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26 mai 2012 6 26 /05 /mai /2012 20:40

9782021029482 1 75 La guerre d'Espagne de Napoléon, on ne s'en souvient guère, sinon grâce à Goya souvent reproduit dans les manuels de castillan.

 

L'Espagne fut pour le despote corse ce que le désert africain fut à l'Allemagne hitlérienne : la première défaite, la fin de l'irrésistible conquête. Napoléon s'enlisa en Espagne, aux alentours de 1811, s'y affaiblit, connut le doute. La courbe de son destin s'y infléchit. Cette guerre fut particulièrement cruelle et atroce, car les français furent difficiles à déloger. Et les espagnols manifestèrent déjà ce mélange de désorganisation et de résistance acharnée dont on reparla au vingtième siècle.

 

C'est le cadre de cette histoire, et plus particulièrement la ville blanche de Cadix, située au bout d'une langue de terre, à l'extrêmité de l'Europe, qu'a choisi Arturo Perez-Reverte pour son ample et foisonnant roman : "Cadix, ou la diagonale du fou", écrit en 2009.

 

Une fresque narrant le siège de la ville par l'artillerie française, dans un environnement tout à fait inédit, fruit des amours de l'eau et de la terre (le combat est sur les eaux, dans les airs avec l'artillerie, mais aussi dans les marais avec la guerrilla). 

 

C'est aussi un roman policier efficace, un livre de mer, une plongée dans la classe commerçante atlantique de l'époque, une histoire d'amour (impossible, comme il se doit), et aussi un livre sur les débuts d'un certain scientisme qui culminera quelques décennies plus tard. Sans oublier une dimension politique sur le début du libéralisme politique européen, et de son courant espagnol né fragile et qui le restera. Toutes ces dimensions étant habilement imbriquées à travers les liens entre les personnages.

 

Perez-Reverte y est à son aise, et ce livre m'a beaucoup plus conquis que les fameuses aventures du capitaine Alatriste, manquant de surprise de mon point de vue. Ici Perez-Reverte, sans doute aiguillé par sa passion pour Cadix et son appétit d'Océan, donne le meilleur de son talent : dans l'imagination, le style clair et poétique mais qui évite l'ampoule,  la construction, l'épaisseur des personnages, la description de la beauté des lieux.

 

Le roman prend son temps pour démarrer - comme il sied à une oeuvre de longue haleine (762 pages) mais peu à peu on s'y installe solidement. Il se déploie sur plusieurs fronts :

 

D'abord la vie à Cadix sous le siège, du point de vue d'une admirable femme, Lolita de Palmas, seule à la tête d'une maison de commerce transatlantique. Cadix est au début du roman le retranchement encerclé de l'Espagne fidèle au Roi Ferdinand gardé à vue en France, qui refuse de se soumettre à Joseph Bonaparte. S'y dessine une Espagne monarchiste et parlementaire, alliée méfiante des anglais. Elle adopte une Constitution et se confronte aux premières révoltes en Amérique du Sud qui vont abattre son Empire. Le commerce est frappé par la guerre et y tient son rôle, à travers l'action des corsaires affrêtés par les compagnies. De la rencontre entre Lolita de Palmas et un capitaine corsaire naîtra la romance.

 

Mais ce quadrillage de rues est aussi sujet à une double géographie meurtière : celle du bombardement français qui se veut de plus en plus scientifique et cherche à couvrir toute la ville, mais surtout celle d'un tueur en série qui assassine les jeunes filles avec cruauté, pourchassé par un policier cynique et brutal, intelligent, aidé d'un professeur qui l'aide à approfondir ses intuitions sur l'assassin. Tout le mystère est là : le tueur frappe où tombent les bombes françaises, envoyées par un officier obsédé par les calculs, mais parfois aussi avant leur chute, sur le lieu même ! Les deux géographies se recoupent ainsi et c'est bien entendu en trouvant pourquoi que l'intrigue pourra être résolue.

 

"Cadix, ou la diagonale du fou" est un beau roman, fruit d'un travail de titan. Un

roman qu'aimerait sans doute écrire Umberto Ecco s'il avait gardé le fluide du "nom de la rose". Ces romans d'écrivains accomplis et capables de grande ambition qui rendent hommage à leurs passion d'enfants : ici on reconnaît les exploits des corsaires et les petits soldats de plomb de l'Empire.

 

Il est sans doute le résultat d'une investigation titanesque sur l'Espagne de l'époque, sur Cadix décortiquée rue à rue, sur la navigation il y a deux siècles (les manoeuvres sont décrites avec un sens technique impressionnant), sur les pratiques commerciales de ce jeune capitalisme. Ces informations s'insèrent aisément dans l'onde romanesque, dans une écriture bercée par les flots qui restitue toute la poésie de ces villes de la côte atlantique subsumées par la présence de l'océan.

 

Enivrant, dépaysant. Un roman du grand large. De ceux que l'on lit pour l'évasion et la force du vent. De ceux qui nous rappellent à nos émotions épiques. Il en est besoin de temps en temps pour un lecteur.

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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