A lire "Confession d'un enfant du siècle",roman largement autobiographique écrit en 1836 par Alfred de Musset, on mesure combien on ne saurait sombrer dans des anachronismes. Combien l'Humain est historique, circonstancié, ne serait-ce qu'en tant qu'être tissé dans un langage qui a tant changé depuis lors. Mais en refermant le livre, qui relate de manière quelque peu détournée l'amour de Musset et de Sand, on comprend aussi que, malgré le voeu de Rimbaud, l'amour n'a pas été "réinventé". Nos tourments amoureux contemporains nous font frères et soeurs d'Octave et de Brigitte, les deux personnages de ce récit.
Cette confession est archétypale du livre romantique. Tout entier tourné vers l'intériorité.
Le début du roman, pourtant, commence avec une prise de conscience du collectif. C'est qu'on est déjà dans les années 30 et l'Histoire va se réveiller très fort. Musset y dresse le portrait de la génération du narrateur - Octave. Ces premiers chapitres sont d'ailleurs remarquables en ce qu'ils témoignent d'une belle conscience de ce qu'est le romantisme. Musset n'a pas eu besoin de grand recul temporel pour être lucide sur ce courant culturel qui le contient et qu'il illustre. Et déjà, au coeur même de cette période absolument individualiste et consacrée à l'introspection, on sent percer le sens des mouvements collectifs et de l'histoire.
De l'amertume au spleen, il y a quelque chose de noir qui est la maladie du siècle.
Cette génération est dégrisée et triste, Musset a compris pourquoi. Elle nait quand la grande épopée révolutionnaire se clôt avec la chute de l'Empire. Alors s'ouvre une période où la jeunesse, condamnée d'emblée, est assommée par le poids de ce passé récent qui ne permet plus l'utopie, ferme la voie au grand large et au vertige politique. Que peut espérer la jeunesse dans cette société verrouillée, aspirant à une pause sans doute, où les élites montantes et déclinantes ont passé alliance autour d'un projet conservateur ?
La jeunesse éduquée consacre ainsi toute son énergie à l'intime, et à l'amour, où elle recherche à épancher sa soif d'infini. C'est nécessairement un échec. Et c'est ce que nous dit finalement cette Confession de Musset.
Chez Musset, comme chez Stendhal (qui lui est concédons le cent fois supérieur) on trouve ainsi le précurseur d'autres grandes oeuvres littéraires : Flaubert ou Scott Fitzgerald. D'autres voix émanant de générations semblant condamnées par avance. Les périodes désenchantées nous enchantent paradoxalement d'oeuvres d'art magnifiques. Est-ce un hasard si la peinture française révolutionne l'art juste après la Commune ?
Ce que ne voit pas Musset ce me semble, sans doute est-il trop tôt pour cela, c'est en quoi la transformation du monde provoque aussi cette réaction romantique. La Raison agissante, s'incarnant notamment dans la première révolution industrielle, commence à désenchanter l'univers. Le romantisme fonctionne alors comme une nostalgie des élites pour une harmonie disparue.
Il y a bien quelque chose d'illusoire et de perdu d'avance dans cette préoccupation pour l'amour qui tourne sur elle-même. Le romantique en vient même à oublier qu'il vit en société : Octave n'a aucune activité sociale, on ne sait même pas de quoi il vit. Il ferme les yeux à la question politique et sociale, mais ne se préoccupe même pas du réel, finalement naturalisé. On se détourne du monde finalement, ou on n'y trouve que des êtres à surinvestir jusqu'à l'asphyxie. C'est ce qui arrive à Brigitte sa maîtresse, dont l'amour se transforme en étouffoir sous le poids des attentes inextinguibles d'Octave.
Agir, créer ensemble... l'idée ne vient pas aux personnages. La seule issue recherchée est le bonheur absolu dans l'amour, un amour pur et décontextualisé. Octave a bien essayé la débauche après avoir été déçu d'un premier amour. Mais on n'y cueille que de l'amertume.
Il y a tant d'obstacles à un amour heureux : les convenances par exemple, alors qu'Octave s'enamourache de Brigitte la veuve plus âgée que lui. Mais ce n'est pas le plus grave. Le plus difficile, c'est l'impossibilité de contenir l'autre. De l'empêcher de vivre ses propres pensées et de contrôler ses sentiments. Le soupçon est là comme un poison mortel. Et le soupçon, comme le montrera le récit, est en plus légitime. Comment sauver le paranoïaque quand les évènements lui démontrent qu'il a raison ?
L'amour, en tant que fantasme de la fusion, se heurte à l'impossibilité de la fusion. En tant que recherche de l'absolu, elle se heurte à la séparation des êtres et à la temporalité qui emporte tout. L'amour est ainsi une utopie où se brisent ses fanatiques. En cela, Musset nous parle toujours, de son écriture vive, qui contredit son désespoir et laisse percer une force inemployée. Elle s'emploie, alors, dans la création d'une oeuvre littéraire. Où le sentiment d'échec se sublime.