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5 janvier 2013 6 05 /01 /janvier /2013 02:02

ICasparDavidFriedrichDeuxhommesaucrpuscule.jpg A lire "Confession d'un enfant du siècle",roman largement autobiographique écrit en 1836 par Alfred de Musset, on mesure combien on ne saurait sombrer dans des anachronismes. Combien l'Humain est historique, circonstancié, ne serait-ce qu'en tant qu'être tissé dans un langage qui a tant changé depuis lors. Mais en refermant le livre, qui relate de manière quelque peu détournée l'amour de Musset et de Sand, on comprend aussi que, malgré le voeu de Rimbaud, l'amour n'a pas été "réinventé". Nos tourments amoureux contemporains nous font frères et soeurs d'Octave et de Brigitte, les deux personnages de ce récit.

 

Cette confession est archétypale du livre romantique. Tout entier tourné vers l'intériorité.

 

Le début du roman, pourtant, commence avec une prise de conscience du collectif. C'est qu'on est déjà dans les années 30 et l'Histoire va se réveiller très fort. Musset y dresse le portrait de la génération du narrateur  - Octave. Ces premiers chapitres sont d'ailleurs remarquables en ce qu'ils témoignent d'une belle conscience de ce qu'est le romantisme. Musset n'a pas eu besoin de grand recul temporel pour être lucide sur ce courant culturel qui le contient et qu'il illustre. Et déjà, au coeur même de cette période absolument individualiste et consacrée à l'introspection, on sent percer le sens des mouvements collectifs et de l'histoire.

 

De l'amertume au spleen, il y a quelque chose de noir qui est la maladie du siècle.

 

Cette génération est dégrisée et triste, Musset a compris pourquoi. Elle nait quand la grande épopée révolutionnaire se clôt avec la chute de l'Empire. Alors s'ouvre une période où la jeunesse, condamnée d'emblée, est assommée par le poids de ce passé récent qui ne permet plus l'utopie, ferme la voie au grand large et au vertige politique. Que peut espérer la jeunesse dans cette société verrouillée, aspirant à une pause sans doute, où les élites montantes et déclinantes ont passé alliance autour d'un projet conservateur ? 

 

La jeunesse éduquée consacre ainsi toute son énergie à l'intime, et à l'amour, où elle recherche à épancher sa soif d'infini. C'est nécessairement un échec. Et c'est ce que nous dit finalement cette Confession de Musset.

 

Chez Musset, comme chez Stendhal (qui lui est concédons le cent fois supérieur) on trouve ainsi le précurseur d'autres grandes oeuvres littéraires : Flaubert ou Scott Fitzgerald. D'autres voix émanant de générations semblant condamnées par avance. Les périodes désenchantées nous enchantent paradoxalement d'oeuvres d'art magnifiques. Est-ce un hasard si la peinture française révolutionne l'art juste après la Commune ?

 

Ce que ne voit pas Musset ce me semble, sans doute est-il trop tôt pour cela, c'est en quoi la transformation du monde provoque aussi cette réaction romantique. La Raison agissante, s'incarnant notamment dans la première révolution industrielle, commence à désenchanter l'univers. Le romantisme fonctionne alors comme une nostalgie des élites pour une harmonie disparue.

 

Il y a bien quelque chose d'illusoire et de perdu d'avance dans cette préoccupation pour l'amour qui tourne sur elle-même. Le romantique en vient même à oublier qu'il vit en société : Octave n'a aucune activité sociale, on ne sait même pas de quoi il vit. Il ferme les yeux à la question politique et sociale, mais ne se préoccupe même pas du réel, finalement naturalisé. On se détourne du monde finalement, ou on n'y trouve que des êtres à surinvestir jusqu'à l'asphyxie. C'est ce qui arrive à Brigitte sa maîtresse, dont l'amour se transforme en étouffoir sous le poids des attentes inextinguibles d'Octave.

 

Agir, créer ensemble... l'idée ne vient pas aux personnages. La seule issue recherchée est le bonheur absolu dans l'amour, un amour pur et décontextualisé. Octave a bien essayé la débauche après avoir été déçu d'un premier amour. Mais on n'y cueille que de l'amertume.

 

Il y a tant d'obstacles à un amour heureux : les convenances par exemple, alors qu'Octave s'enamourache de Brigitte la veuve plus âgée que lui. Mais ce n'est pas le plus grave. Le plus difficile, c'est l'impossibilité de contenir l'autre. De l'empêcher de vivre ses propres pensées et de contrôler ses sentiments. Le soupçon est là comme un poison mortel. Et le soupçon, comme le montrera le récit, est en plus légitime. Comment sauver le paranoïaque quand les évènements lui démontrent qu'il a raison ?

 

L'amour, en tant que fantasme de la fusion, se heurte à l'impossibilité de la fusion. En tant que recherche de l'absolu, elle se heurte à la séparation des êtres et à la temporalité qui emporte tout. L'amour est ainsi une utopie où se brisent ses fanatiques. En cela, Musset nous parle toujours, de son écriture vive, qui contredit son désespoir et laisse percer une force inemployée. Elle s'emploie, alors, dans la création d'une oeuvre littéraire. Où le sentiment d'échec se sublime.

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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