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19 octobre 2012 5 19 /10 /octobre /2012 22:45

 

ciceron.jpg J'aurais du vous parler aujourd'hui des écrits de Walter Benjamin sur Baudelaire. Mais voila je n'y comprends rien ou si peu. Et ça m'exaspère... Donc, au mieux j'y reviendrai un de ces jours, au pire je livre ces essais littéraires obscurs aux brasiers de Ray Bradbury.... Il est énervant cet attachant Walter. Il use d'un vocable fort simple, on sent qu'il touche à des idées élevées et porteuses.... Et puis le sens file entre les doigts, en tout cas les miens. Rage.

 

Donc je vous parlerai plutôt d'un écrit ultra classique, essentiel, qui a traversé les âges et conserve son efficacité redoutable. "L'Orateur idéal" de Cicéron. J'avoue, je connaissais son propos, mais je viens de le lire de première main pour un motif utilitariste. Quand on a la chance d'effectuer quelque travail dans le domaine de ses passions, on ne se plaint pas. Pas besoin de s'acheter un manuel de com' ou je ne sais quoi de ce genre, Cicéron a tout dit... En 46 avant JC s'il vous plaît. Dans une missive au célèbre Brutus. Cicéron a été souvent considéré comme le meilleur rhéteur de l'Histoire et son éloquence se retrouve dans sa plume. Aujourd'hui nous n'aurions presque rien à ajouter à son propos si ce ne sont des effets de contexte.

 

Cicéron répond à l'interrogation de Brutus qui lui demande (zavaient des discussions cool à l'époque) qui est l'orateur parfait. L'idéal, c'est une question légitime, dans ce monde Antique inspiré par Platon et ses fameuses Idées. Il y a une beauté transcendante qui inspire toute beauté dans le monde. Il y a un idéal du Juste, il y a aussi un idéal de l'éloquence, et la raison peut y accéder.

 

Première leçon définitive de Cicéron : l'orateur doit incorporer la philosophie à sa formation. Manière de dire à la sauce antique que c'est le fond, le contenu, qui comptent. On ne communique pas bien sur du vent et du fumeux, ou alors pas longtemps. Les difficultés de communication tiennent bien souvent à des insuffisances de fond, des incohérences refoulées. Quand on reproche "la mauvaise com" d'un homme politique, on élude malheureusement la source, qui est une orientation bancale la plupart du temps. La forme ne sait pas pallier la faille du fond, et l'adage le dit : ce qui s'énonce simplement, se pense clairement, et réciproquement.

 

Si on ne pige rien à ce que vous racontez, c'est qu'il y a un loup dans la forêt de vos convictions. Reposez-vous les questions de base que propose Cicéron : cette chose existe t-elle ? quelle est sa nature ? Quelles sont ses qualités ?

 

C'est pourquoi un bon communicant, toujours, cherchera à comprendre la nature profonde du message. Et ne se met pas au service de n'importe quel matériau. Un ami à moi, redoutable homme de communication publique, même s'il ne porte pas la toge mais des santiags, possède une carte de visite où il y a écrit : "la communication est le langage d'un projet". Il fait du Cicéron (sans le savoir ? je ne sais pas, je lui demanderai). 

 

La thèse de Cicéron repose sur la distinction entre trois types de styles : le grandiloquent, le pénétrant, le tempéré. Il s'agit d'une palette, mais l'essentiel c'est l'"auditeur" (le récepteur aujourd'hui). L'orateur s'adapte à ses attentes, et à "son bon plaisir".

 

L'orateur prêtera toute attention à trois éléments pour bâtir son discours : ce qu'il dit, dans quel ordre, et de quelle façon il le dit.

 

Il ne se laissera pas enfermer dans des considérations particulières. Il dominera son sujet par sa "latitude". En prouvant le général il prouve "nécessairement le particulier". J'ai ici songé à la puissance particulière des grands orateurs marxistes comme Lénine, qui ont tant fasciné les esprits les plus fins, par ce caractère englobant, capable de relier les phénomènes, de survoler le monde et d'expliquer les péripéties dans un tableau cohérent.

 

Cicéron invite celui qui parle à évacuer les scories, les inutilités, les miettes, les phrases "vides de sens" qui "engendrent des pensées creuses". Tout ce qui est étranger à la cause défendue. Une critique affutée du discours contemporain pavlovien, souillé d'enveloppes vides. Cicéron deviendrait fou devant un talk show.  Cicéron nous incite au contraire à une "sélection draconienne" de nos mots.

 

L'ordre du discours idéal est le suivant : d'abord l'exorde, ce "beau vestibule" où il s'agit de "s'emparer de l'esprit de l'auditeur". Puis on établit "sa position", on esquive et on réfute. Les arguments les plus solides sont placés en avant et arrière gardes. Un discours se conduit comme une bataille. L'orateur est un stratège.

 

Cicéron décrit toutes les catégories décrites aujourd'hui par des experts en communication qui n'ont rien inventé. Com verbale, para verbale, non verbale.... Il distingue pour sa part l'action et l'élocution. L'action, il la qualifie magnifiquement comme "l'éloquence du corps".  A chacun des trois styles fondamentaux du discours, correspond un type d'action. Une voix forte sied au style tonitruant par exemple.

 

La clé, c'est d'être chef d'orchestre, donc d'éviter les dissonances entre les modes d'expression, entre l'expression et le sujet : "rien n'est plus inconvenant que de plaider avec diligence une affaire de gouttière".

 

Au delà des multiples conseils plus ponctuels, d'extrême pertinence, sur le rôle de l'humour (l'orateur n'est pas bouffon), sur la prise de risque de l'orateur ("l'excès est toujours plus choquant que l'indigence"), la différence entre le discours de l'ethos et celui du pathos, ou le détail des formules de mots possibles (tous les "trucs" en somme, de la métaphore à la répétition, au procédé de la fausse rectification de son propre propos), Cicéron propose surtout un portrait simple et cohérent de l'orateur-stratège : il est celui qui "sait employer le style simple pour les sujets signifiants, le sublime pour les grands problèmes, le tempéré pour les moins élevés". La souplesse; voila la vertu cardinale de l'orateur. Il est toujours à sa place.

 

L'essentiel de la communication est dit en quelques dizaines de pages lumineuses. En refermant le petit livre, j'ai songé au fait qu'après Cicéron la rhétorique devienne un sujet moins prisé à Rome. Pourquoi donc ? Parce que Cicéron a clos le sujet ? Sans doute un peu. Mais surtout l'art de la conviction sied à la République, il n'est plus aussi utile dans l'Empire. Le monde de Cicéron, c'est celui du Sénat où la délibération a un rôle central.

 

L'autocratie, le despotisme, et bien plus tard le totalitarisme, ont besoin d'autres formes de discours sans doute, notamment pour affermir une autorité plutôt que de défendre une option en concurrence avec d'autres positions. Et même de l'appauvrissement du discours. Le discours totalitaire doit mobiliser, pas convaincre, il doit attiser. Il doit subjuguer, et marginaliser le logos. Il ne doit pas éveiller l'auditeur mais l'hypnotiser. Il parle à la masse, pas à l'individu.

 

A notre époque, on constate indéniablement un appauvrissement du discours. Si l'on se réfère simplement à quelques décennies plus tôt. Il n'y a qu'à comparer nos Présidents de la République successifs. La révolution gigantesque de l'image l'explique évidemment, en changeant radicalement la règle du jeu politique. La nostalgie du grand orateur est cependant restée ancrée dans la culture politique démocratique, comme l'ont montré les étonnantes affluences massives au meeting du tribun Mélenchon pendant les élections françaises de cette année. Est-ce la nostalgie d'une démocratie, même fantasmée, où le débat reprendrait sa place réelle ? Est-elle annonciatrice ? Dans notre société, saisie dans l'étau des institutions européennes inspirées par le pseudo apolitisme libéral, assommée sous le poids de la mondialisation du capital, le discours cicéronien n'est plus utile, car le discours subtil est consubstantiel à la politique démocratique. A la délibération, à la souveraineté populaire et à la possibilité d'alternatives politiques.

 

Le discours de "la seule politique possible" n'a pas besoin de convaincre sur un théâtre où les jeux sont fermés. C'est un discours de service après-vente. Un discours technocratique. La repolitisation du monde produirait sans nul doute un nouvel engouement pour le discours.

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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