformant en domestique au service de l'épouse de son amant, à éliminer. Ici le mal réside dans l'absence de culpabilité, et le comportement antisocial, puisque "le bonheur" est dans "le crime".

La quatrième histoire, la plus trouble, raconte une partie de whist, bondit jusqu'à des conséquences lointaines, et laisse entrevoir l'ignominie possible qui n'apparaissait pas dans la soirée initialement dépeinte. Le mal est ici la jouissance de la manipulation planifiée et en partage, qui redouble encore le mal contenu dans les crimes.

La cinquième histoire met en scène "un dîner d'athées". Barbey les respecte autant qu'il les voit en adversaires. A ce dîner, la figure charismatique raconte l'évènement le plus terrible de sa vie terrible : l'assassinat qu'il ne put éviter de son amante, dont il ne soupçonnait pas l'amour. Assassinat atroce commis par son mari. Ici nous touchons au mal de l'adultère, mais aussi de la conception hors mariage.

La sixième histoire est la vengeance terrible d'une femme, le mal auquel on se condamne par cet esprit de vengeance insatiable, mais aussi par le culte des idoles (et de l'image d'un être perdu). 

Barbey décrit les situations, ne s'appesantit pas sur des dissertations morales. C'est peut être ce qui lui vaudra aussi son procès, en plus du caractère cru de ses descriptions. Pour la censure du temps de l"ordre moral", après la Commune, il ne suffisait pas semble t-il que l'on ne prône pas le mal, le mal ne devait simplement pas être dit.  Les juges ont décelé, certainement, la fascination de l'écrivain pour son objet, malgré ses dénégations.

Mais toutes les histoires racontées, soit par un narrateur omniscient soit par un personnage, dans le récit, qui vient raconter son histoire, à la demande d'autrui, ont leurs angles morts, leurs manques, leur part d'ombre. Toutes.   Elles ne sont donc pas suffisamment édifiantes pour le moraliste ultra. Dans la première nouvelle, "le rideau cramoisi", on peut frémir à la rumination de ce qui manque, justement, à l'Histoire. Ainsi la littérature produit plus qu'elle n'en donne : de l'imaginaire. On peut se poser des questions encore plus terrifiantes que ce qui nous est livré. Qu'est ce que cette jeune fille, silencieuse, voulait ? Ses parents étaient-ils complices de ses vices ? Souvent, on ne sait pas à quel point les coupables sont coupables, les impliqués complices, les témoins silencieux, lucides. On peut soulever l'hypothèse, la plupart du temps, de victimes consentantes. Le mal apparaît donc comme une sorte de miasme qui ne s'arrête à rien, contamine, file dans les interstices, et parfois ne laisse pas de trace évidente. Cette conception du mal est finalement assez moderne. Elle est gênante, car elle n'est pas manichéenne. On ne peut pas isoler le mal, on peut le saisir dans une histoire, mais il file entre nos doigts, se relocalise ailleurs, se réfugie dans des angles que le narrateur ne peut pas tous évoquer. 

Barbey situe ses histoires, la plupart du temps, dans des petites villes de province. Le mal aime à se nicher partout. L'oisiveté, peut-être, y conduit. Il ne les écrit pas au présent, qui semble l'ennuyer, mais dans des époques décadentes. La décadence de la noblesse, sous la restauration ou la monarchie de juillet, mais une noblesse toujours là, pas encore évaporée. Ce milieu du Faubourg Saint Germain vivant ses derniers feux l'attire plus que cette parodie de restauration embryonnaire, post communarde, qui ne tiendra pas longtemps et qui ne semble pas croire en elle-même, le triomphe de la bourgeoisie semblant irréversible. Le mal est ainsi un signe de la dégénérescence des classes, de leur inutilité. Deux personnages commettent le mal dans un contexte où la seule activité probante de la ville est de s'exercer à l'escrime, alors qu'on ne se battra plus jamais à l'épée. Dans cette béance surgit la tentation du mal, peut-être. Le mal concerne aussi les rescapés de la geste napoléonienne, qui ont commis le mal pendant les années de l'Empire, mais aussi l'héroïsme, et ensuite se débattent avec regrets et perversion acquise. Et les auteurs du mal ? Parfois ils terrifient, souvent, mais ils sont aussi tragiques, et donc émouvants. La tentation de les admirer pour leur liberté ou leur pureté dans le mal est présente. Barbey peut toujours s'abriter derrière la charité à cet égard. 

Barbey donne ainsi raison à l'idée de George Bataille, selon laquelle la grande affaire de la littérature est le mal.  La littérature ne cache rien, même quand elle cache, ici, ce qui et une manière de tisonner l'imaginaire. Les magistrats et le moralistes ne le supportent pas, certes. Ils lisent donc des codes et de la propagande.

 

 

 

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9 octobre 2017 1 09 /10 /octobre /2017 00:51
... Puis mourir - "La mort à Venise", Thomas Mann

En refermant la longue nouvelle de Thomas Mann, "La mort à Venise", il m'est revenu le souvenir de la scène jouée par Jean Pierre Melville, dans ".A bout de souffle" de Godard. Il joue un écrivain qui répond à un interview et avoue son plus grand fantasme :

 devenir immortel, puis mourir. 

 

C'est ce qui arrive à l'écrivain que Thomas Mann met en scène dans "La mort à Venise", texte infiniment ciselé,virtuose, au service d'un romantisme presque désuet à l'époque ou Mann écrit (après la première guerre mondiale). 

 

Un écrivain de renommée mondiale,solitaire, d'âge mûr, allemand, est saisi soudain par une envie de voyage pour réveiller son inspiration. Il bifurque vers Venise. Une fois là-bas, lui revient le souvenir d'un malaise qu'il y avait connu, il a envie de partir très vite et remballe ses bagages.

Mais la vision fulgurante d'un jeune adolescent polonais, blond, ange d'une beauté incandescente, le stupéfie, le retient là, l'inspire au plus haut point (jusqu'à frôler le ridicule dans certaines envolées lyriques).

Il y attrape le choléra et meurt, après avoir joui de la contemplation chaste de la beauté du garçon, y avoir puisé une revitalisation qui s'abîme dans la maladie aux effets fulgurants. Leur seul contact sera de se croiser et de se regarder dans les yeux. Mais l'écrivain aura la sensation d'avoir connu l'incarnation de la parfaite beauté.

 

Une lecture contemporaine du texte s’interrogerait et polémiquerait sur la pédophilie sous-jacente dans le roman. Et pour le lecteur du XIXème siècle que je suis, la question ne peut pas être écartée au cours de la lecture, l'empathie avec l'écrivain est bloquée par cet aspect. On pourrait même voir le lyrisme du narrateur et de l'écrivain dont il décrit l'évolution psychologique comme une tentative d'anoblir, par un registre mythologique, ce qui peut se résumer à une pulsion salace intolérable.  

Ce n'est pas ce qui intéresse Mann et il faut aussi s'efforcer de recontextualiser le texte, rédigé en un temps où la pédophilie n'est pas un sujet "de société". La fascination pour l'adolescent de l'écrivain n'évoque pas, d'autre part, de pulsion sexuelle, même si le corps est au centre de tout en cette affaire. 

 

Même si les rêveries de l'écrivain le ramènent aux relations de Socrate à ses jeunes disciples, le texte n'est pas d'essence platonicienne, ce me semble, mais propose une autre lecture des amours socratique que celle de l'Idéalisme philosophique radical de Platon. La beauté s'y incarne en un corps délicat et magnifique, à la limite de la fébrilité (on est loin de la caricature de la beauté "à l'allemande" qui prévaudra plus tard sous le totalitarisme), dont les mouvements fournissent un accès direct au Beau, sans trahison.

 

L'écrivain allemand n'est pas dans la caverne où il regarderait une ombre chinoise, il est en plein soleil. Le corps de l'adolescent est un véhicule fiable vers la beauté. Le corps ne dégrade pas l'Idée de la beauté, il est chair, et chair en harmonie avec la nature, le visible. Au contraire il déclenche l'ivresse dionysiaque d'un écrivain qui rajeunit au contact de cette simple contemplation quotidienne du jeune adolescent. On retrouve ici le Mann disciple réclamé de Nietzsche. 

 

Mais que reste t-il alors, sinon mourir ? Le titre n'est pas fortuit; il s'agit bien de voir la beauté à Venise et de mourir. Presque instantanément, le choléra frappant sans délai, après que la beauté ait été perçue (le jeune adolescent va partir). L'écrivain, par un premier malaise, sent qu'il faut fuir la ville, il le ressent ensuite à travers des signes, son intuition d'artiste qui sent que la ville frémit, mais il ne part pas.

 

Pour l'artiste, la beauté vaut mieux que la vie, ou plutôt la beauté c'est la vie, et même l'éternité évoquée par Melville dans l'extrait d'"A bout de souffle" que j'évoquais. Et il vaut le coup de voir la beauté en face et d'en finir.  Portrait radical de l'artiste. Doit-on considérer une face morbide dans la démarche artistique, un nihilisme peut-être. Une fuite ?

 

Pour Rimbaud, je m'en rappelle, l'éternité, "c'est la mer allée avec le soleil". L'adolescent qui joue sur la plage offre cette idée de l'éternité. Il ne reste donc rien de plus à vivre. Le but est atteint. Pourquoi fuir le choléra alors ?

 

Pour Rimbaud, une fois la beauté rencontrée, par les Illuminations, alors il revenait de se taire. Puis de mourir au bout du compte, après l'avoir bien cherché. A Marseille et non à Venise.

 

On note  que l'écrivain attrape le choléra en mangeant des fruit avariés, et en cédant à l'appel de la chair, ce qui malgré le nietzschéisme de l'auteur, rappelle le bon vieux schéma coupable de la genèse. Malgré ses lectures, peut-être, Mann n'échappait pas à la culture corsetée de la bourgeoisie allemande de son temps.

 

La recherche effrénée d'un apogée de vie, donc, à travers la contemplation joyeuse de la beauté, conduit à la mort. La vie à son sommet, appelle la détente dans la mort. Une vieille idée romantique, mais qui se retrouvera aussi dans le freudisme. 

 

 

 

 

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15 février 2012 3 15 /02 /février /2012 00:00

sans-titre.png"Contes des sages...". Ainsi sont intitulés ces petits recueils attirants publiés au Seuil sous l'égide d'Henri Gougaud. Des jolis petits objets richement illustrés, pas forcément destinés à une lecture continue, mais plutôt à être picorés.

 

Lectures dépaysantes, charmeuses et consolantes tout à la fois.

 

J'ai lu "Contes des sages soufis" et "Contes des sages taoïstes" avec un grand plaisir et je les ai reçus comme de précieux conseils (que je me suis bien entendu empressé d'ignorer, rattrapé par mes réflexes, mes hormones, que sais-je...).

 

On ne sait pas trop quelle est l'origine de ces contes, l'éditeur souhaitant conserver quelque mystère propice à la rêverie. Ils sont réécrits d'une belle prose poétique, et semblent issus d'une tradition orale, sans doute réaménagée. Les contes font deux ou dix pages, sont parfois hermétiques ou éclatants de clarté et très didactiques. Ils sont parfois entrecoupés de poèmes, ou conclus par une citation. Chaque historiette est riche d'une leçon de sagesse.

 

Il existe toute une série de titres : les contes des sages bretons, provençaux, des sages du ghetto, des samouraïs, et tout ce qu'on voudra.

 

L'occasion de comprendre que les sagesses, en réalité, n'en font qu'une. La sagesse, c'est la poursuite du bonheur, ou si l'on préfère le combat contre le malheur. C'est la raison d'être première de la philosophie, celle qui occupa les penseurs grecs. Mais ce qui est frappant, c'est qu'au delà des allégories différentes, du folklore des imageries et du decorum, les sagesses humaines les plus éloignées de prime abord, convergent vers quelques leçons essentielles.

 

Le poème suivant, par exemple, que je tire des contes des sages soufis, pourrait être signé de Sénèque et ne dépareillerait pas dans les paroles d'un sage chinois :

 

"Ayant bu des mers entières / nous restons tout étonnés / que nos lèvres soient encore aussi sèches / que des plages / et toujours nous cherchons la mer / pour les y tremper / sans voir que nos lèvres sont des plages / et que nous sommes la mer.

 

Tous ces sages essaient de nous apprendre à vivre en nous rappelant quelques solides idées : il convient de mépriser les biens terrestes si vides de sens et périssables, d'agir, de respecter et d'aimer, de se connaître soi-même, de "ne pas se la raconter", de vivre dans le présent, de savoir qu'on est une infime poussière dans l'espace et le temps et que tout disparaît,  de se concentrer sur ce qui dépend de soi, d'apprendre encore et toujours, de se défaire de l'inutile, de comprendre que la mort est un instant de la vie et réciproquement, d'accepter ce qui arrive.  

 

imagesCA8IA2QY.jpg Bref, les Sagesses nous incitent à nous tourner vers ce qu'André Comte Sponville appelle un "bonheur désespéré".

 

Il développe ce beau projet de vie dans une conférence publiée chez Librio, intitulée "Le bonheur désespérément"que l'on m'a récemment offerte (merci Anne-Charlotte).

 

J'apprécie Comte-Sponville ("ce con d'sponville" pour les Guignols...). C'est un philosophe grand public (enfin c'est relatif, on parle pas de R'nB) : un des rares dans cette catégorie qui soit intéressant. Il s'est dévoué à une pratique de la philosophie comme sagesse  ; et à rendre accessible, mais sans démagogie ni facilité malhonnête, les pensées des plus grands : Montaigne, Spinoza en particulier.  Avec un recours constant à Epicure et aux Stoïciens (ces derniers ayant ma faveur je le confesse). J'ai déjà parlé dans ce blog de son traité d'athéïsme, mille fois préférable aux provocations indigestes et raccoleuses de Michel Onfray (pour rester dans le grand public).  

 

La plupart du temps on est malheureux. Passe encore quand tout va mal. Mais même quand tout va bien, ou beaucoup, on est quand même malheureux. Pourquoi donc ?

 

Pour le comprendre, il faut réfléchir sur le désir. Une partie des philosophes, Platon au premier chef, le définit comme un manque. On désire par définition ce que l'on ne possède pas. Donc on désire toujours et on est toujours en manque... Et Lucrèce décrivait déjà ce cercle dont on ne peut sortir. Je n'ai jamais ce que je désire, mais ce que je désirais.

 

Ainsi il ne sert à rien de se dire en voyant un aveugle : "je devrais être heureux, parce que je vois". Car seul l'aveugle peut désirer voir, et cela nous ne pouvons en ressentir le manque. Le constat des malheurs d'autrui n'est que peu secourable.

 

Le piège se referme donc sur nous... Une solution peut être d'aller de désir en désir, dans une fuite en avant, avec tous les risques que cela suppose. Une autre peut être de porter son espérance sur un autre monde après la vie... Mais encore faut-il avoir la foi. Comte Sponville ne l'a pas, et moi non plus, ça tombe bien...

 

Mais plus grave pour l'homme : il ne désire pas seulement, il espère. C'est sa faiblesse propre. La contrepartie de l'espoir, c'est nécessairement la crainte.

 

Une espérance, c'est un désir qui ignore s'il sera satisfait. C'est désirer sans se satisfaire (un espoir ne coïncide jamais avec le présent), et c'est désirer sans savoir.

 

En outre, notre situation s'envenime... Car on espère seulement ce qui ne dépend pas de nous. Si ça dépendait de nous, on le ferait. 

 

Alors que nous disent les Sagesses, finalement ?

 

Elles nous disent : l'espérance est une faiblesse. Mais fort heureusement désir et espoir ne sont pas synonymes. L'espoir est seulement une catégorie du désir. L'espoir, c'est désirer sans savoir, sans jouir, sans pouvoir.

 

On peut désirer ce dont on jouit : c'est le plaisir.

On peut désirer ce qu'on sait : c'est la connaissance

On peut désirer ce qu'on veut : c'est l'action.

C'est le tryptique qui définit la sagesse.

 

Et le philosophe de citer une phrase saisissante du Mahâbharata, qui montre la voie de la sagesse : "Seul est heureux celui qui a perdu tout espoir ; car l'espoir est la plus grande torture qui soit, et le désespoir le plus grand bonheur".

 

Le désespoir, à comprendre non pas comme "la dépression", mais bien comme l'absence d'espoir, est donc la voie vers le bonheur.

 

Au coeur de cette vision du bonheur, il y a l'amour. L'amour n'est pas un manque. C'est la joie, le présent et le réel. Aimer, c'est "une joie qui accompagne l'idée de sa cause" selon Spinoza.

 

Pour aller vers le bonheur, il convient donc de "convertir son désir".  Et apprendre à désirer ce qui dépend de nous, c'est à dire l'amour, la connaissance, l'action.

 

Ces leçons de sagesse, nous les retrouvons illustrées avec malice et talent poétique dans les contes rassemblés au sein des petits écrins réalisés par Henri Gougaud.

 

Bon après, pour être un peu plus heureux, y a plus qu'à...

 

 

 

 

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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