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13 février 2011 7 13 /02 /février /2011 08:01

letemps.jpg Moins de cent pages pour illustrer, par le récit tout simple d'un incident de bureau, tout le tragique de la condition humaine.

 

Telle est la grandeur de "Bartleby" d'Herman Melville. 

 

En deux heures de lecture tout au plus, appâté par un style classique d'orfèvre, le lecteur passe du rire de l'absurde au pressentiment d'un drame à découvrir, et au regard final et soudain sur l'immense abîme métaphysique.

 

Un homme de loi de Wall Sreet embauche dans son étude un petit homme blâfard. dénommé Bartleby. Celui-ci ne se fait pas remarquer. Puis vient le jour où on lui demande de sortir un instant de sa routine de copiste pour donner un coup de main. Il répond alors cette phrase qui va épouser toutes les connotations au fil de la Nouvelle : "Je préfèrerais pas". Et peu à peu, cette phrase se répète, jusqu'à voir Bartleby s'enfoncer dans la passivité, l'immobilité. Jusqu'à ce que Patron constate qu'il ne mange presque pas, qu'il dort dans le bureau.

 

Si on laissait faire ses collègues, Bartleby serait rossé et jeté à la rue. Mais le Patron oscille entre colère et stupeur. Et pressent que derrière ce comportement se dissimule quelque chose d'obscur et de vertigineux. Le lecteur est  admirablement embarqué dans les tourments de cet homme charitable, qui veut se débarasser de cet individu encombrant, sans oser y toucher, comme si cet homme représentait plus que lui-même.

 

A la fin de la nouvelle, en quelques lignes qui donnent génialement tout leur sens à ce récit, le lecteur comprend à quoi Bartleby a été confronté.  Bartleby a eu le malheur de voir au delà de ce qui est possible à l'âme humaine, qui se réfugie dans les actes, dans la survie, pour oublier ce qu'il en est vraiment. Et cela est arrivé à Bartleby par hasard, car il a eu le malheur d'occuper une place absolument particulière dans la division du travail social.

 

Bartleby, à mon sens, c'est la personnification de la condition humaine. L'homme est coincé dans les rails du temps. Cette succession de présents. Et son drame est de pouvoir imaginer l'avenir et revenir sur le passé. Mesurer que tout passe. Que tout est vain.

 

On comprend alors le malaise éprouvé à entendre Bartleby dire "je préfèrerais pas". Dans ce conditionnel réside aussi toute l'incertitude qui est la nôtre. A nous, êtres de l'angoisse.


 


 


 

 

 


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commentaires

D
<br /> Bonjour Jérôme,<br /> Content de te lire. toujours aussi limpide ton écriture. Tu nous donnes envie vraiment de lire ta bibliothèque. En ce qui me concerne j'ai beaucoup de mal à trouver des livres à Marrakech. Je suis<br /> prisonnier de livres que j'ai lus dix fois déjà.<br /> Cordialement F.M http://lire56.over-blog.com<br /> <br /> <br />
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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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