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6 avril 2014 7 06 /04 /avril /2014 23:17

 

La science fiction est un genre puissamment politique. Nous en avons la confirmation avec "World War Z" de Max Brooks (le fils de Mel.. Ambiance au repas de famille...).

 

Elle joue le rôle du laboratoire manquant dans les sciences sociales. En soumettant les hommes, et les sociétés à des torsions gigantesques, elle essaie de manifester de manière spectaculaire des effets de vérité.

 

En trouvant la solution pour insérer son histoire dans le futur immédiat, Max Brooks parvient à tout déstabiliser en parvenant cependant à interroger les sociétés contemporaines. L'effet de réalisme est ainsi sidérant. Nous vivons la stupeur des humains qui peuplent le livre. Il s'agit de nous.

 

Dans ce roman, l'humanité est exposée, sans s'y attendre, à un péril vital extrêmement violent. A une pandémie débordante. Mais cette épidémie est toute particulière... Elle est inextinguible si nous ne trouvons pas une solution, elle crée un ennemi à combattre, un ennemi acharné qui ne connait aucune limite ni la peur, ni la douleur. Et qui ne peut être tué que d'une seule façon, en détruisant son cerveau. Un ennemi qui n'a aucun besoin sinon celui de nous dévorer et de nous transformer en l'un de ses semblables immédiatement disponible pour continuer la destruction. Cet adversaire redoutable, imprévu, bouleversant tous les schémas de la guerre, c'est le zombie. La goule. Le Mort vivant. Surnommé Zack ou bien "G". Il est terrifiant évidemment, hideux, et il est une part de nous-même, incompréhensible, obscure.

 

Le livre est un rapport de l'ONU recueillant des témoigagnes alors que l'humanité a finalement gagné la guerre même s'il reste quelques millions de zombies sur terre, mais contenus et éliminés progressivement, chassés des zones de densité démographique humaine.

 

Le rapporteur va donc visiter le monde entier, pour interroger les survivants d'un monde détruit, qui renait doucement et où les rapports de forces ont été déplacés par le conflit. Soldats et vétérans, pères de famille, prêtre, profiteurs de guerre, survivants isolés, évoquent le présent mais aussi toutes les phases de la guerre, des prémisses de l'épidémie à la phase de grande panique planétaire, suivies du rétablissement d'un équilibre dans le conflit qui tournait à l'avantage des zombies. Puis la reconquête est amorcée et vient à bout du fléau. Mais les dégâts psychologiques, sociaux, sont incommensurables, même si on peut aussi trouver du positif dans le leg de la guerre.

 

Ce voyage mondial dans l'horreur et la résistance est une grande réflexion sur le fonctionnement des sociétés et les ressorts psychologiques individuels et collectifs. Face aux périls les sociétés ont tendance à retrouver leurs spécificités, leurs vieux repères. La Russie ne réagit pas comme les Etats Unis ni comme la Corée du Nord (la situation locale la plus stupéfiante du livre).

 

Très vite, les pays sont débordés par cet ennemi qui pullule en leur sein, ne s'arrêtant jamais d'attaquer. C'est la débandade. Le forces armées essaient de réagir avec leurs méthodes habituelles, dont on constate vite l'inadaptation. Tout est à revoir, dans l'urgence et le risque de désorganisation complète à court terme. La panique est inévitable, et parmi les fuyards les contaminés (mordus) sont légion.

 

Mais si les humains ont bien des désavantages sur les zombies dans la lutte, dont la peur, la fatigue, la vulnérabilité, la nécessité du ravitaillement, ils disposent de la raison, alors que les goules ne fonctionnent qu'à l'instinct de dévoration. C'est cet élément clé qui sera décisif.

 

La raison va permettre l'adaptation, et le partage des expériences en particulier. Elle permet de s'améliorer en fonction de l'expérience. Un mouvement effectué au prix de choix dramatiques qui pose la question éthique de manière cruciale, car le repli stratégique suppose d'abandonner des centaines de millions d'humains aux zombies, pour avoir une chance de sauver l'espèce.

 

Une fois le repli effectué, ce qui supposait déjà de reprendre pied pour faire prévaloir l'esprit d'anticipation et le discernement, l'humanité va entamer une transformation indispensable pour survivre et contre attaquer. Tout devra être révisé. D'abord dans l'improvisation puis de manière coordonnée politiquement. Dans le malheur incommensurable, une petite chance sera saisie : les zombies gèlent l'hiver, ce qui donne un semblant de répit aux humains qui se déplacent du coup vers le nord.

 

Max Brooks parvient à écrire un livre frappant, de par son réalisme, la précision des éléments pratiques fournis par les témoins, la diversité des points de vue dans le conflit, présentés habilement sous la forme de témoignages oraux recensés, donc très vivants. On a l'impression de lire de véritables chroniques de guerre, très crédibles, angoissantes. Au fait... La France s'en tire très mal...

 

Nos modèles de civilisation sont contingents, effroyablement fragiles. Nous aurions tort de les penser éternels, de les fétichiser. Une épidémie peut les abattre au prix d'une hécatombe. En lisant World War Z on pense inévitablement aussi, devant ces flots de réfugiés, cette inadaptation technologique, cette impossibilité d'échapper à la menace, au réchauffement de la planète.

 

Nous devons aussi prendre conscience de notre dépendance, dans cette immense division du travail qui est la nôtre, et du fait de notre aliénation face aux technologies. Dans World War Z, on survit parfois aux zombies mais pas à la nécessité de la survie dans la nature.

 

Faudra t-il attendre le début de la catastrophe pour essayer d'organiser la survie ? Devra t-on nous aussi sacrifier une partie immense de l'humanité plutot que d'anticiper et de modifier dès à présent nos modes de développement ?

 

On pourrait aussi voir ces zombies comme une forme d'auto destruction de l'humanité, car n'oublions pas que le zombie est produit par l'humain au contact d'un virus (dont on ne sait rien d'ailleurs). Une métaphore violente de la pandémie dépressive qui frappe notre époque par exemple. Max Brooks nous parle t-il de notre zombification culturelle et morale ? Et des changements qu'elle requiert si nous voulons continuer l'aventure humaine ? C'est une lecture possible.

 

Ce n'est pas un hasard : un des témoignages est fourni par un astronaute qui a vécu tout le conflit depuis la station spatiale. De quoi donner un cadre imagé à l'idée d'une Terre Patrie qui est notre bien commun, et ou nous devons prendre soin les uns des autres au risque de tous sombrer.

Le péril global, sérum de vérité ("World War Z", Max Brooks)
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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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