Ces jours ci, on reçoit le monde en pleine figure. Sans cesse. Comme hypnotisés par l'horreur inconcevable venue du Japon et de Lybie. Il en est ainsi dans notre village planétaire.
La solitude, le retrait du monde, la "déconnexion" - ce n'est pas un hasard - sont revenus comme des thèmes importants du cinéma ("Into the Wild" de Sean Penn par exemple) mais aussi de la littérature : "la route" de Mc Carthy, plus récemment "Les chaussures italiennes" d'Henning Mankell. La retraite dans les recoins du monde, toutes lucarnes bouchées, constitue t-elle la dernière étrangeté ? Et une tentation. Robinson est de retour.
"Sukkwan Island" de David Vann est l'histoire d'un homme et de son fils de treize ans, qui décident, à la demande du père, d'aller vivre quelque temps dans une île perdue de l'Alaska, sans âme qui vive. Un milieu isolé, hostile, dangereux, franchement "roots"... On comprend vite que le père, Jim, manifestement très dépressif, essaie de rebondir après des échecs successifs, en se rapprochant d'un fils qu'il connaît mal.
Une trame toute simple, servie par une écriture très sobre mais précise, "manuelle" même (car il faut être sacrément débrouillard de ses mains pour survivre dans cette île. Moi, je tiens pas une semaine. Je laisse le sac de nourritures ouvert et je finis dévoré par un ours).
Dès le début on pressent que "ça va mal finir". Mais on ne sait pas comment (comme dans "le projet Blair Witch"...) et l'angoisse s'installe, efficace. Le pressentiment se vérifiera, mais ce récit nous saisira avec un art du contrepied inédit, digne de Maradona... "Sukkwan Island" est tout simplement déroutant.
En nous transportant en Alaska face à la nature, là où nous pouvons nous dépouiller de l'anecdotique, David Vann nous confronte, en héritier légitime de Cormac Mac Carthy, à des questions essentielles : la nature ambigue de la filiation/paternité, le mystère du suicide et du passage à l'acte, la vulnérabilité de l'être humain face à la culpabilité, la dureté de la vie qui affleure sous les fins oripeaux de la civlisation.
L'Alaska, c'est l'insondable en nous.
Tout cela avec une maîtrise et un dépouillement qui laissent pantois quand on pense qu'il s'agit du premier roman de David Vann , jeune auteur américain qui a reçu le Médicis du roman étranger pour cette oeuvre marquante.
Un grand auteur est peut-être apparu.
A ne pas manquer mes amis !