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4 novembre 2015 3 04 /11 /novembre /2015 14:32
Mendès ou la dignité - texte paru dans la Quinzaine littéraire
Mendès ou la dignité - texte paru dans la Quinzaine littéraire

L'excellente "Quinzaine littéraire" m'a fait l'honneur, en lien avec la famille de Pierre Mendès France, de me confier la chronique de la réédition des mémoires de guerre de PMF, dont j'avais évoqué une ancienne édition sur ce blog, qui leur avait plu au cours de leurs recherches. Belle rencontre qui m'a permis de renouer contact avec Mme Joan Mendès France dont je fus l'étudiant il y a deux décennies, et son mari Michel, fils de PMF, ceux-ci se consacrant à faire connaitre l'action de l'ancien Président du Conseil.. Sans doute - je dis cela pour mes quelques lecteurs réguliers- me retrouverez- vous périodiquement dans cette revue de référence, sans concession autre qu'à l'amour de l'art, à laquelle je ne peux que vous inciter à vous abonner. La presse critique authentique a besoin de soutien, pour qu'une autre parole que celle du marketing existe dans notre domaine de passion.

 

Voici donc l'article signé de ma part, paru le 1e novembre 2015 dans la "QL"

 

Mendès ou la dignité

Liberté, liberté chérie, Pierre Mendès France. Ed Démopolis.

 

Nul n'est tenu d'être modéré en politique. Mais toutefois de reconnaître qu'en des moments tragiques, certains "modérés" manifestent au plus haut point une radicalité admirable. Sans doute est-ce une certaine sagesse qui les incline à la nuance et leur offre simultanément le secours d'une lucidité implacable quand sonne l'heure du combat. Jean Moulin était un modéré. Pierre Mendès France aussi. Il arrive qu'on se réclame de "PMF" pour prôner le refus de la rupture comme une essence indépassable politiquement. On ne lui rend pas justice en ce cas.

 

La lecture de ses mémoires de début de guerre, intitulées "Liberté, liberté chérie ", salubrement rééditées en une édition de référence richement documentée, par la maison démopolis avec le concours de la fondation Jean Jaurès, de l'Institut PMF et la contribution active de la famille, offre une image différente de celle d'un "grand homme" canonisé parfois par des élites pas forcément à la hauteur de leurs admirations.

 

Le Président du Conseil qui exfiltra intelligemment la France de la nasse indochinoise fut pendant la deuxième guerre mondiale un exemple de témérité, de probité ; et en refermant ces étonnants mémoires de lutte , on méditera sur les profonds courants souterrains qui ont creusé le gouffre entre ce type de "politique" et celui qui domine en notre temps. Même si ce sont sans doute les moments exceptionnels qui révèlent les trempes admirables et que notre génération de dirigeants n'a connu de drame historique que le vote d'un pourcentage de TVA. Nous vivons bien des tragédies, mais à bas bruit étouffé par l'édredon consumériste, pas des guerres de mouvement impliquant toute la nation.

 

Il y a une parenté étrange et fortuite entre Mendès, le député incarcéré à Casablanca, et Victor Laszlo, le personnage du résistant dans le film... "Casablanca", tourné à la même époque. Le même dévouement total à la liberté.

 

"Liberté, liberté chérie" est certes un livre à finalité politique, marqué par les circonstances, qui cherche avant tout à favoriser la légitimité de la France Libre gaullienne. Il parait aux Etats-Unis en 1942. Mais c'est un livre très personnel aussi. Pour ceux qui ont vu "Le chagrin et la pitié" d'Ophuls, où Mendès témoigne sur cette même période, ils retrouveront la même élégante hauteur de vues, cette noble modestie, cette distance parfois ironique mais jamais haineuse.

 

Pendant cette guerre, qui commença si difficilement pour lui et le mena ministre dans le gouvernement provisoire de libération, Mendès fut héroïque et sans hésitations. Il confie avec dignité la mélancolie qui le submergea pendant ses trois cents jours de prison , victime d'un mensonge d'Etat ignoble et de l'antisémitisme institutionnel, mais il tient debout. Pourquoi donc ?

 

Sans doute c'est ici qu'on reconnaît les êtres d'exception. En eux il n'y a pas de dilemme douloureux entre les principes et l'intérêt personnel, car leur élévation spirituelle a fusionné ces deux dimensions. C'est là où se ressource une honnêteté déconcertante pour un politique, par exemple quand il concède dans une post face avoir sans doute forcé le trait sur la rupture précoce entre français et Vichy , car son objectif est de légitimer la résistance aux yeux des alliés.

 

Certes, dans cette épreuve- et il se moque de lui-même à ce propos-, il pêche par naïveté et légalisme face à l'oppresseur, en se laissant incarcérer par souci de s'expliquer. Il attend le jugement de la cour de cassation pour s'évader... Mais dès le premier jour de la débâcle, il n'hésite pas. Pilote dans l'Armée de l'Air, il veut se battre les armes à la main. Il affronte sans ciller les magistrats chargés de l'habiller en traître juif, surmontant sa peur pour mener la bataille politique, et les humilie. Il a un comportement admirable en prison, parvient à s'évader en échafaudant un plan minutieux et brillant. Puis avant de rallier Londres, via la Suisse, l'Espagne et Lisbonne, prend le temps de mener une enquête fouillée à grande valeur historique sur la France occupée. Il s'engage ensuite dans une unité de combat, et ce député risque lourdement sa vie dans des missions de bombardement.

 

Quand Mendès écrit, lors d'une escale aux Etats Unis début 1942, le sort de la guerre est indécis. Mais il a déjà compris, comme de Gaulle, que la défaite des nazis est inévitable. Il avait aussi anticipé le succès des soviétiques.

 

C'est un document précieux sur la vie quotidienne en Afrique du Nord et en France en 40-41. Mendès expose longuement, avec force détails, les conditions de vie, dans les villes, les campagnes, les prisons. Il évoque même l'homosexualité pénitentiaire, sans préjugés et avec empathie pour les hommes qu'on sépare... rare attitude sans doute en cette époque. Mendès, grimé, observe la France incognito durant sa "cavale". Et on perçoit les souffrances majeures imposées par l'occupant et Vichy. il parvient, tout en étant traqué, à repérer les premières formes de la Résistance.

 

Parmi les multiples intérêts du livre, on soulignera les portraits acérés des magistrats pathétiques et cruels chargés de la répression. Ils montrent l'acuité psychologique de l'auteur... on sait depuis "Le Prince" que c'est la première vertu du politique.

 

Autre signe d'un esprit hors du commun : la perception immédiate de ce qui s'abat sur les juifs. Mendès, par ses origines et sa foi y est certes sensible. Mais il décrit le processus tout à fait clairement, soulignant que Vichy a surabondé par rapport aux lois allemandes. S'il ne sait pas que le projet d'extermination a commencé, il attire l'attention sur les déportations vers l'Europe de l'Est. Son intuition vise juste.

 

L'ouvrage dessine la cohérence d'un patriotisme de gauche, républicain, dans sa différence irréconciliable avec le nationalisme. Un patriotisme comme une évidence : un peuple sous occupation n'est plus libre d'exercer sa souveraineté : l'unité de tous pour la liberté doit s'imposer. La Nation est un espace démocratique indissociable de la souveraineté populaire. D'où le ralliement immédiat de cet homme à la France Libre. Tout de suite, Mendès embarque sur le "Massilia" parti de Gironde avec de nombreux politiques, militaires, fonctionnaires, pour aller continuer la lutte en Afrique du Nord, tombant dans un guet-apens cynique , les collaborateurs transformant cette traversée en désertion.

 

Oui, Mendès fut un modéré. Mais un modéré capable de dire des vérités cinglantes aux juges infâmes chargés par Vichy de le condamner. Capable de s'enfuir pour combattre, prenant le temps de récolter une information précieuse au péril de sa vie. Capable d'entrer en lutte sans la moindre tergiversation, alors qu'il est inquiet pour sa famille. Cette catégorie là de modéré, rare, préfère certainement, et le titre du livre nous en informe, la liberté à l'égalité. C'est que la liberté, sauvée, laisse ouvert le champ du possible, et permet toujours de se mouvoir vers l'égalité. Ce qui devient impossible dans une société pénitentiaire. A cet égard Pierre Mendès France, par son exemple et ici sa plume, prend place auprès des grandes voix de son siècle face au totalitarisme. Aux côtés d'Orwell, Koestler ou Arendt à d'autres titres.

 

Il était donc temps de voir resurgir "liberté, liberté chérie" en nos librairies. En un euphémisme dans l'esprit de Mendès, on pourrait dire que les exemples de dignité faite homme, en nos temps nihilistes, ne sont jamais de trop.

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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