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18 mars 2019 1 18 /03 /mars /2019 13:34
L'Autre mystique- Laure - La sainte de l'abîme - Elizabeth Barillé

 

"Mon temps le plus chrétien, c'est auprès de toi que je l'ai vécu"

 

Colette Peignot, à Georges Bataille.

 

Ce n'est pas un roman de Sade, mais une vraie vie, que raconte Elizabeth Barillé, dans un récit très bien équilibré et fluide, psychologiquement percutant, "La sainte de l'abîme", consacré à Colette Peignot, dite Claude Araxe, dite Laure.

C'est ainsi que pour la concernée, Sade était logiquement la voix de la vérité. 

1939, Bataille et Leiris, déposent des manuscrits chez un éditeur sans rien dire de plus. Ces manuscrits sont de "Laure", le nom qu'elle se donna. Ils n'ont pas l'assentiment de la famille pour les publier. Elle est morte à 35 ans. Elle a vécu enfant, tout près de Ste Anne, dans le 14eme, à côtés des déments. Dans une famillle récemment enrichie dans l'industrie de la fonderie. Elle s'appelle Colette Peignot, mais son second prénom est Laure, comme l'aimée morte et pure de Pétrarque qui fascinait le Marquis de Sade. Elle grandit dans une demeure impeccable, peuplée de ses frères et soeur, elle est cadette, de domestiques, d'une mère régnante et d'un père sensible qui cherche à s'oublier dans le travail. Ele reçoit une prime éducation de droite. Il ne faut pas parler aux gens qui ne sont pas de sa condition, et les juifs sont des gens pernicieux, comme ce capitaine Dreyfus.

Colette est pourtant amie avec la femme d'une domestique. Et cette amie se suicide. On ne doit pas pleurer. C'est ici que Laure commence, sans doute, à entrer dans sa propre nuit. 

Elle est gâtée, mais suit une éducation stricte, telle que celle de Simone de Beauvoir la décrit dans ses propres mémoires. Son école corsetée s'appelle, comme un aveu refoulé, "le cours désir". Heureusement il y a la maison de campagne, la nature et la liberté. Et une connivence avec ce père dépressif. C'est une part de bonheur pour la jeune fille. C'est encore le "théâtre bourgeois de l'insouciance" selon Elizabeth Barillé.

 

1914. Fin de l'insouciance. Le père et ses frères sont envoyés à la guerre. Un oncle meurt pendant la bataille de la Somme, d'entrée. Le père de Colette est effondré, et demande à être affecté dans le régiment de son frère défunt, ce qui est suicidaire.  

1915, un second oncle meurt pour la Patrie. Le grand frère de Colette veut aller à la guerre. Père est sur le front. Sa dépression s'envole, et se tranfère, jusqu'au délire, sur la mère de Colette. Et puis le père héroïque meurt. On met du temps à retrouver son corps, qui pourrit dans un no man's land. Colette sent en elle l'abîme s'ouvrir. Mais elle reste froide, de l'extérieur. Elle s'en veut de ne pas souffrir assez. Un autre oncle rentre, blessé. Il meurt aussi. Tout n'est que mort. Et théâtralisation de cette mort, visites bourgeoises de condoléances, et gloriole, même, de ces morts. Sa tante meurt aussi. Colette contracte la tuberculose. Elle voisine avec la mort, sans cesse. Et maintenant la souffrance et le fièvre. Elle devient contemplatrice, et développe un monde intérieur, comme d'autres tuberculeux (Barthes).  

 

Il y a un curé, qui fréquente la famille depuis l'avant-guerre, l'Abbé Pératé, animateur de bonnes oeuvres, qui a pris l'ascendant sur cette famille, et encore plus depuis qu'il n'y a plus d'homme, mais une mère aux abois qui lui permet tout. La pandémie perverse des curés fait du bruit aujourd'hui, mais elle leur est consubstantielle. Il se met d'abord à tripoter la grande soeur  puis Colette. La grande soeur vit les attouchements dans la soumission, Colette dans le dégoût. Elle perd brutalement toute foi, dénonce le curé à son frère qui revient du front, puis à sa mère. Les conventions s'effondrent. La mère essaie de marier sa grande avec un ... proche du curé, pour sauver sa vertu. L'aînée tente de se suicider.

 

Pour Colette, toute morale bourgeoise est le mal absolu. Cette morale, c'est la guerre, la mort, la domination, le viol. Le reste de sa courte vie sera tourné contre cela, de la manière la plus radicale possible. Elle commence par lire, pour trouver les moyens de se sortir de cet univers. Gide. Sa correspondance ne parle plus que de désir de brûler la vie, elle lit Nietzsche qu'elle s'approprie intimement. Elle fréquente un peu le Paris branché de l'époque, via son frère, devenu un peu libertin, de la camelote gentillette pour sa soeur. Elle donne des signes névrotiques régulièrement.

 

Puis c'est la rencontre de Jean Bernier, ami de Drieu. Blessé de guerre, pacifiste, il participe à la revue Clarté, mais il est trop libertaire pour rejoindre le naissant Parti Communiste. Elle tombe amoureuse de lui, et elle n'y pas par quatre chemins :

“ Je veux boire votre sang à votre bouche".

Lui est en crise, avec les premiers doutes sur la révolution dans les années 20, il a besoin de sa fraicheur, elle est inexpérimentée et s'éduque à l'amour. Elle devient révolutionnaire, au grand dam de sa famille. Mais Bernier n'est pas aussi accro. Elle cherche la passion. Celle, proposée, par les surréalistes, lui paraît mièvre, infantile, des jeux de potaches... Comme à Bataille. Mais ils ne se sont pas encore croisés. 

 

Elle erre, Bernier la repousse pour son ancienne compagne, prolétaire. Colette marche, seule, en Corse, en France.  Elle s'isole et elle lit.  Elle retombe malade, c'est la tuberculose qui reprend ses droits semble t-il.  En 1927 suite à une indifférence de Bernier, elle essaie de se tirer une balle dans le coeur. Elle échoue. Elle en sort décidée à s'émanciper encore plus. Elle lit Montaigne, encore, y retrouve l'idée stoïcienne de s'avancer vers la vie, qui est un combat. Elle va contester la part d'héritage que sa mère a mis de côté jusqu'à son mariage...  Elle obtiendra en partie raison. Mais sa maladie la poursuit. C'est le sanatorium, en Suisse. Le flirt avec la mort.

"Colette en a bel et bien fini avec le souci de soi. À présent, elle va tout oser, tout risquer, répondre aux appels les plus sombres, dire oui à tous les fantasmes... Seule la mort est réelle. Tout le reste n’est rien..."

 

Il y a l'épisode Edouard Trautner. Médecin et écrivain allemand. Elle l'a sans doute croisé au sana. C'est avec lui qu'elle glisse vers la débauche, vers le très "hard". On en sait plus sur ses façons que sur celles de Bataille plus tard. Il aime dominer les femmes qu'il habille en bourgeoises, c'est à dire en "chiennes". La haine de la bourgeoisie prend alors une forme à la fois vengeresse, pour lui expiatoire ,et libératoire (vis à vis de la famille) pour elle.  On est déjà en plein Bataille.. L'angoisse de l'horreur se conjure en y plongeant. C'est d'ailleurs ce que conseillent les psychologues : provoquez vos angoisses, elles montent, puis disparaissent d'elles-mêmes. Evidemment, on peut aussi voir dans les pratiques de Colette la contrainte de répétition. Soigner le mal, du curé, par le mal choisi.

Comment ne pas voir l'équivalence avec le mysticisme que l'ancienne chrétienne est censée repoussser, comme son futur compagnon, Bataille ? Qui s'inflige autant de supplices, sinon précisément, les mystiques ? Un mysticisme sans Dieu.

Elle finit tout de même par s'enfuir de Berlin.

 

Elle veut aller à Moscou. Elle rejoint à Paris le Cercle démocratique de Boris Souvarine, où Bernier est présent. Souvarine est une légende. C'est lui qui a rédigé la motion de scission du PC de la SFIO. Il a tout de suite pris le parti de Trotsky sans se rallier à lui, étant critique sur l'évolution du Komintern, alors que Lénine était encore là. En France, il anime un cercle et un bulletin anti stalinien. Il conseille à cette drôle de jeune bourgeoise de prendre des cours de russe si elle veut aller voir Moscou.

Elle y file, munie d'un prétexte fourni par les activités économiques de son frère. Elle vit chez l'habitant à Moscou, découvre la dureté de la vie des russes. Elle veut s'enfoncer en Russie. Victor Serge la présente à Boris Piliniak, responsable de l'Union des Ecrivains, oppositionnel, qui le paiera de sa vie, et qui commence à se sentir encerclé. Elle a une liaison avec lui, l'enjoint de l'accompagner, pour voir les réalités de la collectivisation forcée. C'est dangereux à tous égards (y compris pour sa santé). Les occidentaux sont évidemment détournés de l'immense oeuvre de déportation de masse ordonnée par Staline; Colette Peignot parvient à en voir des aspects.  On ne sait pas trop ce qu'elle fait, voit ou pas. Bataille prétendit qu'elle travailla dans une ferme collectivisée. En tout cas, Pilniak doit la faire admettre à l'hôpital, et son frère vient lui-même, pour la rapatrier.

 

A  Paris, déséspérée, elle plonge à nouveau dans les pratiques berlinoises. Elle se donne au premier croisé, s'avilit. Souvarine va alors lui offrir son soutien, lui qui n'a rien d'un débauché.  Elle l'admire. Lui, il l'aime. Ils vivent ensemble, Colette s'éloigne de sa famille encore plus, et avec son argent, elle aide Souvarine à fonder la revue Critique Sociale. On y trouve Queneau, Leiris,  Simone Weil, et le sulfureux Bataille. Colette est essentielle à la vie quotidienne de la revue, où elle s'engage pleinement et écrit des critiques littéraires. Elle signe C.P puis Claude Araxe, le nom d'une rivière furieuse dans l'Enéïde. Ses écrits érotiques seront signés du nom de Laure. Elle écrit aussi ailleurs, des articles radicaux contre le stalinisme, alors que Boris travaille à sa fameuse biograpie incendiaire de Staline. Elle se bat pour la libération de Victor Serge. Mais elle intimide. Elle est au fond des salles. Elle parle peu, ou alors de manière austère et sévère.

Il y a là Simone Weil. Ceux qui la fréquentent ont déjà compris l'intelligence hors pair de cette drôle petite bonne femme habillée d'une pélerine et de sandales.

Naît une amitié étrange entre Colette et Simone.  Cette dernière est... vierge par choix.  Mais en réalité ce sont deux adeptes de la pureté, qu'elles recherchent par des chemins absolument opposés. Sauf en politique où elles se rejoignent dans l'absence totale de compromission. Elles croient aussi toutes les deux que la pensée est indissociable de l'action, et les vivent. A l'expérience de Colette en Russie, correspond celle de Simone en Usine. Elles ont une même attirance pour la souffrance, pour l'automutiliation. Elles témoigneront toutes deux d'une aspiration au néant, l'une à travers le jeu érotique flirtant avec la mort, l'autre avec l'anorexie. Elizabeth Barillé ne parle pas de masochisme, mais au contraire, malgré des formes proches, de la volonté terrible d'être soi, de s'arracher à ce qu'on a été obligé d'être.

"Valeur cognitive, valeur expiatrice aussi. En plaçant la souffrance au cœur de leur expérience, elles brûlent ce qu’il reste en elles de « résidus bourgeois ». Une façon radicale de payer pour d’anciens privilèges, des enfances protégées, des adolescences mutilées par une guerre". 

Mais les désaccords naissent au sein de ce groupe que Souvarine a créé Ils recouvrent bien plus que des désaccords politiques., ce sont des oppositions ontologiques. Il y a la polarité entre Weil et Bataille, les deux génies du groupe, qui se regardent avec attraction et répulsion (il l'appelle la "vierge sale" mais il avouera que personne ne l'aura jamais autant intéressé). Weil constate que sa vision du monde nouveau n'a rien à voir avec le déchaînement pulsionnel souhaité par Bataille. Et Colette ? Elle commence à se retirer des activités du Cercle démocratique. Le projet rationnel de Souvarine l'a stabilisée un temps. Mais elle rencontre Bataille. Et ils étaient faits pour se rencontrer. Le feu interne qui la brule n'est pas éteint. 

 

Souvarine avait vu juste, en cachant à Colette l'exemplaire qu'il avait lu de l'"Histoire de l'oeil" de Bataille pour ne pas réveiller ses démons. Quand ils se rencontrent, donc, elle ne sait pas qui il est vraiment, ce bibliothécaire sage, seulement trahi par son regard.  Bataille n'est pas romantique. Il n'a rien à voir avec Breton. Mais il cherche la totale transparence. Et Colette aussi. Et elle reconnaît dans Bataille celui qu'il est, sans besoin de preuves. Elle sait aussi qu'avec lui elle pourra être elle, tout à fait. Révolutionnaire et débauchée,.  Un jour elle vient le voir chez lui, car il est malade, et il lui dit tout sur qui il est, tout.

"maintenant je comprenais que quoi que je fasse vous seriez toujours là - vous pourriez toujours me repérer - vous étiez comme l’œil qui poursuivait je ne sais plus qui dans un “ poème ”  lui écrit-elle.

La rupture est douloureuse avec Souvarine, après un jeu de cache cache dans la montagne avec Bataille. Elle aboutit à une crise violente, et à l'internement de Colette.  C'est l'analyste de Bataille qui la sauve.. Elle retrouve Souvarine, qui essaie de la reconquérir, l'emmène en Espagne. La rupture est douloureuse mais pas brutale, étrangement. Pendant un temps, c'est le flou. Elle revient d'Espagne exaltée et anarchiste (ce qu'elle est, comme Bataille).Plus tard elle est arrêtée avec Bataille, par la police, pour une action contre la maltraitance dans les maisons de redressement. Puis elle finit par partir, définitivement, de chez Souvarine. 

Bataille et "Laure" vivent alors à St Germain dans une seule pièce., Monacale. Commence alors une vie où Bataille réclame l'impossible.. Ils vont alors tout partager. L'alcool, les femmes, les excès, tout. Elle voit les humains là où Bataille voit des corps, mais elle suit. Elle obéit à Dieu. Elle le précède, même. Anticipe.  Mais Colette songe encore au bonheur, pas Bataille, qui n'aspire qu'à s'enfoncer encore.

"Tous les obstacles entre l’homme et la femme semblaient enfin tombés. Ils se sentaient nus, vulnérables, infiniment semblables, transparents l’un pour l’autre. Loin, très loin, du mensonge."

Il y a aussi une amitié profonde avec Michel Leiris, vieux compagnon de Bataille. Elle se rapproche de lui quand Bataille va toujours plus loin, se met à chasser seul, pour pêcher encore plus.  Colette s'en épuise."Leiris est, parmi les proches de Bataille, celui qui le connaît le mieux. Il a partagé ses excès, il le sait capable du pire. Colette peut donc lui communiquer sa passion, sa douleur, sans passer pour une névrosée ou une menteuse. Leiris l’intime comprend tout ; il peut donc tout entendre, jusqu’aux cris les plus crus".

Bataille et Colette sont unis par ce secret, celui d'une nouvelle morale, d'une nouvelle religion fantasmée. Cette société secrète qui voit le jour, avec une vingtaine de personnes. On songea au meurtre sacriiciel. Qui ne vint pas. On dit parfois que Bataille était volontaire. D'autres que ce fut Colette, dont le père alla poitrine ouverte au devant de la mort.

Tous deux veulent voir l'Etna, ce déchaînement.  Cela se passe mal. Puis la situation se dégrade. Bataille propose un ménage à trois. "Tu ne trouveras rien au delà de moi" lui dit-elle, hautaine. Ils se désaccordent mais restent ensemble, décidés à boire le calice jusqu'à la lie.

Puis la tuberculose frappe. L'agonie commence. Colette est saisie d'une fièvre d'écriture. Bataille refusera l'entrée de sa maison à un prêtre. La mère et la soeur tentèrent d'obtenir un signe de leur fille, vers la rédemption chrétienne. Leiris dira qu'en mourant, elle fit un signe à l'envers.  Bataille promit de tuer le curé en cas d'enterrement religieux, ce qui persuada la famille d'y renoncer. Il fit ce qu'il fallut, bouleversé par les textes de Laure, pour les publier, se rendant compte de leur proximité intellectuelle, à un point qu'il ne soupçonnait pas. Bataille devint célèbre, et la mère de Colette trouva qu'il aurait été un bon gendre. Bourgeoisie... 

 

 

 

 

 

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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