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9 octobre 2017 1 09 /10 /octobre /2017 00:51
... Puis mourir - "La mort à Venise", Thomas Mann

En refermant la longue nouvelle de Thomas Mann, "La mort à Venise", il m'est revenu le souvenir de la scène jouée par Jean Pierre Melville, dans ".A bout de souffle" de Godard. Il joue un écrivain qui répond à un interview et avoue son plus grand fantasme :

 devenir immortel, puis mourir. 

 

C'est ce qui arrive à l'écrivain que Thomas Mann met en scène dans "La mort à Venise", texte infiniment ciselé,virtuose, au service d'un romantisme presque désuet à l'époque ou Mann écrit (après la première guerre mondiale). 

 

Un écrivain de renommée mondiale,solitaire, d'âge mûr, allemand, est saisi soudain par une envie de voyage pour réveiller son inspiration. Il bifurque vers Venise. Une fois là-bas, lui revient le souvenir d'un malaise qu'il y avait connu, il a envie de partir très vite et remballe ses bagages.

Mais la vision fulgurante d'un jeune adolescent polonais, blond, ange d'une beauté incandescente, le stupéfie, le retient là, l'inspire au plus haut point (jusqu'à frôler le ridicule dans certaines envolées lyriques).

Il y attrape le choléra et meurt, après avoir joui de la contemplation chaste de la beauté du garçon, y avoir puisé une revitalisation qui s'abîme dans la maladie aux effets fulgurants. Leur seul contact sera de se croiser et de se regarder dans les yeux. Mais l'écrivain aura la sensation d'avoir connu l'incarnation de la parfaite beauté.

 

Une lecture contemporaine du texte s’interrogerait et polémiquerait sur la pédophilie sous-jacente dans le roman. Et pour le lecteur du XIXème siècle que je suis, la question ne peut pas être écartée au cours de la lecture, l'empathie avec l'écrivain est bloquée par cet aspect. On pourrait même voir le lyrisme du narrateur et de l'écrivain dont il décrit l'évolution psychologique comme une tentative d'anoblir, par un registre mythologique, ce qui peut se résumer à une pulsion salace intolérable.  

Ce n'est pas ce qui intéresse Mann et il faut aussi s'efforcer de recontextualiser le texte, rédigé en un temps où la pédophilie n'est pas un sujet "de société". La fascination pour l'adolescent de l'écrivain n'évoque pas, d'autre part, de pulsion sexuelle, même si le corps est au centre de tout en cette affaire. 

 

Même si les rêveries de l'écrivain le ramènent aux relations de Socrate à ses jeunes disciples, le texte n'est pas d'essence platonicienne, ce me semble, mais propose une autre lecture des amours socratique que celle de l'Idéalisme philosophique radical de Platon. La beauté s'y incarne en un corps délicat et magnifique, à la limite de la fébrilité (on est loin de la caricature de la beauté "à l'allemande" qui prévaudra plus tard sous le totalitarisme), dont les mouvements fournissent un accès direct au Beau, sans trahison.

 

L'écrivain allemand n'est pas dans la caverne où il regarderait une ombre chinoise, il est en plein soleil. Le corps de l'adolescent est un véhicule fiable vers la beauté. Le corps ne dégrade pas l'Idée de la beauté, il est chair, et chair en harmonie avec la nature, le visible. Au contraire il déclenche l'ivresse dionysiaque d'un écrivain qui rajeunit au contact de cette simple contemplation quotidienne du jeune adolescent. On retrouve ici le Mann disciple réclamé de Nietzsche. 

 

Mais que reste t-il alors, sinon mourir ? Le titre n'est pas fortuit; il s'agit bien de voir la beauté à Venise et de mourir. Presque instantanément, le choléra frappant sans délai, après que la beauté ait été perçue (le jeune adolescent va partir). L'écrivain, par un premier malaise, sent qu'il faut fuir la ville, il le ressent ensuite à travers des signes, son intuition d'artiste qui sent que la ville frémit, mais il ne part pas.

 

Pour l'artiste, la beauté vaut mieux que la vie, ou plutôt la beauté c'est la vie, et même l'éternité évoquée par Melville dans l'extrait d'"A bout de souffle" que j'évoquais. Et il vaut le coup de voir la beauté en face et d'en finir.  Portrait radical de l'artiste. Doit-on considérer une face morbide dans la démarche artistique, un nihilisme peut-être. Une fuite ?

 

Pour Rimbaud, je m'en rappelle, l'éternité, "c'est la mer allée avec le soleil". L'adolescent qui joue sur la plage offre cette idée de l'éternité. Il ne reste donc rien de plus à vivre. Le but est atteint. Pourquoi fuir le choléra alors ?

 

Pour Rimbaud, une fois la beauté rencontrée, par les Illuminations, alors il revenait de se taire. Puis de mourir au bout du compte, après l'avoir bien cherché. A Marseille et non à Venise.

 

On note  que l'écrivain attrape le choléra en mangeant des fruit avariés, et en cédant à l'appel de la chair, ce qui malgré le nietzschéisme de l'auteur, rappelle le bon vieux schéma coupable de la genèse. Malgré ses lectures, peut-être, Mann n'échappait pas à la culture corsetée de la bourgeoisie allemande de son temps.

 

La recherche effrénée d'un apogée de vie, donc, à travers la contemplation joyeuse de la beauté, conduit à la mort. La vie à son sommet, appelle la détente dans la mort. Une vieille idée romantique, mais qui se retrouvera aussi dans le freudisme. 

 

 

 

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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