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6 septembre 2017 3 06 /09 /septembre /2017 00:17
Point Godwin du marché éditorial - "La disparition de Josef Mengele"- Olivier Guez

Il ne sert à rien de critiquer négativement les livres qu'on lit. Il y a tellement de bons livres à défendre. Je passe, la plupart du temps. Mais voila, parfois, la critique négative apporte, en contraste, certaines réflexions utiles. Et puis, certains livres bénéficient, comme celui dont on va parler ici, d'amples louanges. Donc un contrepoint, même dans son coin inaudible, ne porte atteinte à personne. Mais ce qui peut être dit mérite toujours d'essayer de l'être.

 

Je ne sais qui a eu l'idée de cette "Disparition de Josef Mengele" qui fait carton plein dans toutes les chroniques de la rentrée littéraire 17. L'auteur a peut-être le sens de ce qui touche juste pour toucher le jackpot. Ou l'éditeur.

Il est certain que depuis 'Les bienveillantes", le livre qui nous conduit à côtoyer de près les nazis dans la veine de "la mort est mon métier" de Merle a repris sa place dans les rentrées littéraires. Il y a eu le livre réussi de Laurent Binet sur Heydrich. Il y a aujourd'hui cette chronique de la fuite de Mengele, le médecin infâme d'Auschwitz.

Mais celui-ci ne me paraît pas une oeuvre de grande qualité. Il me semble juste céder, certes habilement, à une tentation de succès appuyée sur la fascination du morbide. Fascination, dont d'ailleurs, paradoxalement il se gausse sincèrement (la poutre, la paille.... Toujours la même histoire), quand il évoque les sous james bond qui utilisaient autrefois des fantasmes sur le docteur de la Mort.

 

Le grand critique Antoine Albalat avait écrit un essai sur le bien écrire, défini à partir de son contraire. Et on peut procéder de la sorte pour se demander ce qu'est un bon roman.

Est-ce un puits de documentation? Comme l'est certainement le livre de Monsieur Guez. Non. Une synthèse documentaire,même joliment rédigée, n'est pas un grand roman.

 

Est-ce de dénoncer le mal ? D'une certaine manière le livre dénonce, il montre l'incapacité totale de Mengele à se remettre en cause, son fanatisme continué, sa mauvaise foi infinie, sa cruauté fondamentale. Et bien cela ne suffit pas non plus Un grand roman ne tient pas à la justesse de ses idées ou à sa valeur morale.

 

Un grand roman a besoin d'un point de vue. 

Un grand roman a besoin d'une épaisseur humaine, qui peut d'ailleurs procéder paradoxalement du minimalisme.

Un grand roman a besoin d'aller là où seule la littérature peut aller.

 

Ce "roman vrai" sur Mengele ne me semble détenir aucune de ces qualités.

 

La chronique n'a pas de point de vue particulier. On nous raconte la fuite d'un rat qui se terre. Mais qu'est-ce que l'auteur a à nous dire de spécifique à ce sujet ? Rien.

 

L'épaisseur humaine des personnages est inexistante. Même celle de Mengele. Et ce n'est pas en inventant certains de ses rêves, d'ailleurs ridiculement cousus de fil blanc, que l'on y parvient.

 

Enfin, à part le confort du lecteur, la forme romanesque n'apporte rien de plus qu'un long essai documentaire. Ou pas assez. D'ailleurs on peut être critique sur l'indistinction que l'auteur laisse flotter entre ce qu'il a recueilli et l'imaginaire. Les bons "romans vrais" savent teinter ces distinctions pour nous permettre de nous y retrouver.

 

L'absence de travail réel sur la langue procède en réalité de ces éléments. Car le style est la marque de la singularité.

 

Alors oui, on s'étonnera un peu, si on ne s'est pas intéressé au cas Barbie par exemple, de la facilité avec laquelle les criminels nazis ont évolué, surtout dans l'immédiat après-guerre, en amérique du sud.

On découvrira l'aspect ignoble du peronisme, qui alors même qu'il séduisant des gens comme le jeune che guevara, couvait les plus grands tortionnaires nazis.

On découvrira quelque peu ces nazis d'outre atlantique, dont Roberto Bolano se moque tant dans 'la littérature nazie en amérique", qui sont tout étonnés quand les exilés leur disent que oui, les crimes dénoncés par l'ONU sont bel et bien réels, et qu'il faut en être fier. On redécouvrira le malaise au sujet d'une Allemagne qui a largement contourné l'épuration, dont la Police post 45 est noyautée par les anciens nazis. On sera un peu nauséeux en découvrant les motifs qui ont permis à ces criminels de s'en sortir.

 

On apprendra toujours des choses, qu'on peut aussi lire dans des tas d'essais à sensation sur l'espionnage. Ou on verra une certaine part de vérité rétablie, par delà les fantasmes. 

Mais à quoi tient finalement le livre ? A la fascination pour le monstrueux, essentiellement. Même si l'auteur ne joue pas trop avec cela. Un peu, parfois.

 

C'est un livre court et on sent tout de suite qu'il l'est trop. J'ai songé au contraste avec un grand livre que j'ai lu il y a quelques mois, de Munoz Molina, sur la cavale de l'assassin de MLK, un fasciste (voir dans ce blog). Les différences sautent aux yeux. Munoz Molina plonge totalement dans la peau de ce personnage détestable, s'acharne à le comprendre, par le corps, par toutes les traces qu'il laisse. Loin de la superficialité qui touche ici Mengele. Un bon auteur est un obsédé. Pas uniquement un bosseur.

 

Munoz Molina, comme Binet pour Heydrich, font de leurs livres des tunnels d'interrogation sur l'esprit de résistance, sur l'acte d'écrire sur les sujets qu'ils choisissent. Guez n'est jamais qu'un chroniqueur absent, et on aurait aimé le voir se débattre avec son envie d'écrire sur Mengele. Cette envie ne va pas de soi. Aller là ou cette ordure s'est cachée a un sens. On aurait souhaité le voir se dépatouiller de cela. Non, malheureusement.

C'est le signe : l'objet s'est imposé comme une évidence, parce que ça se fait, ça marche, c'est bankable. C'est louable au regard du devoir de mémoire.

 

Ce qui est louable ne suffit pas à donner naissance à un grand roman. Mais ici à une oeuvre anecdotique. Au prix d'une implication certainement très forte.

Mais pourquoi ? Pour faire un livre qui n'existait pas ? Mais pourquoi écrire ce livre là ? C'est ce qu'a manqué l'auteur. Il aurait aussi pu, comme dans "les bienveillantes", nous plonger dans le chaos. Il n'a pas non plus choisi cette voie difficile. Finalement, malgré l'effort documentaire, le livre a sans doute pâti d'un manque d'ambition.

 

En réalité, me dis-je, est-ce que cette histoire là a le moindre intérêt ? 

 

Un salopard de la pire espèce se terre avec l'aide de complices fanatiques. Il a de plus en plus de mal à se cacher, parce que la stupeur passée, on s"intéresse au passé. Il s'étiole dans son exil. Oui, et ?

Et c'est tout. Les péripéties de la vie de Mengele après la guerre n'ont guère d'intérêt. Ce pauvre type a plongé dans l'angoisse, a gémi, s'est caché. 

Je ne sais pas si ce destin minable mérite quoi que ce soit de construit.

C'est peut-être cela que l'auteur aurait du aborder.

 

Et puis il y a cette fin irritante, qui assène. Ou l'on règle en deux phrases son sort à l'humanité. Cela semble camper une lucidité admirable que de prétendre que toutes les deux ou trois générations on massacre tout le monde. C'est un peu court. Il faudrait nous en dire plus. Freud, dans "Malaise dans la civilisation", par exemple, nous en a dit plus. Qu'est ce que ça signifie de balancer, comme ça, que l'humain est une entité horrible ?

 

Rien n'est moins certain. Parce qu'il n'y avait pas que des Mengele quand Mengele vivait. Et puis, Monsieur Guez, vous oubliez que l'on n'a pas du tout attendu deux ou trois générations. Ca ne s'est jamais arrêté. Tout comme la bonté ne s'est jamais arrêtée elle aussi.

 

 

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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