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16 novembre 2012 5 16 /11 /novembre /2012 19:26

 

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"Ni réforme, ni révolution, ni société de gestion de l'existant, mais développement infini de la puissance".

 

Au nom de quoi militer pour changer la société ?

Est-ce encore possible ? Sous quelle forme ?

Est-ce que ça vaut le coup de s'y atteler ? Ou doit-on immédiatement préférer rester devant sa Wii à essayer de battre son record au bowling ?

 

Des questions légitimes que se posent Miguel Benasayag et Angélique Del Rey dans un essai intitulé "De l'engagement dans une période obscure". Et qui s'adresse en réalité à une militance de gauche alternative sous le titre plus général.

 

Un Essai théorique, qui pêche à mon goût par une difficulté à articuler l'évocation de la théorie et de la pratique (que les auteurs nous appellent pourtant à réconcilier). Une réflexion qui se situe dans la lignée d'un courant prônant de changer la société sans prendre le pouvoir (institutionnel s'entend), et dont le sous commandant Marcos et ses zapatistes (qu'est il devenu au fait ? J'avais lu qu'il avait retiré sa cagoule) ont été les porte drapeaux les plus visibles.

 

Une pensée libertaire, certes, mais pas individualiste. En effet, les deux auteurs, dans cet essai et d'autres, critiquent la notion même d'individu. Celui-ci n'est finalement qu'un "pli" de son époque. Ce qui s'inscrit résolument dans la cosmologie spinoziste....

 

... Car les auteurs, et c'est un point qui m'intéresse parce que c'est un de mes dadas... s'inspirent très explicitement de la philosophie de Spinoza. On l'a déjà vu dans ce blog( Spinoza comme bon copain de Marx (Fréderic Lordon)) , une redécouverte de Spinoza comme penseur politique est à l'oeuvre, singulièrement à la gauche de la gauche. Antonio Negri a écrit un livre "Spinoza et nous" (auquel je le dis, je n'ai rien compris ! mais quand il parle je ne saisis rien non plus), l'économiste français Fred. Lordon met ses pas dans ceux du grand matérialiste. Et c'est le cas aussi pour l'essai dont nous causons ici.

Ernesto Chez Spinoza quoi.... (jeu de mots).

 

Ce qui intéresse ces penseurs radicaux, c'est la notion de puissance d'agir, centrale dans l'oeuvre de Spinoza. Et qui permet de reparler du changement social avec un nouveau langage et un prisme différent.

 

Cet essai est un peu abstrait et vaseux à mon goût parfois (et à certains moments très clair, c'est étrange). Un peu créateur de concepts assez vains. Mais il est riche de réflexions très intéressantes cependant, qui permettent de comprendre les impasses du militantisme aujourd'hui, sa désaffection, et qui nous montre utilement ce qu'il ne faut surout pas retenter... Quant aux principales critiques que je lui porterai, c'est pour la fin... Comme ça vous êtes obligés de lire cet article en entier. Na !

 

Le libéralisme veut nous faire croire que nous sommes des individus libres. Alors que nous ne le sommes pas (Spinoza dit ça très joliment : "l'homme n'est pas un empire dans l'empire"). Nous ne comprenons ainsi pas notre impuissance individuelle à agir sur le monde et nous en souffrons !  S'ensuit un refuge dans l'identitaire, dans le passé figé et refermé, que les auteurs voient (à raison selon moi) comme un des pires dangers de notre époque "obscure", c'est à dire sans rien de lumineux, ni sur ce qui arrive, ni sur ce que nous devons faire.

 

Le militantisme s'étiole. Et dans ce phénomène on doit déceler une part de bonne nouvelle : les gens ont compris que l'engagement transcendant, au nom de la société parfaite à venir et de l'accouchement naturel de l'Histoire, c'était une illusion inutile voire dangereuse. Et c'est déjà ça de gagné pour aller vers de nouvelles pratiques.

 

Le militantisme classique fonctionnait sur la distinction du faux et de la vérité politiques, et méprisait les situations concrètes, dans la mesure où elles n'étaient analysées que comme une étape nécessaire vers la Fin.

C'était un modèle finalement fragile, car quand les promesses, les lendemains qui chantent, s'effondrent, tout se disloque.... Et plus rien ne soutient le militant. Ainsi a t-on assisté à la marginalisation ahurissante du militantisme communiste en très peu de temps. Quand la foi disparait, il ne reste plus qu'à s'en remettre à la "lucidité cynique".

 

L'autre impasse du militantisme politique classique, c'est de penser que tout converge vers la politique, qu'elle est source de tout. Enorme erreur. D'ou par exemple la tendance à réduire la question de la recherche en génétique à sa dimension capitaliste, à réfléchir à l'art en fonction de son seul usage militant, ou encore à considérer que l'on ne doit jamais réfléchir à la pratique du service public, car l'essentiel c'est la lutte pour arracher le budget au capital....

S'ajoute à ces défauts celui, assez dégoûtant, de hiérarchiser les souffrances.

 

Or, un militant intelligent devrait commencer par constater que le changement social a des sources complexes et chaotiques : par exemple, les grandes conquêtes féministes doivent tout autant voire plus à la mise sur le marché de molécules de contraception qu'à la mobilisation militante. Les découvertes ont lieu dans les labos, les expériences pédagogiques dans les salles de classe... Tout ne converge pas vers un grand QG politique... Les militants, pourtant, ont tendance à se transformer très facilement en ingénieurs nucléaires, en climatologues... Et à prétendre avoir un point de vue sur tout, depuis les sommets de leur théorie globale. Cela, ça ne fonctionne plus, car tout simplement on n'y croit plus du tout, sauf les militants...

 

C'est à un nouveau militantisme, conscient de ses limites, qualifié de militantisme-recherche (pas beau comme expression) que les auteurs invitent le lecteur. Un militantisme des situations, et non plus du sacrifice du présent pour un avenir fantasme. Au programme, qui résoud tout, mais n'y parvient jamais, les auteurs opposent la notion de projet. Le projet ne promet rien, il se définit en marchant. La théorie ne doit plus prétendre à diriger la pratique systématiquement, mais on doit les considérer comme se nourissant mutuellement sans cesse.

 

Alors, comment ne pas sombrer non plus dans un relativisme complet, s'il n'y a plus rien de transcendant pour guider l'action militante ? C'est là ou Spinoza est secourable : partout où l'oppression détruit la puissance d'agir des êtres, leur liberté de devenir eux mêmes, il faut lutter et résister. Le militant progressiste doit se fixer comme but d'élargir sans cesse la puissance d'agir des gens.

 

Agir localement, ponctuellement, n'est nullement vain, car cela crée des sortes de "jurisprudences" sociales. Ce qui a été réalisé ici (par exemple la gestion d'une usine par les salariés) peut être recréé ailleurs.  Nous ne sommes pas condamnés à la "dispersion individualiste" et à être comme le dit la chanson "juste quelqu'un de bien"... Nous pouvons agir et en cela montrer que d'autres formes d'action et de vie existent.

 

J'ai dit plus haut que ce livre appartenait à ce courant qui conseille de changer le monde sans prendre le pouvoir... C'est un peu sommaire comme appréciation, car en réalité c'est la notion même de pouvoir qui est interrogée. Le pouvoir est considéré comme ce qui est sa propre cause.... (dans la définition Spinoziste, qui la réserve à Dieu, c'est à dire Tout chez lui). Or, on doit comprendre que le pouvoir est plus chafouin que prévu...

 

Le pouvoir, et c'est un apport de Michel Foucault de l'avoir développé, peut être exercé par des dispositifs ou des gens qui ne le détiennent pas officiellement. La figure du bureaucrate surgit alors devant nous... Le pouvoir est diffus, décentralisé, incrusté un peu partout. Donc la "prise de pouvoir" ne signifie plus grand chose. Quand on veut transformer le monde, on doit penser en terme de contre-pouvoir.

Mais cette notion de contre-pouvoir n'est pas celle, classique, de Montesquieu, ou celle qui fit des médias un contre-pouvoir. Il s'agit, toujours dans la veine spinoziste, de développer de la résistance à l'oppression, de la puissance d'agir.

 

Certains ajouteraient qu'il faut ensuite travailler à la fameuse "convergence des luttes"... Mais les auteurs pensent que c'est une chimère, que les mots d'ordre restent vaseux ("les droits" par exemple). En réalité, les luttes peuvent être paradoxales, voire contradictoires. Le grand dessein collectif, nous devons en faire le deuil définitif.

 

La première attitude possible, pour défendre notre liberté d'être nous-même, c'est de refuser la normalisation néo-libérale. Refuser d'être cet "homme normal" assimilé à une entreprise qui gère son capital et qui ne s'occupe que de lui alors qu'il est en interdépendance complète avec le monde. Nous ne sommes pas obligés, après tout, de suivre ce qui nous est demandé. Les indiens disent : "seuls les poissons morts suivent le courant". Nous pouvons agir comme Bartleby, le personnage de Melville, et nous abstenir en disant "j'préfèrerais pas" ... (Le drame humain tout entier dans un incident de bureau)    

Déjà, à travers la somatisation, les burn out.... Les gens disent qu'ils ne préfèreraient pas... Mais ils peuvent demain aller plus loin.

 

Le militantisme nouveau qui est prôné a t-il besoin d'une nouvelle idéologie optimisme ? Non pas certes. Nous avons raison d'être pessimistes, car le présent ne présage rien de bon. Et c'est signe que nous avons fait effort de connaissance. L'optimisme, ce serait aujourd'hui encore se réfugier dans le mirage de l'avenir radieux.  Nous devons commencer par agir, car c'est à travers l'action que nous retrouvons notre réalité d'individu inséparable des autres et du monde, et c'est là où l'optimisme peut être trouvé. Certainement pas dans la spéculation.

 

Les auteurs citent l'exemple des Tupamaros en Uruguay, qui étaient parvenus à créer un vrai mouvement populaire et à unifier des gens issus de nombreux horizons, autour de cette idée que "les paroles nous divisent, les actes nous réunissent".  

 

"Prendre le pouvoir" et en terminer c'est une illusion. Car la distinction aisée entre oppresseur et opprimé est un leurre. La Boétie avait compris cela, et les auteurs rappellent le fameux film "le pont de la rivière kwaï" pour bien le faire comprendre. Un officier anglais prisonnier refuse de construire un pont sur ordre des japonais, puis sous la torture il cède. Pour sauver son esprit, il met toute son énergie dans la construction... Et lorsqu'il s'agit de le détruire pour empêcher des armes japonaises de passer... Il en est incapable... Les motifs d'un être humain peuvent être opaques.

 

La difficulté, dans le changement social, est qu'il ne suffit pas de mettre fin à une quelconque passivité des opprimés. Ceux-ci, en réalité, sont très actifs : ils doivent lutter pour s'adapter. Ils doivent lutter pour ne pas être détruits par l'image du collègue vidant son tiroir après un licenciement, et parvenir à revenir au bureau. Et il y aurait mille exemples du même acabit... Ils se mentent, ils refoulent. Car il faut trouver la force de vivre.

 

Alors, comment répondre à nos questions initiales ? Que peut-on faire ? Eh bien premièrement ne pas penser en individu s'illusionnant sur sa puissance à renverser le monde. La question à se poser est : "comment suis-je engagé dans le monde ?", puisque j'y suis inévitablement engagé, je ne suis pas un Empire dans l'Empire. Et alors de relever les défis qui se présentent à moi.

 

Tout cela est convaincant. Mais il reste que le pouvoir classique existe encore, s'il est devenu impuissant en de larges domaines, et il garde en tout cas sa capacité de nuisance, avec beaucoup d'imagination pour cela. La gestion des institutions et leur fonctionnement ne peut donc pas être indifférente, à mon point de vue. Elle est une question parmi d'autres, certes, mais pas un détail sans importance. Faire table rase de l'aspect institutionnel du pouvoir est une démission un peu facile dans le raisonnement. Ca ne compterait pas ? On a du mal à y souscrire...

 

Mais pourrait-on me rétorquer : après tout on peut considérer l'institution porteuse de pouvoir officiel comme un lieu de conflictualité comme un autre, où l'on doit agir comme si on était dans un mouvement social ou une association.... Le mieux possible....

 

Surtout, la limite de ce livre est que finalement, elle propose une critique déjà datée. Qui se laisse encore guider par un quelconque messiannisme ? Plus personne ou quelques minoritaires. Ce livre s'adresse à des minoritaires. Même à la gauche de la gauche, ils sont isolés. Ces critiques de l'hégélianisme sont classiques. Elles ont toujours été adressées au marxisme. Elles ne sont pas nouvelles et donc on peut penser que cet essai vise une cible qui n'a plus grand intérêt.

 

La question plus difficile est ce me semble : pourquoi agir collectivement quand on a jamais cru au grand projet libérateur de Tout ? Ce qui est le cas des générations nées depuis les années 70 en gros.... Ca fait du monde... Le livre souffre donc d'une illusion d'optique à mon sens : considérer les mirages d'une minorité comme un obstacle fondamental. C'est sans doute rassurant, car s'il suffisait d'abandonner seulement l'idée du grand soir, pour réenchanter la militance, ce serait finalement une mission facile. Mais qui y croit encore, au grand soir ? Personne.

 

Ce qui constitue un obstacle à l'action, c'est aussi et surtout que les gens  ne savent pas comment procéder, même quand ils ont renoncé à beaucoup de chimères ou n'en ont jamais entretenues. Que c'est une question bien difficile. Et cet essai intéressant ne leur permettra pas d'avancer de manière significative, à mon sens.

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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